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Entrepreneur : comment Laurent Bourgois est devenu le pape de la vanille

En 30 ans, Laurent Bourgois a fait d’un petit village du Pas-de-Calais le siège social du premier groupe européen spécialisé dans la vanille naturelle, avec 6000 clients et 150 grossistes à travers le monde. Un cas d'école.

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Autodidacte issu d’une grande famille d’entrepreneurs, Laurent Bourgois s’est lancé sur le marché de la vanille au début des années 90. En 30 ans, il a fait de la PME nordiste l’un des principaux groupes européens du secteur.

Chez les Bourgois, on a l’entrepreneuriat dans le sang. Le virus se transmet de génération en généraion, d’arrière-grand-père en petit-fils. Selon Laurent Bourgois, ce trait familial doit beaucoup au fait que les représentants de la lignée étaient tous « très mauvais » à l’école. « Le meilleur n’a pas dépassé le bac+2… » Si Laurent Bourgois n’est donc pas le premier de la famille à être devenu entrepreneur — certains parmi ses frères ou ses cousins dirigent de grands groupes mondiaux, d’autres dirigent des PME —, il n’est pas celui qui a le moins réussi. En près de 30 ans, il a bâti l’un des géants européens de la vanille. Spécialiste de cette épice très recherchée, Eurovanille réalisera un chiffre d’affaires de 60 M€ cette année (54 M€ en 2018). La PME basée à Gouy-Saint-André (62) exporte dans le monde entier et revendique plus de 6000 clients en Europe.

Un marché concentré

Sur un marché mondial de la vanille ramassé, comptant seulement une dizaine de gros acteurs, Eurovanille se distingue par son positionnement atypique. Une stratégie mêlant production hyperspécialisée — exclusivement de la vanille — et diversification des canaux de distribution — industrie (50% du chiffre d’affaires), artisans (25 %), grossistes (15%), grandes et moyennes surfaces (10%). « Nous nous adressons à quatre types d’acteurs différents, ce qui rend notre positionnement unique, assure Laurent Bourgois. Aucun acteur ne fait le même métier que nous. » Autre spécificité d’Eurovanille : aucun client ne représente plus de 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise.

« Raison pour laquelle nous sommes peu sensibles aux variations de volume. Si nous perdions un gros client, les conséquences seraient moindre que dans certaines sociétés où la concentration des clients est importante. » Quand Laurent Bourgois assure qu’Euro-vanille travaille avec plus de 6000 artisans, les grandes multinationales, qui dominent le secteur des arômes et parfums, comme les suisses Givaudan, leader mondial, et Firmenich, l’allemand Symrise, ou le français Mane ne fournissent que quelques dizaines de clients, principalement des grands groupes agroalimentaires (Coca-Cola, Unilever, Mars, Danone…) qui sont prêts à payer des fortunes pour la vanille de Madagascar.

De con côté, Eurovanille cultive son réseau de clients, qui comporte aussi bien des maisons de prestige comme Ladurée ou Lenôtre, que le chef pâtissier et glacier Emmanuel Ryon, ou des grandes marques de glaces ou de chocolat. Pour maintenir sa position parmi les leaders européens, Eurovanille, qui possédait notamment une usine de séchage en Inde, a rapatrié toute sa chaîne de production à Gouy-Saint-André, dans le Nord-Pas- de-Calais. Signe des ambitions de la PME, son usine de production va être agrandie. La livraison de l’extension est prévue courant 2020. Elle représente un investissement de 1 à 2 M€.

Partenariats avec les producteurs locaux

Eurovanille importe chaque année 120 tonnes de vanille de Madagascar et table sur un objectif compris entre 150 et 180 tonnes d’ici 2022. Mais d’année en année, en raison de la spéculation, des aléas climatiques ou du contexte local, les cours de la vanille explosent. Entre 2014 et 2017, ils ont été multipliés par huit, le prix d’un kilo de vanille évoluant désormais entre 400 et 500 euros, contre 45 dollars en 2009… Pour faire face à ces fluctuations, Eurovanille tente de sécuriser ses circuits d’approvisionnement. « Nous avons une connaissance très fine du marché, glisse Laurent Bourgois. Nous rendons régulièrement visite à nos fournisseurs. Cela fait 30 ans que la société existe, nous connaissons parfaitement les zones de plantation et de production, que ce soit à Madagascar (l’île produit 80% de la vanille mondiale, et en exporte environ 2 000 tonnes par an — ndlr), en Indonésie, en Papouasie, aux Comores, en Ouganda… Cette connaissance de la chaîne de production nous permet d’anticiper les problèmes climatiques. Notre objectif est de continuer à faire du bio, du sustainable, tout en montrant à nos clients et nos fournisseurs que nous soutenons cette filière. »

Pour Laurent Bourgois, le maintien de cette filière passe par un partenariat fort avec les producteurs locaux : les planteurs. « Si on veut sécuriser nos approvisionnements, on doit leur apporter de la sécurité, explique Laurent Bourgois. Ne pas savoir s’ils vont vendre à perte ou faire des bénéfices à chaque fois que les cours varient ne les incite pas à s’impliquer dans la filière. Or, on a besoin de planteurs qui s’ engagent. D’ où l’ intérêt de travailler sur la recherche fondamentale pour les aider à produire en toutes circonstances. » C’est qu’Eurovanille n’est pas une simple PME importatrice. Elle possède un laboratoire de R&D dans le Nord et mise beaucoup sur ses partenariats avec les chercheurs. Aux côtés du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), de l’Université de La Réunion, de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), de l’Université Paris-Sud et du CNRS, Eurovanille s’est lancé dans le décryptage du génome de la vanille.

En parallèle, l’entreprise nordiste a construit une serre de 1000 m2 pour cultiver la précieuse épice à des fins de recherche. « Il faut que l’on sécurise nos approvisionnements, précise le président d’Euro-vanille. Pour cela, on doit permette à nos fournisseurs d’ avoir un meilleur rendement sur leurs plantations. Une partie non négligeable des productions sont perdues à cause du fusarium (un champignon qui s’attaque au vanillier — ndlr). Si on arrive à trouver des plants résistants au fusarium, nous allons augmenter la productivité de nos fournisseurs, les associations de planteurs et les producteurs, et cela se répercutera sur nos prix. C’est un avantage concurrentiel indéniable. »

Bien conscient des scandales relatifs aux pratiques de certains industriels de l’agroalimentaire, Laurent Bourgois a engagé Eurovanille sur le chemin vertueux de l’éco-responsabilité. Sur son site, la PME française affirme attacher « la plus grande importance à la construction de partenariats durables et respectueux avec les populations locales ». Dans les faits, la PME nordiste fait partie d’un groupement, Sustainable Vanilla Initiative (SBI), association appartenant à l’organisation néerlandaise IDH (Sustainable Trade Initiative), dont l’object est de garantir que tous les acteurs de la filière vanille respectent certaines règles, comme l’ interdiction du travail des enfants, pratiquent des prix équitables pour les planteurs permettant une agriculture soutenable et durable, et veillent à l’amélioration des conditions de travail.

Le bio, ce n’est pas si simple

En matière d’agriculture biologique, Eurovanille s’est fixé des objectifs ambitieux : 85% d’importations de vanille bio d’ici deux ans, contre 50% aujourd’hui. Pour assurer cette transition et s’assurer que les normes sont respectées, la PME travaille avec des associations malgaches qui encadrent les planteurs. Ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés. « Le problème à Madagascar n’est pas de produire de la vanille bio, c’est de la maintenir bio jusqu’en France, détaille Laurent Bourgois. Il y a un problème inhérent à l’île : le paludisme. Pour lutter contre ce fléau, la Croix-Rouge et d’autres organismes fournissent des moustiquaires imprégnées de perméthrine, un insecticide qui tue les moustiques dans les maisons. Cette substance étant présente dans l’air ambiant, elle finit sur les récoltes de vanille et dans les stocks. Le produit qui a poussé et a été récolté selon les règles de l’ agriculture biologique peut donc perdre son caractère biologique en raison de l’ environnement local, et non pas à cause des produits de traitement… »

Selon le même principe, en fonction de la qualité des cartons utilisés par certains fournisseurs lors de l’ export, certaines encres peuvent « contaminer » les gousses de vanille achetées par Eurovanille et leur faire perdre son caractère biologique. « Malheureusement, même si beaucoup de vanilles de Madagascar sont bio parce qu’il n’y a quasiment aucun engrais ou produit phytosanitaire utilisés, vous pouvez retrouver des agents interdits dans le cadre d’une agriculture biologique dans les produits de lavage, les couvertures, les ustensiles… » D’où la priorité donnée par Laurent Bourgois à la sécurisation des circuits d’approvisionnement, le nerf de la guerre pour une PME comme Eurovanille, dépendante d’une denrée cultivée à plus de 8000 kilomètres de l’Hexagone.

Thibaut Veysset


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