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Guillaume Poitrinal : « Ce qui ruine notre patrimoine, ce n’est pas le manque de moyens, c’est l’indifférence »

Entreprendre - Guillaume Poitrinal : « Ce qui ruine notre patrimoine, ce n’est pas le manque de moyens, c’est l’indifférence »

Ancien PDG d’Unibail-Rodamco et fondateur de Woodeum, une entreprise spécialisée dans la promotion immobilière, Guillaume Poitrinal est un fervent défenseur du patrimoine français. Président de la Fondation du patrimoine, qui a collecté 223 millions d’euros pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, il s’inquiète de la déliquescence du patrimoine hexagonal et en appelle à un sursaut pour sauver les sites en péril.

Quelles sont les ambitions de la Fondation du patrimoine pour 2021 ?

L’année qui vient de se terminer aura été très particulière pour chacun d’entre nous dans un contexte sanitaire, économique et humain souvent éprouvant. Nous espérons que cette nouvelle année sera porteuse d’une meilleure situation sur tous les plans.

En 2020, grâce aux efforts et à l’engagement de tous, salariés et bénévoles, à sa bonne gestion et sa solidité financière, la Fondation a su faire face et résister. Nous avons collectivement fait preuve d’agilité et nous nous sommes adaptés aux nouvelles façons de travailler et de communiquer à distance. La campagne de Noël et le lancement du nouveau site internet ont porté leurs fruits : le montant des dons collecté en décembre est au même niveau que celui de l’année dernière, rattrapant en partie le manque à collecter des premiers mois de l’année.

Le montant collecté en ligne a lui, augmenté de 20 %. Nos ressources publiques, par ailleurs, restent solides, avec des montants stables pour les successions en déshérence et le Loto patrimoine. L’opération conduite avec Stéphane Bern, qui a confirmé cette année son succès, est reconduite pour les quatre prochaines années grâce au partenariat avec le ministère de la culture et FDJ.

En 2021, grâce à cette base forte, nous poursuivrons notre plan de transformation : nous recherchons davantage de ressources (collectes auprès du grand public et des grands donateurs, mécénats régionaux, partenariats publics) pour plus d’impact. Pour ce faire, nous allons en même temps accroître notre présence sur le terrain, au plus près des sites et des porteurs de projet que nous accompagnons, et dans l’univers digital. Nos équipes bénévoles vont encore se renforcer grâce à de nouvelles recrues aux qualifications variées. Nous poursuivons un plan de digitalisation de nos outils, dont une version enrichie du nouveau site internet, pour améliorer notre efficacité et démultiplier la communication interne et externe. En cette année de nos 25 ans, nous avons toujours l’enthousiasme de la jeunesse, l’avenir devant nous et de magnifiques projets à réaliser.

Dans quelle mesure le patrimoine français est-il en souffrance ? Pourquoi se trouve-t-il dans cette situation ?

Notre patrimoine souffre. La France, c’est un patrimoine d’une incroyable richesse et diversité. Cadre de vie de nos villes et de nos villages, il fait la beauté de notre pays et la fierté de ceux qui y habitent. Mais après avoir traversé notre histoire, il subit les affres du temps et une dégradation progressive, jusqu’au jour où tout bascule. En préservant notre patrimoine, nous transmettons aux générations futures ce que nous avons reçu en héritage. Sauvegarder le patrimoine, c’est aussi permettre l’accès à la culture pour tous, développer l’économie locale, ainsi que créer des emplois et garantir un développement local et durable.

Des lieux symboliques du patrimoine français sont-ils en danger à court ou moyen terme ? Le « petit » patrimoine est-il particulièrement impacté ?

Nous avons tous été choqués le 15 avril 2019 par l’incendie de Notre-Dame de Paris. Ce drame n’est pas isolé. A Crépy-en-Valois, la collégiale Saint-Thomas s’est effondrée le 20 juin 2019. Le 18 juillet 2020, à Nantes, une cathédrale a brûlé à nouveau. Dans la nuit du 19 janvier dernier, un incendie a en partie détruit la petite église de Voutezac (Corrèze). Notre délégation régionale s’est immédiatement mobilisée pour lancer une collecte de dons. Nous avons 3 000 projets chaque année dans le grand hôpital de la Fondation du patrimoine. Encore s’agit-il des malades qui ont accepté de se soigner. Les besoins sont considérables.

Quelles sont les solutions à mettre en œuvre en urgence pour sauvegarder notre patrimoine ?

Ce qui ruine notre patrimoine, ce n’est pas le manque de moyens, ce n’est pas le feu, ce n’est pas la tempête, c’est l’indifférence. Il est possible de lutter contre cette fatalité, comme le démontre le succès qui ne se dément pas des jeux Mission Patrimoine de FDJ auxquels participent des millions de joueurs. Nos concitoyens ont compris que notre patrimoine est une chance, pas une charge.

Malgré la crise sanitaire, la Fondation du patrimoine a multiplié ses ressources par 2,5 entre 2017 et 2020. L’an dernier, elle a octroyé 1435 labels à des propriétaires privés. Malgré la crise et le report des élections municipales, elle a pu lancer 540 nouvelles collectes de dons en faveur de projets publics. Cela a permis aux chantiers, souvent petits, mais rapides et nombreux, de se maintenir à un bon rythme et aux PME du patrimoine de conserver leur activité.

Faut-il privilégier le mécénat et la sphère privée au détriment du financement public ?

L’Etat participe chaque année de manière importante au financement de la Fondation et à travers elle au soutien du patrimoine non protégé, grâce au versement des successions en déshérence, au Loto du patrimoine de FDJ et aux ressources fiscales du label. La Fondation est aussi le partenaire essentiel des collectivités, qui ont en charge la gestion du patrimoine qu’il soit protégé ou non. Malgré la crise sanitaire, ces partenariats locaux se sont maintenus. Un nouveau partenariat d’une durée de 3 ans avec le ministère de la Cohésion des territoires et le ministère de la Culture apporte 2,45 millions d’euros de ressources nouvelles, en accompagnant le programme gouvernemental « Petites villes de demain ».

Mais la Fondation étant par nature privée, ses ressources proviennent essentiellement de la sphère privée. Depuis plus de 20 ans, le mécénat populaire ou le financement participatif au travers de collectes de dons aident à compléter les tours de table, représentant en moyenne 15 % du plan de financement d’un projet. Au-delà des dons mobilisés, les animations organisées à l’occasion des campagnes de dons sont l’occasion de réunir les communautés et de les fédérer : habitants, nouveaux arrivants, touristes et acteurs économiques locaux. Des moments de convivialité et de partage, et une mobilisation locale qui vient soutenir l’engagement et les efforts des propriétaires des lieux.

La Fondation du patrimoine s’appuie également sur des mécénats d’entreprises, qui en 2020 ont connu une stabilité, malgré une diminution de 17 % des mécénats régionaux. Elle propose aux entreprises une action « à la carte » pour leur permettre de s’associer à sa mission de sauvegarde et de valorisation du patrimoine, en donnant à leur mécénat et leur RSE un impact local, social et durable. La Fondation Total, qui est engagée auprès de la Fondation du patrimoine depuis 2006, soutient des projets de patrimoine dans les territoires d’implantation du groupe, qui placent la jeunesse, l’emploi, la formation professionnelle et l’insertion au cœur de des priorités.

Gecina apporte un soutien conséquent pour sauver des édifices en péril d’Ile-de-France au travers de la collecte « Plus jamais ça ! ». Le partenariat avec Primagaz agit chaque année en faveur du programme « patrimoine naturel » de la Fondation, ainsi que de deux projets de patrimoine bâti, dans une démarche visant à améliorer le cadre de vie et l’attractivité des territoires ruraux. AG2R-La Mondiale s’implique pour la préservation du patrimoine bâti de proximité. SMABTP a rejoint la Fondation en 2019. FDJ et Axa sont engagés aux côtés de Stéphane Bern pour sa mission Patrimoine en péril.

Ces multiples ressources permettent à la Fondation d’agir pour la revitalisation des territoires ruraux, centres-villes et centres-bourgs, et de lutter contre les inégalités territoriales.

La bureaucratie, les normes, la lourdeur administrative et l’hyper-centralisation sont-elles des freins à la sauvegarde du patrimoine ? Une simplification administrative est-elle nécessaire ?

La crise sanitaire, et en particulier le premier confinement où le pays entier était immobilisé, nous ont révélé que les chantiers privés de patrimoine non protégé, peu soumis à des contraintes administratives, pouvaient être déclenchés ou reprendre très rapidement. Rapides, petits mais nombreux, ces chantiers, en permettant un soutien réel aux PME locales du bâtiment, sont de véritables vecteurs de relance économique. De façon plus générale, la Fondation milite pour une simplification des procédures administratives et une capacité accrue de conduire des projets de sauvegarde dans un temps maîtrisé.


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