Il était programmé pour être expert-comptable, il est finalement devenu entrepreneur. Fondateur du fonds 123Ventures, Olivier Goy est à présent à la tête de Lendix, première plateforme européenne de prêt aux PME, qui a levé 32 M€ auprès de Partech, Allianz et de la famille Decaux. Son obsession ? Aider les PME à se financer.
On lit souvent que votre mère souhaitait que vous embrassiez la carrière d’expert-comptable à votre sortie de l’EM Strasbourg. Est-ce vrai ?
C’est vrai. Ce qui lui plaisait beaucoup dans ce métier, c’était la stabilité. Elle a été mal servie car je suis devenu entrepreneur, qui est le métier où il y a le moins d’assurance (rires).
Comment avez-vous changé de voie ?
Au cours d’une année d’études à HEC Montréal en 1998-99, j’ai découvert deux choses : Internet et le capital-risque. Ces deux sujets qui se recoupaient me passionnaient. Ce fut une révélation professionnelle. J’ai donc bifurqué et je suis rentré à 25-26 ans dans un fonds de capital-risque (Partech Ventures, NDLR). J’investissais dans des sociétés technologiques.
9 mois plus tard, vous pivotez à nouveau en créant 123 Investment Managers(ex 123Ventures)…
Je suis en effet devenu entrepreneur, avec beaucoup d’inconscience… 123Ventures est un fonds de private equity destiné aux investisseurs privés. C’est là que je suis tombé dans le bain du financement des PME, qui est le fil rouge de ma carrière. J’ai constamment cherché à démocratiser l’accès des PME au capital investissement. Il y a 18 ans, c’était très innovant de permettre à des particuliers d’investir dans des sociétés non cotées.
Comment avez-vous vécu les débuts difficiles de 123Ventures ?
Je dois dire que ça marque une vie professionnelle. On a créé 123Ventures en 2000, et on a lancé le premier fonds le 4 septembre 2001… Quand vous créez une société dont le métier est de faire prendre des risques aux gens à une période où ils ne veulent plus prendre de risques en raison de la crise et des attentats… A peine la société créée, il a fallu licencier des gens, se battre deux fois plus dur pour deux fois moins de résultats. On a frisé le dépôt de bilan. Je me suis forgé une culture de la résilience.
Avez-vous songé à tout laisser tomber ?
Jamais. C’est ça le plus paradoxal. En fait, vous ne vous posez même pas la question : vous y allez, vous vous battez. L’énorme chance d’entreprendre très jeune, c’est que vous êtes insubmersible. Vous n’avez pas de coûts fixes, pas d’obligations familiales… Vous prenez des coups, mais vous êtes résistant. La naïveté vous aide à survivre.
Votre plus grande satisfaction est-elle d’avoir « survécu » à ce tumulte ?
Oui. 123Ventures marche désormais très bien, la société gère 1,5 Md€, possède 70 000 clients privés, et a parfaitement résisté à la crise de 2008.
Après avoir développé 123 Investment Managers entre 26 et 40 ans, vous décidez de repartir de zéro en 2014. Pourquoi ?
A cette époque, j’ai vu arriver une nouvelle réglementation qui ouvrait une brèche dans le monopole bancaire et permettait enfin à des particuliers de prêter de l’argent à des PME. Cette évolution concernait plusieurs domaines qui m’étaient familiers – les PME, l’investissement, la technologie et la réglementation. C’était fait pour moi.
C’était un challenge personnel ?
Un peu. J’avais 40 ans, je faisais la même chose depuis 15 ans. Alors, je me suis dit : et si je prenais le pari de repartir d’une feuille blanche pour prouver que ma première fois n’était due à la chance ? Cela tombait bien : mes associés chez 123Ventures étaient prêts à prendre les manettes. Je ne suis d’ailleurs plus du tout opérationnel aujourd’hui (Olivier Goy est encore président du conseil de surveillance du fonds et actionnaire, NDLR).
Comment décrire Lendix ?
C’est une plateforme qui permet aux PME d’emprunter en dehors du système bancaire directement auprès d’investisseurs particuliers et institutionnels, ce qui était impossible avant. On propose une nouvelle classe d’actifs et on offre aux entreprises une alternative aux banques.
Financez-vous des entreprises qui ne parviennent pas à se financer auprès des banques ?
Chez Lendix, nous n’avons pas les rejetés du système bancaire. Nous n’avons que des entreprises financées par les banques mais qui, à un moment donné, ne trouvent pas la réponse dans le système bancaire.
Pourquoi avoir choisi pour un premier emprunteur très réputé (Alain Ducasse Entreprise) ?
On voulait tordre le cou à l’idée qu’on allait financer ceux que personne ne veut. On voulait effacer cette image : cela aurait été dévalorisant pour les entreprises et ça ne donnait pas non plus envie aux prêteurs de financer des sociétés au bord du gouffre. Mais on se rend compte qu’il ne suffit pas d’être au bord du gouffre pour avoir des difficultés à se financer dans l’univers bancaire…
Combien de PME ont déjà emprunté sur Lendix ?
Depuis avril 2015, on a prêté de l’argent à près de 500 PME pour un total de près de 200 M€.
Quelle est la typologie de ces entreprises ?
A notre grosse surprise, nous avons beaucoup de grosses entreprises, comme le groupe Parot (concessionnaire automobile, NDLR) qui fait 290 M€ de chiffre d’affaires, alors qu’on pensait surtout s’adresser à des TPE type boucherie, boulangerie… Les banques ne suffisent pas à ces sociétés : ils ont besoin d’acteurs comme nous.
Sur notre plateforme, le chiffre d’affaires varie entre 250 000 et plusieurs centaines de millions d’euros. La PME moyenne qui emprunte sur Lendix fait 2 M€ de CA avec 10-20 salariés. On ne finance pas des sociétés en retournement ou en mode start-up.
Quels sont vos critères de sélection ?
En premier lieu, la capacité de remboursement. On ne sait financer que des entreprises déjà rentables.
30 % des prêteurs sont des particuliers. Qui sont les 70 % restants ?
Ce sont des institutionnels : des assureurs (Groupama, CNP Assurances, Matmut), des investisseurs publics (Bpifrance, Banque européenne d’investissement) et des familles fortunées.
Quel est votre modèle économique ?
C’est gratuit pour les prêteurs. Les emprunteurs payent des frais de dossier.
Quelle est votre valeur ajoutée par rapport à la concurrence ?
Premièrement, notre dualité de prêteurs, des particuliers et des institutionnels, qui nous permet de financer des dossiers plus importants. On est capable de financer des petits dossiers qui cherchent 30 000 euros comme des projets qui cherchent 5 M€. La deuxième, c’est notre volonté d’être dès le démarrage une plateforme paneuropéenne.
Lendix est déjà opérationnel en France, Espagne et Italie ; on est en train d’ouvrir les Pays-Bas (octobre 2018) et l’Allemagne (début 2019). Aujourd’hui, un prêteur français peut financer une société italienne. On a créé le Erasmus du financement. On permet à l’Europe de fonctionner sur le plan économique en finançant des PME.
Dans votre esprit, que doit devenir Lendix ?
On a conscience qu’on est une goutte d’eau : on a financé 200 M€ de prêts aux PME (Lendix représente entre 57 et 60 % du marché français, NDLR), ce qui est extrêmement modeste au regard du marché du financement bancaire. Ce qui nous donne de l’espoir, c’est que le marché représente 80 Md€ dans chaque pays.
L’idée que d’ici quelques années Lendix puisse prêter plusieurs milliards d’euros par an n’est pas folle. Un acteur comme Funding Circle (pionnier du crowdlending au Royaume-Uni et seul vrai acteur paneuropéen, NDLR), qui s’est lancé il y a 10 ans, prête plusieurs milliards d’euros par an. On veut devenir un acteur de l’économie.
Qui sont vos actionnaires ?
Ils sont de trois types : des familles (Decaux, De Benedetti), des fonds (Partech, Idinvest) et des assureurs (CNP Assurances, Matmut, Allianz).