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Hubert de Boisredon et Armor sur le toit du monde

En 17 ans, Hubert de Boisredon a entièrement transformé l’entreprise industrielle quasi-centenaire Armor à Nantes, devenue aujourd'hui une ETI leader mondial avec 2000 salariés et près de 300 M€ de CA. Rencontre avec un capitaine d’industrie pour qui les enjeux sociétaux passent d’abord, avant le profit, par l’innovation et un management bienveillant.

Entreprendre - Hubert de Boisredon et Armor sur le toit du monde

En 17 ans, Hubert de Boisredon a entièrement transformé l’entreprise industrielle quasi-centenaire Armor à Nantes, devenue aujourd’hui une ETI leader mondial avec 2450 collaborateurs dans le monde et un CA de 372 M€ en 2020. Rencontre avec un capitaine d’industrie pour qui les enjeux sociétaux passent d’abord, avant le profit, par l’innovation et un management bienveillant.

De quoi êtes-vous le plus fier : la recapitalisation d’Armor à 75% par son personnel, sa présence sur tous les continents avec 30 sites industriels, l’exportation de 85% de sa production ou de contribuer concrètement aux enjeux de la société de demain ?

Hubert de Boisredon : Ma plus grande fierté, c’est de montrer avec Armor qu’une réussite industrielle française est possible aujourd’hui dans un monde extrêmement concurrentiel, à condition d’y associer l’ensemble des parties prenantes, en en faisant une réussite humaine, un projet collectif. Cette énergie est tellement phénoménale que nous sommes passés de N°4 à N°1 mondial. Ce qui me rend fier, c’est de montrer que le management par la confiance, un certain humanisme bienveillant qui inclut l’innovation sociétale, n’est en aucun cas contradictoire avec le leadership et la réussite, et qu’au contraire, il devient une force incroyable.

Et bien sûr, l’actionnariat salarié en fait partie. Le jour où l’on a réussi à prendre le contrôle du capital en 2014 a été une grande victoire. Je suis parti de rien, je suis rentré en 2004 chez Armor comme simple directeur général salarié, sans capital. Avec mon épouse, on a risqué tout ce que nous avions dans un esprit entrepreneurial et mes équipes également.

Vous venez d’investir 100 M€ pour développer votre dernière grande innovation, le film photovoltaïque organique souple. Expliquez-nous.

H.d.B. : Nous avons en effet investi sur les dix dernières années 100 millions, soit 10 millions par an. Nous avons donc fait le choix d’investir un tiers de notre rentabilité dans de l’innovation sociétale. C’est-à-dire investir pour l’avenir, plutôt que de maximiser le profit à court terme. Notre vision est extrêmement ambitieuse. Il faut comprendre qu’il existe une énergie infinie qui, plus on la récolte moins elle s’épuise, c’est le solaire. Notre constat, c’est qu’il y a des milliards de m2 de surfaces déjà bétonnées, des toits comme des façades entières qui pourraient être couverts pour produire de l’énergie solaire, mais que les panneaux solaires classiques chinois ne permettent pas de couvrir.

Chez Armor, nous avons inventé le photo-voltaïque organique, une technologie qui est souple, légère, translucide, qui laisse passer la lumière, dont le rendu est superbe et qui pèse 30 fois moins lourd que des panneaux solaires. Cette technologie qui est fabriquée en France représente un espoir énorme. Vous savez, nous sommes devenus le leader mondial sur l’impression des codes barre, pourquoi ne le serions-nous pas aussi demain sur les films photovoltaïques ? Si c’est le cas, ça révolutionnera totalement cette énergie-là et cette innovation redonnera un immense espoir industriel à la France et l’Europe.

Votre conviction, c’est que l’entreprise doit exercer un rôle sociétal, et que le profit n’est pas un but en soi.

H.d.B. : Aujourd’hui, dire que « le seul but de l’entreprise est de maximiser le profit pour ses actionnaires » choque et repousse. Mais dans la réalité du monde entrepreneurial et financier actuel, je pense que ce n’est pas encore intégré. C’est comme pour la RSE, tout le monde semble d’accord, mais à la fin, ce qui semble prédominer c’est la rentabilité. On voit bien que le choix n’a pas encore été fait de mettre les enjeux sociétaux au cœur de la stratégie d’entreprise. De plus, certains pensent même que ce n’est pas rentable. Or c’est faux. Armor en est la preuve. Nous connaissons une très belle réussite financière et de rentabilité en mettant la RSE au cœur de notre stratégie d’entreprise. Je préfère un projet bon pour l’environnement qui rapporte 12 à 13% qu’un projet à mauvais impact qui rapporte 25% !

A 57 ans, pourquoi sortir un livre où vous révélez votre chemin de vie d’homme, de mari, de père, de capitaine d’industrie, mais aussi de chrétien ?

H.d.B. : Il m’est apparu utile d’expliquer d’où vient celui que je suis aujourd’hui, quelles sont mes sources, les rencontres qui m’ont marqué, ont unifié ma vie et qui ont tout changé parce qu’elles m’ont rendu libre. J’ai compris que je n’avais pas besoin d’être parfait pour être aimé. D’où l’envie de transmettre et de partager avec les nouvelles générations, sans jamais imposer, cette double conviction que sommeille en tout être humain l’envie de donner et qu’on peut réveiller ce potentiel.

Ce que je vois très souvent chez les dirigeants que je rencontre, c’est qu’ils sont tiraillés entre d’un côté, une responsabilité, une exigence, une ambition, une carrière, et de l’autre des aspirations sur lesquelles ils ont mis un couvercle parce qu’ils ont peur qu’on y voit comme une faiblesse. Le monde a besoin de personnalités dans tous les domaines qui transmettent le meilleur d’eux-mêmes aux autres.

Vous venez également de créer une entreprise conseil en leadership, Eotekum. Quel est son objectif ?

H.d.B. : En complément d’Armor qui reste mon activité essentielle et principale, ma rencontre avec cet HEC de 28 ans qui s’appelle Louis Faure a été d’une grande richesse parce qu’on a expérimenté à deux cette complémentarité intergénérationnelle. C’est-à-dire de mon côté, l’expérience et la solidité d’un dirigeant, et du sien une grande liberté qui lui a permis de renoncer à une carrière facile pour s’engager auprès des pauvres aux Philippines. On s’est rendu compte que le chemin qu’on faisait ensemble pouvait être extrêmement utile pour des dirigeants qui recherchent une cohérence en eux pour pouvoir changer leur organisation en profondeur. Ce que l’on propose c’est donc un chemin à des dirigeants, des jeunes entrepreneurs et des étudiants qui sont porteurs d’un projet, qui veulent réaliser quelque chose de grand pour eux et pour le monde.

Quelles mesures attendez-vous ?

H.d.B. : Moi, ce que j’attends, notamment en ce qui concerne notre activité photovoltaïque ce ne sont pas forcément des subventions, c’est plutôt que l’Etat s’engage dans des commandes. Ça me fait enrager de voir que ce sont des Allemands et des Suisses qui nous commandent des produits pour leurs bâtiments et non la France. Dans l’histoire économique de notre pays, il y a eu par le passé des engagements industriels forts de l’Etat. Il ne faut pas que les entreprises attendent tout de l’Etat, car nous sommes des entrepreneurs, mais il faut que l’Etat soit complètement avec nous dans les risques que nous prenons.

Sur notre technologie, c’est Armor qui porte la totalité du risque et du poids industriel d’innover pour la France, alors que, d’un autre côté, l’Etat va mettre des milliards dans des projets qui n’aboutissent pas. Nous avons besoin de sentir un soutien très fort qui encourage l’innovation française et européenne. Il faut donc à la fois redonner la fierté d’une industrie de production locale et d’une industrie engagée dans des enjeux sociétaux et écologiques de demain. Ça passe par exemple par une TVA réduite sur les produits recyclés qui encouragerait l’économie circulaire.

L’Etat pourrait également imposer que 20% de la surface de bâtiments publics soient couverts par du photovoltaïque, quelle que soit la technologie. Il faudrait un alignement entre la parole publique et les actes de l’Etat pour qu’une dynamique s’enclenche et tire l’entrepreneuriat, l’industrie et les emplois locaux en France.

Sans oublier d’encourager l’actionnariat salarié ?

H.d.B. : Oui, car le moyen de permettre de recréer une épargne sociale en France passe en grande partie par l’actionnariat salarié. Les salaires ne sont pas assez hauts pour que les gens puissent épargner sur le long terme. La solution de l’actionnariat salarié pour les gens qui travaillent en entreprise est vraiment un moyen extraordinaire de se constituer une épargne. Il faut vraiment l’encourager encore plus.

Propos recueillis par Valérie Loctin


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