Afficher le sommaire Masquer le sommaire
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
- Entreprendre :
- Matthieu Pigasse :
Fiscalité des entreprises, régulation des marchés finaciers, sortie de l’euro, exil fiscal : Matthieu Pigasse, directeur général de la Banque Lazard et repreneur du journal Le Monde livre sa vison de l’économie. Ce financier de 46 ans, réputé de gauche, pousse François Hollande à agir vite et fort.
Entreprendre :
Les responsables politiques comprennent-ils l’économie ?
Matthieu Pigasse :
Le monde a connu une véritable révolution au cours des dernières années. Il est devenu global, ouvert et immédiat. On met 24 heures à en faire le tour en avion mais une image ne met qu’une seconde à être diffusée partout grâce à Internet. Il en découle une complexification et une accélération. Alors oui, on constate que les politiques ont beaucoup de difficultés à appréhender le monde tel qu’il est devenu. Or, pour pouvoir agir, il faut comprendre le monde, et pour pouvoir le comprendre, il faut le connaître et l’appréhender avec justesse.
Entreprendre :
Vous souhaitez l’émergence d’un «nouveau Roosevelt». Qui pourrait endosser ce costume ?
Matthieu Pigasse :
Je ne suis pas responsable de casting, je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points ! Je dis simplement que plus que d’endosser un costume, il faut des gens neufs, audacieux, qui aient la personnalité et la volonté de changer et de relancer. A ce jour, quelqu’un comme Matteo Renzi semble incarner cette image à travers le plan de relance dans lequel il engage l’Italie avec conviction et enthousiasme.
Entreprendre :
Emmanuel Todd ou Hubert Védrine poussent à un « hollandisme révolutionnaire ». Y croyez-vous pour la seconde partie de son mandat ?
Matthieu Pigasse :
Je crois à un changement de la politique de François Hollande tout simplement parce qu’il n’a plus le choix : il lui faut désormais agir. Il lui faut conduire un plan de relance efficace sous peine de voir la démocratie malmenée. Lorsque la démocratie n’apporte plus de réponse afin d’enrayer la crise, le danger de la montée des extrémismes politiques, du fanatisme religieux et du communautarisme se fait sentir.
Entreprendre :
Comment sortir de l’atonie politique et de l’incapacité à réformer ?
Matthieu Pigasse :
Il faut sortir de la normalité, d’une forme de passivité qui englue le pays dans une situation d’immobilisme et d’inaction que l’on doit rompre. Il faut dépasser les paroles et passer à l’action sous la forme d’engagements forts. Il faut dépasser la peur de mal faire, sinon nous allons mourir de ne pas avoir osé. La France est dans une situation exceptionnelle qui suppose des réponses exceptionnelles, passant par la conduite d’une politique de croissance qui fasse de la compétitivité et du pouvoir d’achat des priorités.
Entreprendre :
Comment recréer le tissu industriel et redonner de l’élan à nos entreprises, qui restent en moyenne, les moins rentables d’Europe ?
Matthieu Pigasse :
La France a pour singularité d’avoir des entreprises mondiales leaders dans de nombreux secteurs : nous devons en être fiers. L’Etat doit tout faire pour aider les entreprises à maintenir leurs centres de gravité en France. En parallèle, il est impératif d’appuyer le développement des PME en leur offrant un environnement fiscal et social favorable. En France, on entretient la peur de l’échec qui paralyse les initiatives. On méprise le succès et on refuse l’échec comme c’était condamnable et impardonnable. Suivons la maxime de Mark Zuckerberg – « fail harder » – (« Echouer fort ») pour nous ouvrir d’autres perspectives. La stabilité des règles juridiques et fiscales est aussi une condition essentielle de la pérennité et du développement des PME, les changements permanents de cadre réglementaire leur nuit car elles ne peuvent suivre ces fluctuations. Il leur faut enfin plus de capitaux et de financements pour pouvoir se développer et investir.
Entreprendre :
Vous regardez avec un oeil bienveillant la politique du président du conseil italien Matteo Renzi, notamment son plan de relance de 90 milliards d’euros. Que cela vous inspire-t-il ?
Matthieu Pigasse : En dehors de la France, Matteo Renzi m’intéresse pour son côté radical et original. Matteo Renzi est fermement décidé à réformer l’Italie, il a annoncé un audacieux programme de réformes concernant tant le système électoral que la justice et le coût du travail. Il prend le contre-pied de ses voisins européens, va là où on ne l’attend pas. Chassons la normalité, renouons avec l’exceptionnel ! Je suis frappé de voir qu’en Italie, malgré un système politique complexe, il y a des hommes neufs qui peuvent se lever. Il nous faudrait un Matteo Renzi ! Il agit vite et fort. Dix jours seulement après être arrivé au pouvoir, il dit qu’il est possible de changer, et il met en place un plan de relance de 90 milliards d’euros, soit l’opposé d’une politique d’austérité. Il réduit les impôts pour les classes les plus défavorisées et relance les dépenses les plus importantes pour l’avenir : éducation, santé, innovation. Si son pari réussit, il aura créé un cercle vertueux susceptible de faire sortir l’Italie de l’ornière.
Entreprendre :
L’Allemagne est critiquée pour sa politique de bas salaires, l’abus d’emplois précaires, le dumping social, les excédents commerciaux records, la faiblesse responsabilité dans la crise de la zone euro ?
Matthieu Pigasse :
L’Allemagne n’est en rien responsable de la crise de la zone euro. Le problème en Europe est d’ordre structurel et lié à une croissance artificiellement dopée par la dette depuis plusieurs décennies. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est à la fois plus de coordination – que les pays qui le peuvent relancent leur économie – et plus d’intégration. Ceci passe par des mécanismes de mutualisation financiers comme les eurobonds ainsi que la mise en oeuvre d’une véritable solidarité budgétaire. Il ne s’agit pas seulement de transferts financiers entre pays mais d’une façon de s’intégrer, de s’articuler très étroitement et d’empêcher les marchés financiers de jouer les uns contre les autres comme au casino. C’est l’alternative vers laquelle on doit tendre à travers une réponse nationale mais aussi européenne. La réponse nationale résidant dans la compétitivité et la consommation ; la réponse européenne consistant en une intégration plus soutenue et une plus grande solidarité.
Entreprendre :
Plusieurs Banques centrales des pays de la zone Euro travaillent sur des scénarios de sortie de l’euro, et de plus en plus d’économistes défendent cette hypothèse. Est-ce une option à envisager ?
Matthieu Pigasse :
Non ! Cela serait la pire des régressions imaginables pour nous tous Européens, et consacrerait un retour en arrière dramatique aux conséquences financières, économiques, sociales et politiques incommensurables. La sortie de l’euro serait une erreur historique. Le sens de l’histoire est de s’unir afin d’être forts ensemble, il n’existe aucune autre alternative. Nous sommes dans une espèce de zone grise, d’entre-deux très dommageable. Nous en avons fait trop ou trop peu. Il ne faut pas moins d’Europe mais au contraire, « plus et mieux d’Europe. Notre horizon, c’est l’Europe. Nous partageons une histoire commune et des valeurs communes et nous devons avoir un destin commun. L’entreprise n’est pas simple et je mesure la réticence des opinions publiques mais le leadership consiste précisément à ne pas se contenter de suivre l’opinion publique mais au contraire, à la conduire là où l’on pense qu’elle doit aller. Quelques mesures emblématiques fortes sont nécessaires pour marquer les esprits. A titre d’exemple, qu’attendons-nous pour créer des ambassades communes franco allemandes dans le monde ? Partageons aussi notre siège au Conseil de sécurité des Nations Unies avec l’Allemagne. Ce geste sera perçu par l’Allemagne comme un symbole extrêmement fort d’union. Il faut un noyau central qui prend des décisions fortes et que ceux qui le souhaitent derrière suivront le mouvement amorcé.
Entreprendre :
Vous affirmez que la civilisation occidentale est victime d’une montée de l’individualisme. Jusqu’où ira-t-elle ?
Matthieu Pigasse :
Cette montée de l’individualisme est un phénomène sans précédent. Il vient tant de la Gauche que de la Droite. Il existe une tradition individualiste de gauche anarcholibertaire et une tradition individualiste de droite libérale. Dans tous les cas, cette montée de l’individualisme résulte des triomphes de la société de consommation et du spectacle. Nous évoluons dans l’ère du consumérisme célébrant l’adage « je consomme donc je suis » qui remet dangereusement en cause l’existence même du lien social. Le paraître l’emporte sur l’être. Ce phénomène est amplifié et nourri par les réseaux sociaux, lesquels conduisent à considérer que le point de vue de chacun a la même valeur, que l’on soit expert ou pas. Les dangers de ces approches très populistes sont réels.
Entreprendre :
Comment réguler les marchés financiers ? Est-ce seulement envisageable ?
Matthieu Pigasse :
La régulation des marchés financiers est non seulement possible mais elle est nécessaire. Il faut savoir et vouloir. La crise de 2007 a montré que lorsqu’on laisse les marchés s’autoréguler, ils s’autodétruisent. Il faut comprendre ce qui est à l’oeuvre et apporter une réponse globale. La seule manière de réguler efficacement les marchés est cependant de le faire de manière globale. Cela n’a plus de sens de l’envisager dans le cadre de frontières nationales. Ce que vous appe lez « les marchés financiers » vous échappera et échappera à chaque fois à la règlementation que vous venez d’édicter. Il faut une coordination mondiale. Que le FMI pourrait par exemple assurer.
Entreprendre :
Le libéralisme est souvent caricaturé dans notre pays… Etes-vous libéral ?
Matthieu Pigasse :
Je crois au marché. Je pense qu’il n’y a pas de démocratie sans marché et pas de marché sans démocratie. C’est la leçon du XXe siècle, de la chute du mur de Berlin et de la chute de Lehman Brothers. Le début du XXIe siècle nous a appris que marché doit être maîtrisé, encadré et régulé. Tout le défi politique actuel, c’est d’accepter le marché, le laisser jouer, s’exprimer, mais en veillant à sanctionner tout comportement illégal, anormal ou dangereux, d’où l’importance de la régulation. C’est cet équilibre que l’on doit trouver. L’effondrement des idéologies sur les vingt dernières années a laissé les politiques de droite comme de gauche hébétés. J’aime reprendre l’image du lapin aveuglé par les phares de la voiture : le lapin étant le politique ; la voiture, la conjoncture. On est tétanisé par les phares, on ne bouge plus alors qu’une voiture nous fonce dessus à une vitesse vertigineuse. C’est très simple : si vous ne réagissez pas, vous risquez de mourir. Les politiques sont dans cette situation de paralysie face à une situation désastreuse qui se dessine.
Entreprendre :
Comment limiter l’exil fiscal et rendre à la France son attractivité ?
Matthieu Pigasse :
Je ne suis pas obsédé par le niveau des prélèvements obligatoires. Il y a des pays, je pense notamment aux pays nordiques, qui ont des taux de prélèvements obligatoires proches des nôtres et qui pourtant connaissent la croissance. Le problème n’est pas le niveau des prélèvements obligatoires mais leur structure. Il faut parvenir à mettre en oeuvre une politique fiscale qui concilie la justice sociale et l’efficacité économique. Il importe de disposer de structures d’impôts et d’impositions qui favorisent la croissance. Ce n’est pas le cas de la France, qui a cette caractéristique d’avoir une base fiscale très étroite avec beaucoup de niches et d’exonérations, des taux d’impositions élevés et une taxation du travail très élevée, et beaucoup plus élévée que partout ailleurs. C’est une hérésie. Cela a-t-il un sens, lorsque le chômage est si important, de taxer autant le travail ? La réponse est non. Il y a urgence à faire une révolution fiscale qui consisterait à taxer moins le risque et le travail et à l’inverse à pénaliser la rente. Marx le désignait comme le capital mort, soit un capital qui n’est pas employé de façon productive. Il est aussi urgent de mettre en oeuvre le prélèvement à la source. C’est la meilleure façon pour moi d’adresser un signal fort de simplification de prélèvement de l’impôt et d’apaiser la relation entre l’Etat et le citoyen. Le système actuel induit un décalage d’un an dans le paiement des impôts, certains se retrouvent à payer des sommes qui ne correspondent plus à leur situation présente (perte d’emploi, décès etc..).
Entreprendre :
Peut-on le mettre en place rapidement ?
Matthieu Pigasse :
Oui. Tout est possible mais il faut le vouloir et agir. C’est le drame des politiques actuels : on parle sans passer à l’action. Je pense qu’à présent, il ne faut plus seulement parler mais agir.
Entreprendre :
En tant que co-actionnaire du Monde, comment analysez-vous la situation de la presse aujourd’hui ?
Matthieu Pigasse :
La presse est évidemment, elle aussi, confrontée à un monde qui change et donc à des ruptures très profondes. Elles sont de trois ordres. D’abord, l’évolution des comportements, de la consommation des lecteurs qui lisent de plus en plus sur les nouveaux supports numériques et digitaux. Ensuite, la réduction voire la disparition de certains points de ventes. Tertio, la crise économique elle-même qui fait chuter les recettes publicitaires. Une incroyable révolution est en train de s’opérer secouant profondément l’économie de la presse. La presse écrite est-elle pour autant menacée ? Est-ce une fatalité, un repli ou un déclin ? Je n’y crois pas, et ce pour deux raisons : jamais un support médiatique n’en a tué un autre, chacun répond à un usage différent selon le temps dont vous disposez, et là ou vous vous trouvez. La presse a cet avantage extraordinaire sur les autres médias de pouvoir proposer aux lecteurs un recul face aux événements et donc une analyse à froid. Si l’on maintient la qualité et si l’on ne cherche pas à copier ou à dupliquer ce que les autres supports médiatiques font, la presse a le potentiel de se développer.
Entreprendre :
N’existe-t-il pas un risque de concentration monopolistique des principaux quotidiens ?
Matthieu Pigasse :
Il n’existe aujourd’hui aucun risque avéré de concentration et encore moins de monopole. Il existe différents univers de presse : la presse quotidienne régionale, la presse magazine et la presse quotidienne nationale. Dans cette dernière, vous avez différents champs politiques et culturels. Le Figaro ne dit pas la même chose que Libération ou Le Monde. Ce qui est fondamental, c’est de veiller au pluralisme et à la liberté d’expression. Je pense que c’est le cas. Vous ne verrez pas Dassault racheter Libération, pas plus que vous ne verrez Pierre Bergé, Xavier Niel et moi racheter Le Figaro. C’est comme ça qu’on assurera le pluralisme. Je préfère voir un peu de consolidation se réaliser plutôt que de voir disparaître des titres de presse.
Le ton de la presse quotidienne est tout de même assez monocorde avec une uniformisation du traitement de l’information… Je suis d’accord. Il y a trop de normalité aussi (sic) dans la presse quotidienne nationale. Nous veillons à ce que, par exemple, Natalie Nougayrède (directrice du Monde, Ndlr) dans la responsabilité et l’indépendance qui est la sienne fasse entendre une voix du Monde différente des autres, à la fois forte et originale, reflet de l’excellence qui doit être la sienne.
Entreprendre :
Intervenez-vous dans l’anglage éditorial ?
Matthieu Pigasse :
Jamais. Le principe qui prévaut est celui de l’indépendance des rédactions. Il est consacré par des chartes que nous avons signées et souhaitées, et qui se trouvent dans les statuts des différents journaux dont nous avons pris le contrôle et assurent une étanchéité totale entre les rédactions et nous. Mais ça n’empêche pas de défendre l’identité propre de ces journaux. Nous disons simplement que Le Monde doit porter haut et fort les couleurs qui sont les siennes, c’est-à-dire celles d’un journal institutionnel et de référence. Les Inrocks, par exemple, incarnent quelque chose de tout à fait différent, une forme d’insoumission.[FIN]