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Octroi de mer en Martinique : quelles options face à la vie chère ?


La Collectivité territoriale de Martinique a annoncé, fin juillet 2025, une hausse de l’octroi de mer sur 62 catégories de biens. Cette augmentation doit compenser la suppression de cette taxe sur des produits de première nécessité, négociée dans le cadre du plan d’urgence contre la vie chère. Principale ressource fiscale...

Entreprendre - Octroi de mer en Martinique : quelles options face à la vie chère ?

La Collectivité territoriale de Martinique a annoncé, fin juillet 2025, une hausse de l’octroi de mer sur 62 catégories de biens. Cette augmentation doit compenser la suppression de cette taxe sur des produits de première nécessité, négociée dans le cadre du plan d’urgence contre la vie chère. Principale ressource fiscale des collectivités de Martinique, l’octroi de mer reste très critiqué, notamment pour son rôle dans l’augmentation des prix : des rapports publics de la Cour des comptes et de l’AFM en dénoncent les nombreux dysfonctionnements. Bien que promise par le gouvernement, la réforme de cette taxe ne figure pas dans la loi sur la vie chère récemment présentée par le ministre des Outre-mer Manuel Valls.

La CTM augmente l’octroi de mer en Martinique sur certains produits

Les 24 et 25 juillet 2025, la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) a décidé d’augmenter l’octroi de mer – une taxe appliquée aux importations métropolitaines — sur 62 familles de produits. Sont notamment concernés le melon, la tomate, le poisson d’importation, ainsi que certains meubles et matériels utilisés dans le BTP. Le taux d’octroi de mer sur ces produits est désormais aligné sur celui appliqué en Guadeloupe, ce qui devrait mécaniquement entraîner une hausse des prix. Ce relèvement doit générer 28 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires pour la CTM, dont 22 millions redistribués aux communes de l’île.

Cette augmentation vise à compenser la suppression de l’octroi de mer sur 64 familles de produits de première nécessité, actée par la CTM dans le protocole d’accord tripartite du 16 octobre 2024 pour lutter contre la vie chère. Outre ce geste des collectivités, l’État a accepté de supprimer la TVA sur ces biens et les distributeurs se sont engagés à réduire leurs marges de 12 millions d’euros. Ces efforts ont permis une baisse de 12,4 % du prix de ces produits entre octobre 2024 et juin 2025.

Qu’est-ce que l’octroi de mer ?

Mis en place dès 1670 en Martinique, sous l’Ancien Régime, l’octroi de mer est l’une des plus anciennes taxes encore en vigueur en France, et s’applique exclusivement dans les territoires ultramarins. Il pèse sur les biens importés « pour partie non substituables avec des biens produits localement, ou correspondant à une offre locale limitée et ne pouvant satisfaire la demande intérieure », selon le Ministère de l’Économie et des Finances.

L’octroi de mer constitue aujourd’hui la principale ressource des collectivités locales ultramarines. En Martinique, il représente près de la moitié des recettes fiscales des communes de moins de 10 000 habitants, et plus d’un tiers pour celles de plus de 10 000 habitants. La CTM fixe librement le taux d’octroi de mer sur les différents produits, dans des limites imposées par l’État.

Un rapport de la Cour des comptes très critique

Cette taxe fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques, notamment en raison de son impact sur les prix à la consommation. Dans un rapport de mars 2024, la Cour des comptes mettait en évidence de nombreux dysfonctionnements :

  • l’octroi de mer peut dissuader les collectivités de développer le tissu économique local, car une baisse des importations réduirait leurs recettes fiscales ;
  • il n’est pas suffisamment prévisible et transparent pour les contribuables ;
  • ses effets économiques « apparaissent au mieux non quantifiables voire s’avèrent non effectifs sur la compétitivité des entreprises » ;
  • surtout, il est « une des causes de la cherté de la vie dans les outre-mer », en contribuant à « la hausse des prix pour de nombreux biens de première nécessité ».

Le rapport appelait à une réforme jugée indispensable :

  • soit « de rupture », en supprimant l’octroi de mer pour le remplacer par une nouvelle taxe proche de la TVA ;
  • soit en le modifiant en profondeur, sur tous ses aspects, pour l’adapter au contexte actuel.

Un fonctionnement « peu transparent et parfois aux limites de la légalité » qui pèse sur les prix

En janvier 2025, l’AMF et l’Association des communes et collectivités ultramarines (ACCDOM) ont publié à leur tour un rapport sur l’octroi de mer. Il conclut à un effet direct sur les prix compris entre 4,5 % et 9 %, mais précise que son impact sur la vie chère est amplifié par un fonctionnement « peu transparent et parfois aux limites de la légalité ». L’octroi de mer agit en effet « comme un droit de douane et pas du tout comme une taxe », lit-on dans le rapport.

En définitive, l’AMF et l’ACCDOM estiment que pour chaque euro perçu par une collectivité au titre de l’octroi de mer, le consommateur en supporte le double dans le prix final. Les deux organisations proposent donc de le transformer en une taxe « de type TVA » applicable à l’ensemble des biens importés.

Valse-hésitation gouvernementale sur la réforme de l’octroi de mer

Dès l’automne 2024, le gouvernement français a évoqué une possible réforme de l’octroi de mer et de la fiscalité ultramarine. Pour la Martinique, une telle refonte pourrait avoir des effets plus structurels et durables sur les prix et l’activité économique que les mesures d’urgence actuellement mises en œuvre. Auditionné le 25 mars 2025 par la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a confirmé que cette réforme restait « dans les plans du gouvernement ».

Elle est pourtant la grande absente du projet de loi pour lutter contre la vie chère dans les Outre-mer, présenté par Manuel Valls le 30 juillet 2025, qui sera débattu au Parlement à partir de fin septembre. L’exécutif repousse un possible débat sur l’octroi de mer aux discussions budgétaires pour 2026, prévues pour octobre-novembre 2025. Compte tenu du rôle pivot de l’octroi de mer dans l’économie ultramarine, sa présence dans un débat spécifique aux Outre-mer aurait pourtant été légitime. Ce report laisse craindre une réforme de surface, purement cosmétique.

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