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Jean-Pierre Barjon (président du Trot et d’Équidia) : « Entreprenez comme vous êtes »

Entreprendre - Jean-Pierre Barjon (président du Trot et d’Équidia) : « Entreprenez comme vous êtes »

Il est formidable Jean-Pierre Barjon ! Après avoir fait de Lorina la marque française de référence de la limonade, à Munster en Moselle, il récidive aujourd’hui à la tête des courses hippiques et du Trot. Éleveur de chevaux dans l’Allier, il a même gagné le grand prix d’Amérique… Un cas d’école.

Comment avez-vous fait pour devenir le leader de la limonade avec Lorina ?

Jean-Pierre Barjon : En fait, à mes 35 ans, quand j’ai acheté cette entreprise, j’avais renoncé. J’étais dans un process depuis deux ou trois ans à essayer de reprendre une entreprise avec comme cahier des charges de pouvoir conserver mon emploi et de faire la transition, puisque j’étais directeur général avec un statut de cadre supérieur. Au bout d’un process de trois ans, j’ai en effet trouvé quelques entreprises à reprendre, mais je n’avais pas les moyens de les racheter. Comme certains achètent des vignobles, moi j’ai acheté une petite limonaderie dans l’Est. Donc quand j’ai racheté Lorina, je l’ai fait au départ comme un hobby, pas comme un projet d’entreprise. D’ailleurs j’ai conservé mon emploi pendant deux années, en me consacrant à l’entreprise en plus, le soir et le week-end. Je n’ai franchi le Rubicon que deux ans plus tard.

En plus de 20 ans, vous avez multiplié le chiffre d’affaires de Lorina par 1200…

On a en effet multiplié par 1200 le chiffre d’affaires mais surtout par 4000 les revenus de l’entreprise. Ce qu’il faut dire c’est qu’au départ, à l’époque, je n’y connaissais vraiment rien en produits de grande consommation et comme j’ai conservé mon emploi, j’ai réussi à créer au-tour de moi ce que j’ai appelé « la chaîne de l’amitié » dans laquelle sont venues nous rejoindre bénévolement des personnes très qualifiées : Hubert Kratiroff qui était professeur de marketing à l’ESCP, mais aussi Frédéric Gatsaud, directeur artistique chez Leo Burnett, et Félix Bogliolo, polytechnicien, docteur en économie, considéré par beaucoup comme le « Monsieur Création de Valeur » français avec sa société qui implantait des systèmes de gestion par la valeur dans les entreprises. On se voyait tous les dimanches après-midi dans un bar au Royal Monceau et ils m’aidaient à dessiner la feuille de route du projet que je suivais comme un employé modèle.

C’est bien votre fameuse « challenger attitude » qui permet de réussir ?

Après ces deux années où j’ai appris ce nouveau métier, je n’ai cessé de chercher et de trouver des leviers. C’est ça le secret. La grande distribution était alors le levier le plus important à actionner pour un produit de consommation comme la limonade. Du reste, juste avant de racheter l’entreprise, j’avais rencontré Lionel Poilâne qui m’avait rassuré par sa connaissance de l’agroalimentaire en me parlant de la rétro-innovation. Il m’a expliqué que j’avais raison de me lancer dans ce business, car avec la distribution moderne, j’allais pouvoir rendre disponible un produit qui était sorti du marché : une limonade dans une bouteille en verre avec un bouchon mécanique. Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’il y a 50 ans, vous aviez une fabrique de limonade dans tous les villages de plus de 3000 habitants. C’était un produit local, mais qui ne se vendait pas hors de sa région.

Or, la distribution moderne avec sa logistique nous a permis de vendre nos produits aux États-Unis, en Espagne, en Italie mais aussi partout en France, ce que nous n’aurions pas pu faire nous-même sans ce levier. Il y a eu en fait un alignement des planètes entre un intérêt du consommateur pour un produit qu’il connaissait mais qu’il avait oublié et la capacité à apporter le produit en termes de logistique industrielle aux clients.

A la fin, ça a donné une bouteille de limonade présente dans 17% des foyers français. Donc c’est ça l’histoire de Lorina, un travail d’équipe et l’utilisation de la grande distribution sans laquelle on n’aurait pas pu se développer. A Munster en Moselle, avec Lorina, on a aussi fait un travail de revitalisation rurale, puisqu’aujourd’hui sur la centaine d’emplois, il y en a au moins soixante-dix qui font 30 kms pour venir travailler à Munster. On en a donc fait un pôle d’attractivité pour l’emploi.

Vous avez une autre passion que l’entrepreneuriat qui est celle de l’élevage de chevaux de courses, avec des victoires lors de prix prestigieux. Comment est-elle née ?

Elle est née par une curiosité. Dès que j’ai été adolescent, j’ai essayé de comprendre d’où venait le succès des grands industriels. J’ai lu toutes les biographies des grands noms de l’industrie, de Marcel Dassault à Lagardère. Ce dernier notamment passait deux heures par jour à s’intéresser à l’élevage, aux courses et aux chevaux. Et j’ai découvert que derrière ce qui peut être un hobby pour certains et une industrie pour d’autres, il y a un terrain d’action rêvé pour un entrepreneur. Il n’y a pas meilleur terrain de jeu ! Il y a une prise de risque absolue et dans l’élevage, vous pouvez construire sur des partis pris, ce qui est particulièrement intéressant. En plus, vous ne pouvez pas réussir si vous n’avez pas les bonnes équipes d’entraîneurs et de jockeys.

Après, il faut être malin dans le choix des courses et des programmes, il faut aussi avoir de la chance. A la fin, vous allez ressentir les plus grandes joies du monde de temps en temps, et vous aurez aussi très souvent des désillusions. L’entrepreneur challenger que je suis aime les pics d’adrénaline et c’est vrai que vous ne pouvez pas avoir d’émotion plus forte et plus violente qu’un Grand Prix d’Amérique. Il y a une récompense au risque et derrière il y a des revenus qui vous permettent de faire tout cela en essayant de gagner de l’argent, ce qui est le propre de l’entrepreneur.

Vous auriez pu prendre une retraite confortable après Lorina, en restant éleveur. Vous vous êtes pourtant lancé un nouveau défi en devenant en 2010 le président de Le Trot. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

C’était en fait la conviction de plusieurs choses. Premièrement, une vision collective que les tendances pour cette industrie n’étaient pas bonnes. J’ai donc défendu un programme qui s’intitule « Entreprendre pour sauver les courses ». Et en même temps, moi qui étais un entrepreneur solitaire prenant des risques souvent seul face à l’adversité, me voici, à l’âge de la retraite, me demandant ce que je n’avais pas encore fait. Il se trouve que je n’avais pas travaillé pour le monde associatif. Je me suis de nouveau retrouvé dans une conjonction extraordinaire, le monde associatif où je suis bénévole, mais avec la puissance économique de cette industrie qui réalise 10 milliards de chiffre d’affaires, avec 13 000 points de vente, 232 hippodromes, des sites internet, etc.

Donc vous voyez comment d’un petit vendeur dans la Drôme et l’Ardèche, devenu entrepreneur local, vous vous retrouvez toujours avec cette même énergie et envie d’y arriver, à être utile. C’est ce retour d’expérience qui fait que quelle que soit la taille de l’industrie, les analyses et les diagnostics sont quelque part les mêmes et nécessitent des réactions, des projets, des actions, des visions qui sont importantes.

Le plus excitant aujourd’hui pour moi, c’est d’avoir les moyens de cette puissance et d’être à la hauteur des moyens qui me sont donnés. Actuellement, je suis président de la chaîne Equidia, avec Le Trot et Le Galop nous avons 230 hippodromes et je suis administrateur du PMU. Pour faire marcher tout cela avec 3500 emplois gérés par Le Trot et Le Galop, nous organisons 18 000 courses par an. Nous sommes d’utilité publique, au service de toute une filière.

Votre système de courses est leader en Europe et dans le monde. Quels sont vos objectifs jusqu’à la fin de votre mandat en 2024 ? Remettre là encore le client au centre ?

Lorsque je suis arrivé à la présidence de Le Trot, l’année précédente les allocations avaient baissé. Depuis, elles ont retrouvé leur niveau de 2018, malgré le Covid. Comme dans toute entreprise, industrie ou système commercial, tout l’objectif est de baisser les charges et d’augmenter les marges. Pour augmenter les marges, il faut avoir plus de clients, de nouveaux jeux, des courses plus attractives pour les parieurs, de nouveaux partenariats. Dans mon ancienne vie, on parlait de l’innovation qui était fondamentale, et moi j’ai particulièrement travaillé la rétro-innovation.

L’innovation aujourd’hui, c’est de comprendre en permanence et de s’adapter aux besoins des clients. Parfois, ça passe par le marketing, d’autres par le mix produit, et puis aujourd’hui, il y a le digital. Il est évident qu’on a raté sur ce dernier point des départs de train. Aujourd’hui, pour réussir, notre marque doit être présente auprès de toutes les générations, dont les plus jeunes, les nouveaux consommateurs. On a donc cette nécessité à se projeter dans le digital avec tous ces nouveaux clients.

Cela passe aussi par des évènements collectifs comme les Assises de l’élevage organisées le 15 avril dernier à Paris-Vincennes ?

Il y a deux ans, on a commencé par les Assises du Trot pour comprendre les attentes des clients et des parieurs. Là, en effet, on s’est attelé le 15 avril dernier aux Assises de l’élevage, parce que nous sommes dans une notion de performance où la race du trotteur français a besoin de s’ajuster. Dans l’élevage c’est une mission que vous prenez pour les vingt ans à venir. Bref, avec ces deux manifestations, on a répondu à deux questions clés : d’une part, comment mieux servir les clients ? Et d’autre part comment fournir les bons chevaux ?

Êtes-vous optimiste pour l’avenir économique de nos entreprises ?

Oui, je suis très optimiste, parce qu’on est en train de revenir à l’essentiel. On voit bien que tous les modèles ont une fin. On est en train de revenir en ce moment aux fondamentaux du général de Gaulle : de la souveraineté nationale à l’autosuffisance en passant par la réindustrialisation.

Malgré tout ce qu’on dit, il y a une prise de conscience des dirigeants, des entrepreneurs et des salariés de cette nécessaire intégration économique. A la fois, on n’a jamais autant entendu parler de frontières, mais aussi de notions d’autonomie et d’indépendance. On est vraisemblablement dans une nouvelle partie, une nouvelle ère qui favorise les initiatives des entrepreneurs.

Et l’Europe, vous en pensez quoi ?

C’est toujours la même chose, on est à fond pour l’Europe mais chacun pour sa pomme ! (rires) Nous sommes de grands Européens mais Français avant tout ! Avec la compétence qui est la mienne, avant tout celle des PME et des ETI, ce que je peux dire c’est que l’Europe est un grand marché qu’il faut aller conquérir. Ce qui compte aujourd’hui, compte-tenu du déficit d’ETI que nous avons en France, c’est de les construire à partir de la création de valeur des belles PME, notamment familiales, qui sont les nôtres et de les aider à se développer et perdurer.

Comment faciliter la transmission de nos entreprises ?

Si on prend mon cas, l’entrepreneur qui m’a vendu Lorina avait 62 ans, mais personne ne voulait lui racheter son entreprise, car comme elle était alors, elle n’avait pas d’intérêt. Le vendeur qui représentait la 3e génération de l’entreprise était arrivé par son courage à faire vivre son modèle mais il touchait à sa fin. En revanche, cette entre-prise était une plateforme extraordinaire pour repartir sur une autre vision, une nou-velle histoire, qui l’a conduite au succès. En matière de reprise, toute la question est d’aller à un moment sur le terrain pour imaginer et construire un nouveau projet.

Car l’entrepreneur-repreneur, il cherche, il a faim, il est cu-rieux et il pousse des portes. La création de valeur, c’est d’arriver à partir d’une base à changer le projet. Ensuite, avec vos équipes, si vous y arrivez, le monde est à vous. Avec Lorina, le vendeur qui devait rester un an ou deux dans l’entreprise est resté 17 ans à mes côtés. Ce qui prouve bien qu’on est dans tout sauf de la fusion-acquisition, mais qu’on est avant tout dans de l’humain et du partage de va-leurs. C’est aussi cela qui fait la richesse d’une succession et le succès d’une reprise. Entrepreneur, c’est un long chemin de croix, qui est à la fois la méfiance, l’inquié-tude et l’angoisse, mais aussi l’agilité et l’énergie de sortir gagnant à chaque fois.

Quels conseils donner aux jeunes entrepreneurs ?

Je n’ai aucune leçon à donner, mais ma recette particulière a été d’avoir eu une expérience professionnelle pendant une quinzaine d’années avant de me lancer. C’est ce qui m’a permis de voir sur certains métiers, notamment commerciaux, où était l’excellence des techniques modernes. Je suis arrivé dans le monde de l’entreprise avec un background et, quelque part, ma force a été de trou-ver une petite entreprise qui avait besoin de cette expérience.

Ça, c’est la recette de mon propre parcours. Mais vous avez aujourd’hui en France des jeunes entrepreneurs qui ont des idées, qui savent lever de l’argent. Il y avait une pub qui disait « Venez comme vous êtes », alors j’ai juste envie de leur dire « Entreprenez comme vous êtes ». Je ne suis pas certain que c’est l’idée qui soit centrale dans la réussite d’une entreprise, mais plutôt l’attitude, c’est pour cela que je parle souvent de « challenger attitude », qui revient à faire plus avec moins, ce qui est la constante d’une PME, en faisant en sorte que le client pense à vous.

Ce qui est important pour un entrepreneur, c’est de délivrer : délivrer un produit, délivrer un chiffre d’affaires, délivrer une marge. Il n’y a rien d’artificiel. C’est comme ça qu’on délivre de la croissance.

Il vaut mieux entreprendre seul ou à plusieurs selon vous ?

Là encore, c’est « Entreprenez comme vous êtes ». Vous avez de grands succès avec deux personnes complémentaires et d’autres entrepreneurs qui ne peuvent pas avoir d’associés. Vous connaissez le proverbe chinois : « Si l’affaire est bonne, il faut la faire tout seul, et si elle n’est pas bonne, il ne faut pas la faire » (rires). Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans toute aventure entrepreneuriale, il y a avant tout l’association du dirigeant et de ses collaborateurs. Dans toute mon histoire, très peu de mes collaborateurs sont devenus entrepreneurs à leur tour, mais ils sont nombreux à s’être régalés de travailler avec moi. Ce qui compte, c’est donc la co-construction d’un projet avec des collaborateurs qui ne veulent pas devenir entrepreneurs.

Quelle est votre philosophie, votre rêve ?

C’était et c’est toujours aujourd’hui de créer de la valeur pour tous au sein de la filière. Ma femme me dit d’ailleurs que je passe toujours plus de temps là où je ne suis pas payé que là où je le suis. Ce qui prouve bien que le moteur de l’entrepreneur, ce n’est pas seulement l’argent. Mon moteur à moi, ça a toujours été d’entreprendre et ma force, c’est d’être toujours prêt à rebondir. Aujourd’hui, plus que jamais, mon ambition c’est d’entreprendre pour les autres.

Propos recueillis par Valérie Loctin


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