En plein cœur du Berry, à Vierzon (Cher), cet ingénieur électronique de 44 ans, ancien joueur de poker, qui a fait des affaires en Europe (l’immobilier en Roumanie, l’hôtellerie en Lettonie), rêve de faire de Ledger un acteur mondial de la blockchain. Spécialisée dans les solutions de sécurisation des portefeuilles de crypto-monnaies, la start-up a levée 60 M€ en 2018.
Comment définir Ledger ?
L’ambition de Ledger est de proposer des solutions de sécurité pour toutes les applications crypto-monnaies et blockchain. Avant même de concevoir un coffre fort digital, nous avions pour ambition de dépoussiérer la carte à puces – une technologie française qui a 40 ans d’histoire – et de reconstruire une technologie adaptée aux exigences de la blockchain.
Le projet initié avec la création de la Maison du bitcoin correspond-il à ce qu’est devenu Ledger aujourd’hui ?
Début 2014, on n’avait pas d’idée précise de ce qu’on allait faire. On n’avait pas de modèle business, c’était juste un concept. On voulait prendre position et rassembler autour d’un sujet : la technologie blockchain.
En 2017, vous avez vendu un million d’ unités dans 165 pays. Aviez-vous anticipé un tel engouement ?
Pas du tout. Au début de l’année, on pensait en vendre entre 30 000 et 60 000… La croissance du marché, l’envolée des crypto-monnaies et l’arrivée d’Ethereum, des ICO, etc., nous ont pris par surprise. La couverture médiatique a amplifié le mouvement.
Peut-on expliquer cette performance par la seule envolée du prix du bitcoin au cours de l’année 2017 ?
Les nouveaux venus se posent deux questions : comment acheter des crypto-monnaies et comment les sécuriser ? Etant présent depuis 2015, nous avions une certaine légitimité. On a bénéficié du bouche-à-oreille, et notre produit a été recommandé par les experts.
En 2018, l’effondrement des crypto-monnaies vous a-t-il touché ?
Oui. Le ralentissement du marché nous ramène dans un cycle de baisse. L’année n’est pas encore terminée, mais on devrait terminer autour de 500 000 unités vendues.
Combien en vendez-vous en France ?
Avec 2 %, le marché français est marginal pour nous : il ne représente, par exemple, pas plus d’enjeux que le marché belge. On exporte dans le monde entier et chaque zone (Europe, Amérique, Asie) représente à peu près un tiers de notre CA.
« D’ici 4-5 ans, l’internet des objets nous permettra d’avoir une position mondiale »
Quelle est votre ambition ?
Ledger n’est pas seulement un fabricant de coffre-forts digitaux, il doit devenir un géant technologique qui fabrique à la fois des produits destinés aux institutions financières pour sécuriser des crypto-assets (actifs digitaux — ndlr), et des solutions adaptées à l’Internet des objets (IoT) et aux environnements industriels. Les opportunités de marché sont gigantesques.
C’est le sens de votre dernière levée de fonds de janvier 2018 (60 M€) ?
Le succès du hardware wallet et de la levée de fonds nous ont en effet permis de financer les deux autres cibles essentielles à notre stratégie future : les entreprises et les industriels.
Parmi ces secteurs, lequel recèle le plus de potentiel ?
Très certainement, l’IoT. D’ici 4-5 ans, l’internet des objets nous permettra d’avoir une position mondiale. On va déployer notre technologie dans le monde entier en embarquant notre système d’exploitation, qui est la technologie fondatrice de Ledger. On travaille par exemple avec Engie pour lequel on tokenise (création de jetons numériques — ndlr) tous les certificats d’origine d’électricité renouvelable de manière distribuée et décentralisée sans avoir recours à un tiers certificateur. Outre l’ énergie, on a une cinquantaine de projets en cours : automobile, santé, sécurité, identité…
Êtes-vous en relation avec des banques d’affaires et des fonds ?
Absolument. C’est pour cette raison que nous avons ouvert des bureaux à New York et Hong Kong. Nous leur permettons de gérer leurs actifs cryptographiques en équipe, avec des règles, de la multi-signatures, de l’ouverture retardée, du contrôle…
Pourquoi Google, Siemens et Samsung s’intéressent-ils à Ledger ?
Google est un cas à part : ils s’intéressent à tout le monde. Siemens est un industriel qui développe des solutions où la technologie blockchain peut avoir du sens : supply chain, industrie 4.0…
Samsung est l’un des plus grands fournisseurs mondiaux d’éléments sécurisés et fabrique des smartphones, soit l’interface numéro un entre l’Homme et les solutions digitales. Ils voient bien l’intérêt d’une solution où l’utilisateur devient le gardien de ses données. A l’avenir, nos technologies de sécurisation pourraient être intégrées dans leurs smartphones.
« Nous avons 18 à 24 mois d’avance sur la concurrence »
S’adosser à des industriels de cette envergure est-il une nécessité ?
Ledger a, en effet, besoin de partenaires stratégiques. Nous continuerons donc à discuter avec ces acteurs.
Quelle est l’avance de Ledger sur la concurrence ?
Nous avons une position unique sur le marché. Nous avons 18 à 24 mois d’avance.
Pourquoi ?
Nous avons des concurrents sur chacune de nos business units, mais pas sur la vision globale. Sur les coffre-forts digitaux, on fait face à des entreprises comme Trezor (entreprise tchèque — ndlr) et à quelques acteurs américains.
Mais ils n’ ont pas accès à la même technologique que nous : ils n’utilisent pas le hardware sécurisé et ne pourront pas dépasser le plafond de verre. Nous ne sommes pas inquiets, car ils ne pourront, par exemple, jamais s’adresser aux entreprises.
Ensuite, les entreprises spécialistes du hardware sécurisé, comme Gemalto, Thalès ou Idemia, ne maîtrisent pas les questions de crypto-monnaies et de blockchain. Nous avons une fenêtre de tir de deux ans pour devenir les leaders incontestables au niveau mondial.
Quel est le défi majeur à court terme ?
L’exécution. On doit aller très vite pour déployer nos produits partout dans le monde. On est une marque de sécurité reconnue, l’une des premières à faire le pont entre le BtoB et le BtoC.
Détenez-vous des bitcoins ?
Oui. Lorsque je m’y suis intéressé en 2013, j’en ai acheté, ne serait-ce que pour voir comment cela fonctionnait. J’ai toujours cru que cette monnaie allait prendre de la valeur, mais c’est un investissement passif : je ne fais pas de trading. J’ai investi en 2013 et depuis je me contente d’attendre.