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Michel Sapranides : « Une entreprise, c’est l’humain avant tout »

Michel Sapranides

Chef d’entreprise d’une PME aux Mureaux (Yvelines), Michel Sapranides partage dans son ouvrage Leader Sociétal sa vision du leadership.

Avant de se lancer dans le vif du sujet, je voudrais savoir comment vous vous sentez aujourd’hui après un tel travail de retour sur ces années d’expérience.

C’est un accomplissement sans nul doute. Dès le début de ma carrière j’ai été attiré par le sujet du leadership et ça m’a permis de capitaliser mon expérience d’une part, et puis surtout de proposer cette expérience pour la transmettre. Et finalement à qui s’adresse ce livre ? À tous les dirigeants d’entreprises, à tous ceux qui rêvent de devenir dirigeant d’entreprise, aux jeunes qui débutent dans la vie active, et même aux étudiants qu’il faut sensibiliser au plus tôt de préférence.

Des livres sur le leadership, il y en a déjà beaucoup. Pourquoi celui-ci ? Les nombreux livres sur le leadership sont en général proposés par les dirigeants de grands groupes ou alors par des professeurs d’universités et de grandes écoles.

Ici, l’origine est l’originalité. La différence c’est qu’on a à faire un entrepreneur et un entrepreneur de PME, d’autant que dans l’Union Européenne et en France, 99 % des entreprises comptent moins de cinquante collaborateurs.

Nous y reviendrons en effet, c’est important. Dans le livre vous vous revenez jusqu’à votre enfance vous parlez aussi de la famille et de ce à quel point elle vous a construit. Vous êtes édifié sur ce que vous avez vécu. Il y a parfois des moments plus compliqués que d’autres, des situations de réussite, et à d’autres moments, des échecs. Que voulez-vous dire à vos lecteurs quand vous partagez cela ?

Si on parle de de l’enfance par exemple. C’est un moment où on est on est sensibilisé aux personnes qui nous entourent, qui sont des exemples voire des modèles, et puis parfois aux incidents de la vie qui vous marquent et peuvent aussi permettre d’en ressortir plus fort.

Alors justement, l’exercice est un peu difficile, mais si vous ne deviez retenir que trois moments. Lesquels seraient-ils ?

Je commencerai par du leadership puisque c’est le sujet. L’empreinte de l’enfance est assez prépondérante. Je dirais dans mon enfance, autour de sept ans et un cumul malheureux de deux incidents de la vie qui m’ont marqué et ont très certainement forgé mon caractère est permis de d’avoir vraiment cette force d’aller de l’avant.

Ensuite je diraisà mes dix-neuf ans, l’échec au bac, l’échec scolaire tout court, et puis vraiment le grand tournant où je décide de me plonger dans les études, de m’instruire. Ça, c’est une deuxième étape importante.

La troisième étape, c’est l’entrée dans le monde professionnel pour rejoindre un grand groupe où j’ai pu être formé, avec notamment aussi deux expatriation à l’international : l’une en Chine, l’autre aux États-Unis, occuper cette fonction, et puis rencontrer des personnesformidables qui ont été des exemples et des mentors pour moi.

Et j’aimerais en rajouter deux autres. Le moment où je décide de devenir entrepreneur est évidemment un grand moment de ma carrière professionnelle. Enfin ce livre qui paraît maintenant et m’a permis de capitaliser cette expérience et d’aller la partager.

Merci beaucoup Michel. Ce que je vous propose maintenant c’est de se lancer dans le cœur du sujet du leadership et de voir avec vous ce qu’il en est et quelle est votre vision de cette fonction. Alors michel la question finalement c’est « qu’est-ce qu’un leader ? ». Et dans cette question, on comprend « à quoi sert-il ? », « quelle différence fait-il dans l’entreprise ? ».

Un leader c’est quelqu’un qui fédère. C’est quelqu’un qui entraîne une équipe pour réaliser un projet de préférence ambitieux et pour le bien commun. Il est un des détonateurs, un fédérateur. C’est quelqu’un qui va mettre une vision, qui va être le garant des valeurs, qui va porter les autres sur un piédestal pour qu’ils se réalisent et s’accomplissent. C’est son rôle, en fait.

On entend parfois dire en qu’en France, on n’a pas vraiment cette approche. On ne sait pas bien ce que c’est que le leadership d’ailleurs. On parle plutôt de gestionnaire que de leader. Est-ce que ça vous paraît juste qu’en France, on soit plutôt directif culturellement ?

Moi qui ai eu la chance de vivre et de travailler en Suède, en Chine, aux États-Unis, et bien évidemment en France, on note les différences culturelles. Et évidemment, si l’on compare le mode leadership suédois et le français, le français est bien plus directif. Mais tout ça est en train de changer, on entre véritablement dans une nouvelle ère actuellement, avec l’inclusion, le participatif, où le leader est davantage en retrait et va venir porter son équipe pour réaliser le projet, en fait.

Et en termes de gestion, je dirais que le leadership, contrairement au monde anglo‑saxon, est bien moins développé en France, bien moins connue, bien moins enseigné dans les écoles, et bien moins spontané, en effet. C’est la raison pour laquelle je propose ce livre. C’est aussi pour vraiment communiquer et vraiment proposer aux plus jeunes cette expertise, et vraiment voir cette expertise se développer.

Vous dites qu’il existe autant de styles de leaderships que de personnalités, qu’il n’y a pas un modèle unique mais une exigence commune à ceux qui souhaitent devenir leader, le même cœur. Que voulez-vous dire ?

Je pense qu’il y a une double question.

D’abord il n’y a pas de leadership. Chacun a son caractère, son expérience, sa dynamique. Vous avez des personnes plutôt extraverties qui sont très bons leaders, et vous avez des personnes introverties qui sont d’excellents leader également. Donc chacun a sa personnalité, son expérience, d’une part.

Et puis ensuite, sur la partie cœur. Avec le recul, mes trente ans d’expérience, quand je me pose et je me dis qu’est-ce qui fait la différence en tant que leader pour moi, c’est l’aspect humain c’est d’être proche des gens qui nous entourent, c’est de les écouter, de comprendre ce qu’ils sont, de comprendre leur force, de les accompagner dans leur développement et puis de faire en sorte qu’ils se dépassent pour s’accomplir.

Et au niveau sociétal, c’est aussi d’être à l’écoute des plus démunis ou de ceux qui en ont besoin. Donc c’est bien évidemment le sous-titre du livre : le cœur des entreprises. Et le cœur de l’entreprise, c’est toute la générosité, en fait, c’est l’aspect humain.

Alors vous l’expliquez aussi dans le livre. Le leadership est inhérent à une volonté de changement et d’évolution. D’ailleurs, vous citez de nombreux grands entrepreneurs du XXème siècle qui ont clairement fait bouger leur époque, et même notre civilisation. Et pourtant, vous vous réclamez d’une nouvelle éthique du management. Alors finalement, quelle est la différence entre les leaders d’hier et ceux d’aujourd’hui ?

Les leaders d’hier étaient vraiment, en termes d’image, la figure forte, la grande figure. Aujourd’hui on va travailler en équipe, on va mettre ses collaborateurs sur le devant, on va en fait chercher à faire naître, éclore et accomplir le leadership de chacun.

En fait, puisque le leadership n’est pas le dépositaire d’une seule personne, il est en chacun d’entre nous. Et ce que l’on veut en fait, c’est vraiment démultiplier ses forces pour aller encore plus loin.

En lisant votre livre, on comprend qu’être un leader c’est avant toute chose être le meneur de sa propre vie rattachée à des valeurs et des principes. Quels sont selon vous les valeurs principales, en fait essentielles, pour les leaders ?

Alors en effet un leader c’est quelqu’un qui se connaît déjà lui-même. C’est un travail continu. C’est le travail d’une vie en fait. Quand on décide d’être leader et particulièrement au plus jeune âge, c’est un très long chemin, et c’est un travail sur soi pour bien se connaître. Et en faisant ce travail c’est aussi bien comprendre la mécanique et le fonctionnement des autres. Et il y a ce que j’appelle des fondamentaux pour être un leader, que ce soit dans l’énergie, dans l’humilité, dans l’authenticité, dans l’hygiène de vie etc. Autant de sujets que j’évoque et qui, pour certains, occupent des chapitres complets de ce livre. Oui, les fondamentaux sont prépondérants est déterminants pour vraiment prendre toute cette dimension du leader.

Et selon vous, sans évoquer la question, est-ce un talent naturel ou peut-on devenir leader ? Et est-ce qu’il faut quand même certaines prédispositions de la personnalité pour être leader ?

Alors moi clairement, je cite cette phrase dans mon livre. Comme vous le savez je suis franco-grec. Et ma mère me disait toujours me répétait : « l’homme ne naît pas, il se construit ». Je trouve cette maxime très optimiste. Et combien de fois dans ma vie j’ai vu des gens auxquels on a pu barrer la route ou vouloir s’opposer à leurs propres projets, et les voir réussir. Et je trouve ça tellement beau.

Donc oui, pour moi, l’homme se construit. Si on décide de devenir un leader, on s’intéresse, on est passionné et on va aller piocher les différentes fondamentaux qui font que l’on s’accomplit en tant que leader, on va aller écouter, observer, chercher conseil, donc se construire. Et bien évidemment, l’enfance et l’éducation sont prépondérants dans la personnalité des individus. Et puis il a forcément une part de génétique. Mais ma croyance, c’est qu’on se construit soi‑même.

On va aborder la question du sociétal, de l’impact sociétal, mais toujours en lien avec le leadership évidemment. Et je voudrais commencer par reprendre une phrase de votre livre qui dit « une entreprise n’est pas une machine, c’est un cœur qui bat, une âme qui vit ». Est-ce que vous pouvez commenter cela ?

Bien sûr, ce que je veux dire par là, c’est qu’une entreprise, c’est l’humain avant tout. Ce sont les personnes qui la constituent. Et c’est justement cette force qui se dégage de ces personnes. Or cette force, elle se dégage si les personnes sont respectées, impliquées, considérées.

On a perdu ce sens ces dernières années. On l’a vu notamment dernièrement avec la crise sanitaire, où les gens se sont retrouvés, se sont ressourcés, se sont recentrés. On cherche du sens, on cherche à vivre pleinement sa vie. Et c’est l’un des défis à relever dans l’entreprise d’aujourd’hui, de considérer le collaborateur, l’employé, le salarié. L’aspect humain prévaut par-dessus tout, en fait.

L’expression du « cœur » qui est même présente dans le titre de votre livre, c’est cette volonté de revenir vers le fond des choses. Et finalement, qu’est-ce qu’un leader sociétal ?

C’est un leader qui fonctionne avec ses tripes, qui considère les autres, qui est empathique. C’est un leader qui est généreux et qui met l’humain au centre de l’entreprise. Le cœur, c’est la générosité.

Dans votre livre, vous revenez aussi sur ce souci du temps et de l’investissement, si je puis dire, des collaborateurs, des personnes. Vous écrivez : « Chers fournisseurs, gardez vos commerciaux plusieurs années au même poste, et vous verrez vos résultats progresser ». Alors il est clair qu’un contrat long est bénéfique aux salariés, mais en quoi l’est-il aussi pour l’employeur ? Et puis par là aussi je voudrais vous parler de cette notion de temps long qui vous est chère.

Sur le premier sujet, le rôle d’une entreprise, c’est de servir le client. Et si je puis dire, dans les entreprises aujourd’hui, avec les CRM, les logiciels, et le digital, et on est en train de s’égarer dans l’automatisation de la relation client. Il faut très vite retrouver de l’humain. Et l’humain, c’est une relation, c’est un échange, c’est de la confiance, c’est du temps.

S’agissant du turnover des commerciaux, tel que je le vois actuellement chez les fournisseurs, toutes entreprises confondues, et on parle de dizaines et de dizaines de fournisseurs, même si on essaie de limiter le nombre de partenaires que l’on a, on est sur une moyenne de deux ans.

On a aussi deux mondes qui s’opposent en quelque sorte. On a le monde des grands groupes, qui sont pour la plupart nos fournisseurs. Et on a le monde de la PME, que nous sommes. Et dans une PME, on constate que la durée et l’équilibre des collaborateurs sont plus longs, voire beaucoup plus longs que dans un grand groupe.

Donc ces nouveaux commerciaux, quand on les accueille, il faut à nouveau leur expliquer qui on est, quelle est notre vision, quelles sont nos valeurs, quels sont nos objectifs. Et il faut souvent tout reprendre.

Et quand le commercial du fournisseur change, c’est une opportunité pour le client. C’est à ce moment-là que nous sommes tenus de repenser la relation, de changer, d’aller voir ailleurs, et malheureusement tout le monde y perd. Nous clients, on y perd en efficacité, et évidemment le fournisseur perd en volume. C’est actuellement un souci réel.

Dans votre livre toujours, vous distinguez quatre grandes périodes dans une carrière professionnelle : l’âge de prouver, l’âge de l’expérience et du développement, l’âge des responsabilités, et puis l’âge d’or. Alors j’aimerais savoir ce que vous répondez aux partisans du « tout, tout de suite », ceux qui veulent passer du point A au point D sans passer par les cases B et C.

Je leur réponds qu’ils peuvent essayer, qu’ils peuvent faire leur propre expérience. Mais voilà, ça semble évident qu’il faut donner du temps au temps. Un chapitre du livre est consacré au temps.

Oui il faut être très vif, oui il faut être très proactif dans les affaires. Mais le temps long est extrêmement important, et particulièrement dans une PME. La grande force d’une PME, c’est l’humain bien évidemment. Et c’est aussi le temps long. C’est se donner du temps. Nous ne sommes pas liés à un cours de bourse, nous ne sommes pas liés nécessairement à des actionnaires qui mettent une pression forte, nous sommes liés à des entrepreneurs patrimoniaux et familiaux qui s’inscrivent sur une génération, voire plusieurs générations, et qui savent donner du temps au temps.

Parfois on veut prendre des raccourcis, et on se dit voilà, on a tel projet, telles ambitions, telle vision, et on va le réaliser en un an ou trois ans. La réalité, c’est que souvent, c’est cinq ans et dix ans. C’est la réalité. C’est ce que je constate en tant que chef d’entreprise et entrepreneur et que mes pairs me retournent également.

Donc oui, donner du temps au temps pour réussir, c’est capital. Et puis pour proposer les choses et pour faire les choses convenablement.

J’ai bien compris que cet ouvrage est aussi destiné aux nouvelles générations, qui justement cherchent du sens. Le leader sociétal, c’est ce souci de proposer du sens à ces nouvelles générations. Et de façon générale, vous avez le souci d’aider cette nouvelle génération. À ces fins, envisagez-vous de plaidoyer auprès de dirigeants politiques et économiques. Est-ce que vous envisagez de les interpeller à ce sujet ?

Je ne me défile pas. Je fais partie d’une génération de seniors. Et je ne me dis pas « alors voilà, je laisse un héritage aux plus jeunes, et eux les jeunes arrivent avec du sang neuf, des nouvelles idées, ils vont changer les choses ». Non, de grâce, ma génération a sa propre responsabilité. Et oui, évidemment, l’enjeu c’est de transmettre, de les accompagner au mieux, de les écouter avec leurs richesses et leurs idées. Et ces deux mondes se rencontrent pour aller dans le même sens.

Quant au plaidoyer, je fais partie de l’association APIA des administrateurs indépendants en France pour les PME et ETI. Au sein de cette association, je veux jouer un rôle dans le domaine de la RSE, la responsabilité sociétale des entreprises.

Je fais aussi partie en tant que franco-grec de la Chambre de commerce et d’industrie franco‑hellénique à Athènes. Et donc je m’apprête à jouer un rôle dans la RSE, et à promouvoir la RSE en Grèce.

Et puis évidemment avec ce livre, par l’intermédiaire de rencontres, de conférences, je vais promouvoir et véhiculer la parole du leader sociétal.

Je voudrais revenir aussi sur quelque chose de très important en tant que chef d’entreprise. C’est la notion de performance dans l’entreprise. C’est très important certes, mais ça m’a un peu fait penser à des formules toutes faites. On sait comment faire de l’argent, produire toujours plus, la quête de rentabilité, du chiffre etc. Je voulais savoir comment articuler cette réalité-là avec votre souci du sociétal, le souci du sens justement, et du bon sens aussi pour notre environnement, pour la société. En quoi est-ce que les deux peuvent s’articuler ?

Tout simplement, l’un nourrit l’autre.Être un leader sociétal, c’est être responsable, c’est être généreux, c’est offrir. Et pour offrir, il faut avoir. Au-delà de ça, le rôle d’une entreprise, le rôle de l’entrepreneur, du chef d’entreprise, c’est d’être performant vis-à-vis d’un client, et puis ensuite de se donner les moyens, dans un monde concurrentiel, d’exister, d’aller au-delà, de devenir un leader dans son secteur, d’être avant-gardiste dans son secteur.

Et pour cela il faut avoir des moyens, il faut être efficace, il faut être performant. On ne peut pas se dire que le monde de l’entreprise, c’est un monde qui va offrir un cadre sociétal social ou environnemental sans moyens. Ces moyens, il faut se les créer soi-même. Et pour se les créer, il faut être performant, tout simplement.

Dans la société française, les entreprises ne sont-elles pas selon vous davantage perçues comme une source de problèmes ? On recherche des solutions, dans un modèle de consommation qui puise dans toutes nos ressources. Dans ce contexte, l’entreprise peut donner le sentiment de générer des problèmes, plutôt que d’apporter des solutions. Comment voyez-vous les choses ?

Uneentreprise, ça joue un rôle économique majeur dans notre société. C’est l’entreprise qui crée des emplois, et les emplois permettent aux uns et aux autres de vivre. Une entreprise, ce n’est pas un problème.

Ensuite, chaque entreprise se doit d’être responsable. Et fort heureusement, nous entrons dans une nouvelle ère qui, certes existe depuis des années, mais aujourd’hui prend tout son sens. C’est l’ère de la responsabilité sociétale des entreprises où chacun doit être responsable, et où on avance pour le bien de notre société. Tout le monde a bien compris qu’on est allé beaucoup trop loin dans nos comportements vis‑à‑vis de notre planète.

Aussi, j’ai un peu le sentiment qu’en France, on perçoit les leaders, les patrons comme générateurs de problèmes, et pas comme ceux qui peuvent amener le changement nécessaire pour notre société.

Est-ce que d’après vous, votre démarche au travers de ce livre notamment, c’est aussi l’idée de réconcilier la population avec les patrons, avec les entreprises ?

Complètement. Avec ce livre, j’ai fondé la notion de leader sociétal, je l’ai formulée. Mais le leader sociétal existe depuis toujours.

Parfois on se cristallise sur une minorité de patrons voyous. Oui cette minorité existe. Et c’est malheureux, c’est déplorable.

Ceci dit, la forte majorité des patrons agissent pour le bien de la société et beaucoup d’entre eux ont, de manière consciente ou inconsciente, cette approche d’un leader sociétal. Et ils jouent un rôle majeur dans l’équilibre de la société et dans l’équilibre social et environnemental.

Est-ce que d’après vous, dans le monde politique, il existe des leaders sociétaux ?

Évidemment, le politique, son sens, son rôle majeur, c’est la citoyenneté, c’est le citoyen, c’est la nation. Donc oui, c’est forcément un rôle sociétal majeur.

On dit parfois que le pouvoir corrompt, et que certains leaders politiques peuvent surtout préférer le pouvoir, leur carrière, et leur image, au bien commun.

Mais les politiciens sont des femmes et des hommes avant tout. Ils ont des bonnes âmes et œuvrent pour le bien commun. Je suis optimiste et crois être en phase avec cette réalité.

Je voudrais reprendre une phrase extraite du livre. Vous dites : « seule une Union Européenne innovante, solidaire, et indéfectible pourra nous sauver ». Alors quelles sont les attentes vis-à-vis de l’Union Européenne, pour un chef d’entreprise comme vous ?

Déjà, quel bonheur de vivre dans l’Union Européenne, et quel bonheur d’être européen. L’Europe a été créée pour la paix, donc on vit dans une Europe de paix.

Ensuite, on a la chance d’avoir un marché qui s’est considérablement élargi, puisqu’on vit sur un continent. Donc l’Europe c’est une belle réussite.

Ensuite, il y a des limites en tant qu’entrepreneur, et particulièrement en ce qui me concerne. Dans le bâtiment, on voit des entreprises de pays de l’Europe arriver en France avec des prix ultra bas. C’est la raison pour laquelle les prix sont cassés.

On compte deux limites essentiellement.

La première limite, c’est le respect des conditions de travail en termes de sécurité notamment, quand on travaille dans le bâtiment, et dans d’autres industries d’ailleurs. La priorité, c’est de protéger ses collaborateurs d’un point de vue sécurité. Et pour ça, il y a des normes, des règles, des équipements. Donc il faut vraiment être très disciplinés sur le sujet. Et souvent, on voit des personnes arriver sans aucune notion de sécurité. Le B-A-BA, la règle de base, par exemple, c’est une paire de chaussures de sécurité. Ces nouveaux venus, par exemple, n’ont pas de sécurité sociale, pour ne citer qu’un exemple.

La deuxième limite, ce sont les conditions de vie. Combien de fois ai-je vu des ouvriers issus d’autres pays de l’Union européenne, ne serait-ce que vivre sur le chantier ! Vivre sur son chantier, sans base-vie, sans sanitaires, sans moyens pour se doucher, pour se restaurer, et dormir quasiment à même le sol… Ce sont des pratiques d’une autre époque. On ne peut plus du tout accepter tout cela aujourd’hui. Être un leader sociétal, c’est avant tout être social, c’est offrir les meilleures conditions de travail pour tous, c’est le B-A-BA.

Vous avez donné ce chiffre plusieurs fois depuis le début de l’interview et au début du livre : quatre-vingt-dix-neuf pourcents des entreprises de l’Union européenne comptent moins de cinquante salariés. Vous dîtes aussi qu’il faut absolument démocratiser la pratique du leadership. Qu’est-ce que vous voulez dire ? 

S’agissant du leadership en tant que tel, il y a probablement une double question dans votre question. Le leadership est une matière, une notion, une expertise qui n’est pas encore assez développée, particulièrement en France. Et la démocratiser, c’est la faire connaître d’abord par l’enseignement chez les jeunes et ensuite par la pratique dans l’entreprise. 

Mon livre, c’est une capitalisation de ma propre expérience sur un sujet qui a toujours été une passion chez moi depuis trente ans. Ce livre est fait pour transmettre et, comme on vient de le dire, démocratiser le leadership, particulièrement auprès des jeunes et auprès des dirigeants.

Vous dites en fait que les PME, puisqu’elles sont si nombreuses dans le tissu économique européen, ont un potentiel très fort pour avoir un impact sociétal. Mais alors, quelle est la réalité d’un dirigeant de PME ? Du point de vue du leadership, est-ce qu’il y a un retard ?

Alors le dirigeant de PME, c’est bien souvent quelqu’un qui est technicien, pragmatique, engagé, et passionné. L’aspect leadership, il va l’absorber soit parce qu’il aura eu une formation initiale, soit parce qu’il aura eu une expérience dans un grand groupe, soit il fait partie d’une association, d’une fédération, et il s’ouvre lui-même par intérêt personnel à travers des lectures. 

Il va venir enrichir son savoir, sa compétence, et sa manière d’œuvrer dans son entreprise au quotidien, pour justement développer ses collaborateurs, développer son entreprise, et aller vers quelque chose de meilleur. Et s’il peut ajouter ou formaliser l’aspect sociétal, c’est encore mieux. 

Concrètement, qu’est-ce que votre entreprise, votre groupe Sigma Technologies a mis en place sur le volet sociétal ? 

D’abord, spontanément, je dirais l’aspect social. La proximité humaine au sens large, au sens noble du terme. Le fait d’être très proche de tous les collaborateurs, très à l’écoute de tous les collaborateurs. Donc, être au plus près, à l’écoute et répondre à la spécificité, aux besoins de chacun. Cela peut paraître banal mais c’est aussi une grande force des PME et c’est pour cela que je dis que beaucoup de PME font déjà du sociétal, ne serait-ce que par cette action-là. 

Ensuite, il y a une spécificité dans chaque métier. Nous sommes dans le bâtiment, nous sommes électriciens et notre premier levier, c’est d’œuvrer pour l’efficacité énergétique des bâtiments. Notre objectif est donc de réduire la consommation, la maintenance, et de permettre au bâtiment de gagner en efficacité. C’est ce qui est en résonance avec notre métier. 

Enfin, je l’ai déjà évoqué, la sécurité est quelque chose d’extrêmement important dans les entreprises du bâtiment.

Dans une PME comme la nôtre, on a mis beaucoup d’énergie, beaucoup de moyens, beaucoup d’engagement.

Mais je pourrais aussi citer la diversité. Je suis signataire de la charte de la diversité depuis 2010, donc il y a plus de onze ans maintenant. Et je milite en faveur de la diversité pour réunir les talents, toutes ces belles énergies, pour vraiment permettre à l’entreprise d’atteindre une performance supérieure. 

Je sais que vous croyez aussi beaucoup aux soins par le sport. Pelatis soutient aussi des sportifs de haut niveau.

Oui, on soutient l’olympisme français par l’intermédiaire du cyclisme sur piste, qui est un très grand sport amateur français, et d’ailleurs le premier pourvoyeur de médailles pour la France depuis les jeux olympiques modernes en 1896.

Je pourrais ajouter aussi l’apprentissage. On est très au fait de former des jeunes et de les intégrer dans l’entreprise. Et j’ai envie de dire que c’est presque une obligation aujourd’hui de le faire, mais on y est fortement impliqué. 

Quelle vision, quel projet pour l’implication sociétale de votre groupe, de vos entreprises, dans les dix années à venir ? 

C’est de continuer dans ce sens. On a au niveau des bâtiments, des équipements électriques, des décrets qui sortent, qui formalisent les obligations, les besoins de notre nation voire au niveau européen, pour que le bâtiment gagne en efficacité. 

On va contribuer à, justement, réaliser ces objectifs, puis ensuite aller plus loin dans l’aspect sociétal, notamment via le projet de devenir une entreprise à mission. 

Je voudrais reprendre aussi une phrase de votre texte, deux phrases de votre livre : “nos politiques n’ont pas été véritablement préparés à exercer un rôle de leader”. Alors là, on repense aux gestionnaires, à l’approche parfois française du gestionnaire. 

Et, “Nous sommes dans un système uniforme en vase clos, nous manquons cruellement de passerelle entre le monde public et le monde privé.” 

Cela m’inspire deux questions réciproques. Qu’est ce qui existe dans le secteur privé et qui devrait inspirer le secteur public, et à l’inverse qu’est ce qui existe dans le secteur public et que pourrait reprendre le secteur privé ?

Alors, dans le secteur privé par rapport au public, je dirais spontanément la dynamique, l’énergie. Je ne vais pas dire qu’il en manque dans le secteur public. Mais voilà, dans le privé, il y a plus de créativité, d’imagination, d’espace, on ose davantage, on a les mains plus libres, plus d’agilité. Voilà, vraiment cette énergie je la mettrais en avant dans le privé. 

Ce que je mettrais en avant dans le public, c’est l’aspect citoyen, quand on travaille dans le domaine public on est là pour servir le citoyen, on est sociétal. C’est une force du domaine public.

Je voudrais revenir sur la responsabilité sociétale des entreprises, qui est officiellement visible dans les très grandes entreprises. Qu’en est-il des PME, est-ce que leur RSE mériterait d’être plus développée ?

Les PME sont souvent portées par les grands groupes. Ce ne sont pas deux mondes qui s’opposent. Les PME ont des forces, ont des faiblesses, et les grands groupes ont leurs forces, et leurs faiblesses. 

Mais les grands groupes ont cette générosité d’offrir de l’appui et de montrer la voie sur certains aspects et sur la formalisation de la RSE. On bénéficie de la locomotive des grands groupes qui vont aujourd’hui demander des certifications, vont vous demander de répondre à des questionnaires. 

Ma seule complainte serait que ces questionnaires RSE qu’on remplit, qu’on envoie : quelle est leur réelle évaluation, quel est réellement le poids que notre implication RSE prend dans le choix et dans la sélection du fournisseur que nous sommes ? A ce moment-là, j’ai encore mes doutes, et c’est sur ce point qu’on doit vraiment continuer d’évoluer et d’avancer. 

D’ailleurs, on est aussi évalués par des organismes financiers que sont la Banque de France, des sociétés d’assurance-crédit, et on doit rentrer dans des cases. Faire de la RSE aujourd’hui dans une PME, c’est la responsabilité propre. En fait, on est encore au balbutiement de la reconnaissance des entreprises qui font de la RSE dans les PME. 

Vous évoquez l’entreprise à mission, en quoi est-ce que cela consiste ? 

La Communauté des entreprises à mission est une association française qui regroupe aujourd’hui une centaine d’entreprises. On suit la loi pacte qui dit, depuis peu, qu’une entreprise doit avoir un rôle sociétal. 

On va mettre au statut de son entreprise “Quelle est la mission sociétale de son entreprise ?”. Bien évidemment, on va faire cela en allant chercher vraiment toute l’énergie de ses propres collaborateurs qu’on va impliquer dans la définition de la mission de notre propre entreprise. Et on va œuvrer pour l’aspect sociétal, donc environnemental, social, sur notre société.

On se décrète donc entreprise à mission, et on se donne les moyens d’œuvrer dans ce sens. 

Vous avez aussi évoqué APIA dont vous êtes membre. Quelle est cette organisation ? 

APIA est une association française, qui existe depuis une dizaine d’années, et regroupe ce que l’on appelle des administrateurs indépendants. APIA est particulièrement dédiée au monde des PME et des ETI. 

Un administrateur indépendant vient créer, favoriser, soutenir la gouvernance d’une entreprise. On le trouve forcément dans les entreprises cotées, on le trouve beaucoup plus facilement dans le modèle anglo-saxon, mais encore peu dans les PME françaises. 

Je veux vraiment militer à travers APIA pour démocratiser la gouvernance et la fonction d’administrateur indépendant dans l’entreprise et dans la PME française. 

Qu’est-ce que vous vous voyez faire ces dix prochaines années ? 

Déjà continuer le développement de mes entreprises, de mon groupe, du groupe Sigma Technologies, notamment en mettant en avant mes collaborateurs et des jeunes dirigeants entre autres qui m’entourent. Transmettre c’est vraiment l’âge et la période dans laquelle je suis entré et cite dans mon livre.

Ensuite, m’impliquer via les associations auxquelles j’adhère, APIA, la Chambre de commerce franco-hellénique à Athènes, et continuer d’écrire et de transmettre via des conférences.

Vous êtes, vous l’avez dit, très optimiste. Mais quelle est votre recette, à quoi vous accrochez-vous au quotidien ? 

Ce n’est pas une recette. Ce que vous avez décrit est une réalité, pour sortir de la réalité, pour aller de l’avant, il faut être optimiste. 

N’oublions pas que c’est le rôle d’un leader, ce n’est qu’un petit élément, il est là pour entraîner toute une équipe, tout une force, toute une dynamique autour de lui. 

Vous imaginez un leader qui arrive le matin les bras ballants, la tête baissée ? Non, le leader c’est quelqu’un qui est en phase avec la réalité mais qui veut en obtenir le meilleur. 

C’est grâce à son tempérament et à ce qu’ils distillent à ses équipes. Distiller ce tempérament positif, optimiste, c’est le meilleur moyen de sortir de l’adversité. Et d’ailleurs, c’est dans l’adversité que l’on reconnaît le caractère des gens.

Pour en savoir plus : https://leadersocietal.fr/


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