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EDF : un géant entravé ?

En qualifiant d’insincère et de mystification l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique en 2025, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, a relancé le débat sur la stratégie énergétique du Gouvernement et le rôle d’EDF.

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En qualifiant d’insincère et de mystification l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique en 2025, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, a relancé le débat sur la stratégie énergétique du Gouvernement et le rôle d’EDF.

En parallèle, le ministre a affirmé sa volonté de mettre la pression sur EDF, éventuellement en scindant cette entreprise en deux (nucléaire/renouvelables), pour être seul maître de la transition énergétique. Une démarche inquiétante, alors que les résultats de l’incursion directe de l’État dans la politique industrielle de l’énergie (Areva, Alstom, EDF, éolien, solaire, agrocarburants) devraient inciter les gouvernements à se concentrer sur la fixation d’objectifs et non pas sur la façon dont les acteurs les atteignent.

Deuxième producteur mondial d’électricité, EDF est une entreprise prestigieuse, mais le niveau de son cours de bourse, 8 à 10€ contre 32 en 2005 à l’ouverture de son capital, donne la mesure de son affaiblissement. Une situation d’autant plus inquiétante que le paysage énergétique est bouleversé : fin probable des tarifs réglementés, liberté de choix des consommateurs, concurrents français et étrangers, nouveaux modes de production, contestation du nucléaire et des éoliennes, surcoût des énergies renouvelables.

Des doutes existent par ailleurs sur le fondement même de la transition énergétique, le dernier bilan prévisionnel du gestionnaire du réseau de transport électrique (RTE) présentant des scénarios où la consommation d’électricité augmenterait au lieu de diminuer.

Avec 85% du capital d’EDF, l’État français peut difficilement esquiver sa responsabilité. Une stratégie de l’État actionnaire caractérisée par le court-termisme, utilisant EDF pour enjoliver, jusqu’aux élections suivantes, le taux de chômage, l’inflation, le niveau de vie des Français ou le budget de l’État.

Une tentation irrésistible quand il n’existe pas de contre-pouvoirs diversifiés comme le sont les actionnaires privés des grandes entreprises. Pour surmonter définitivement ces dysfonctionnements et redonner confiance aux salariés, aux clients et aux actionnaires, le seul levier efficace consiste à réduire les interventions de l’État et  appliquer à l’électricité des règles classiques du commerce international au niveau européen.

EDF est présente en France et à l’international, principalement au Royaume-Uni et en Italie et dans une vingtaine d’autres pays, surtout comme propriétaire et gestionnaire de parcs éoliens et solaires. Après de lourdes pertes, EDF s’était retirée de l’Amérique du Sud dans les années 2005-2010 face à l’instabilité économique et politique, et des projets de centrales nucléaires aux États-Unis face à la montée en puissance du gaz de schiste.

Un actionnaire contre son entreprise 

L’État français est l’actionnaire tout-puissant d’EDF depuis sa création, son contrôle étant en théorie dans les mains de l’Agence des participations de l’État, en pratique directement dans celles des gouvernements qui ont malmené cette entreprise de multiples façons.

1 ❘ Confusion dans la stratégie de transition énergétique

Alors que lutter contre les émissions de CO2 est annoncé comme prioritaire, la fermeture de Fessenheim et la décision de réduire massivement la part du nucléaire vont exactement à l’encontre de cette exigence. Parallèlement, les réglementations techniques favorisant le gaz (importé) aux dépens de l’électricité (produite en France) pour le chauffage et l’eau chaude des logements neufs sont incompréhensibles et sont contraires aux intérêts d’EDF.

2 ❘ Dysfonctionnement de la filière nucléaire

L’État a laissé se développer une concurrence incontrôlée à l’exportation entre Areva et EDF. Au total, EDF et toute la filière française ont été affaiblies par le fiasco d’Areva en Finlande et son échec aux Émirats arabes unis. Les défauts de fabrication, voire les fraudes, d’Areva pour des éléments clefs des centrales EDF, ont contribué à jeter le doute dans l’esprit des Français sur la sécurité du nucléaire et sur la vigilance d’EDF.

3 ❘ Instabilité du management

À la tête d’EDF, les présidents-directeurs généraux ne sont restés en poste que pour de courtes durées après le départ en retraite en 1987 de Marcel Boiteux. Une situation étonnante dans un domaine techniquement, économiquement et politiquement très complexe, dont les stratégies engagent le pays pour des décennies.

4 ❘ Tergiversations pour l’ouverture à la concurrence

L’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité a été décidée en 1996 par l’Union européenne avec l’accord de la France. Depuis 21 ans, la France a été très circonspecte dans l’application de cette réforme. EDF produit 100  % de l’électricité d’origine nucléaire et 80 % de la production hydroélectrique, pourcentage qui devrait être ramené à 30 % pour réduire cette concentration excessive.

5 ❘ Prix de vente 

EDF était en situation de monopole jusqu’en 2007. EDF s’est vu imposer une évolution irréaliste des prix avec une baisse à partir de 1996 et une quasi-stabilité jusqu’en 2010. De 1983 à 2014, l’indice général des prix a augmenté de 116 %, le salaire moyen des Français de 160 % mais le tarif de l’électricité de seulement 42 %. Une évolution qui a conduit EDF à s’endetter au niveau de 34 milliards d’euros.

Plus choquant encore, de 2013 à 2017, les gouvernements ont refusé à EDF des augmentations de prix pourtant décidées par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qu’ils avaient créée.

En parallèle, EDF a été contrainte de vendre une partie de sa production d’origine nucléaire dans des conditions non conventionnelles. D’abord à ses concurrents à des prix administrés et sans obligation d’achat. Ensuite à des industriels électro-intensifs en les faisant entrer au capital d’une centrale nucléaire. Enfin, en entrant elle-même au capital de certains industriels. Des solutions peu satisfaisantes, à la limite des règles européennes, inévitables pour sortir de la situation de monopole mais pour lesquelles un terme devrait être fixé.

6 ❘ Prix d’achat

En plus des manipulations de ses prix de vente, EDF a été contrainte d’acheter aux producteurs, notamment solaires et éoliens, toute leur production à des prix administrés très supérieurs à ses propres coûts de production. Ces surcoûts obligés sont en principe compensés pour EDF par une taxe (CSPE – contribution au service public de l’électricité) payée par les consommateurs. Mais là encore, dans une perspective de court terme électoraliste, les gouvernements ont reculé devant l’application de cette taxe et accumulé une dette de 5 milliards d’euros vis-à-vis d’EDF.

7 ❘ Niveau de consommation

Les responsables politiques ont naturellement le devoir d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 votés par les Français. Exiger d’une entreprise comme EDF de travailler à ses frais à faire baisser la consommation d’électricité de ses clients est une démarche contre nature, avec un fort risque d’éco blanchiment.

8 ❘ Ponction sur les bénéfices

EDF verse chaque année environ 2 milliards d’euros de dividendes, principalement à l’État. Un montant exigé pour rapprocher le déficit public de l’engagement pris à Bruxelles par le Gouvernement.

9 ❘ Homogénéité des administrateurs

Vingt et une personnes participent au conseil d’administration d’EDF, dont sept désignées par les syndicats et aucun étranger. Nommés par le Gouvernement, la majorité des administrateurs sont issus du secteur public, très largement aux ordres et ne constituent pas une véritable force de réflexion.

10 ❘ Perturbations du marché de l’électricité

Les subventions massives aux énergies renouvelables et l’obligation d’achat mise en œuvre par les gouvernements français et étrangers ont bouleversé le marché européen de l’électricité : plus l’électricité est coûteuse à produire, plus son prix baisse sur le marché libre. Un paradoxe difficile pour EDF.

Propositions

Plusieurs signaux montrent que l’État et la direction travaillent à améliorer la gestion d’EDF (ex. baisse des effectifs suite à la perte d’un million d’abonnés et à la baisse de 10 % en quatre ans du chiffre d’affaires d’EDF SA, forfaitisation du temps de travail de 17 000 cadres, augmentation des prix de vente conforme aux instructions de la CRE, cession de filiales non essentielles à l’étranger). Mais pour être efficaces et durables, les réformes doivent porter sur les causes des problèmes plus que sur leurs effets, et donc limiter les interventions de l’État.

Réduire la participation de l’État à 70 % en 2018, puis à 30 % en 2022

La loi de 2005 a prévu la possibilité de réduire à 70 % la part de l’État dans le capital d’EDF. Le but d’une nouvelle ouverture de 15 % du capital n’est pas de recueillir 4,5 milliards d’euros de capitaux, mais de mettre en route le processus d’amélioration de la gestion et donc du redressement d’EDF.

Après cette première étape, il sera nécessaire de modifier la loi pour réduire la participation de l’État à 3Dans de nombreux pays, les centrales nucléaires sont construites et gérées par des entreprises privées et/ou étrangères (y compris EDF ou Engie). Il n’existe donc pas de tabou à ce que cela soit effectif en France. La mise en production des trois premiers réacteurs EPR sera un moment symbolique fort pour cette privatisation.

Privatiser RTE, Enedis et les réseaux de distribution en 2020

 

Pour une concurrence équitable, la Commission européenne exige une claire séparation des services de production-vente d’électricité de ceux de transport et distribution de l’énergie, qui restent des monopoles naturels. En Allemagne, E.ON et Vattenfall se sont séparés de leur réseau de transport suite à la demande de Bruxelles, plutôt que de créer une filiale indépendante. Au Royaume-Uni, le transport de l’électricité haute tension est réalisé par une seule entreprise privée, la distribution d’électricité par huit entreprises différentes.

Au Royaume Uni, EDF a vendu son réseau de distribution couvrant 28 % de la consommation du pays pour 5,8 milliards de Livres. En France, EDF a cédé 49 % de RTE (Réseau de transport de l’énergie), le réseau de transport haute tension, à la CDC (Caisse des dépôts et consignations) et à la CNP (CNP Assurances) pour 4 milliards d’euros.

L’ouverture du capital de RTE entre la CDC et la CNP n’a constitué qu’un bricolage destiné à fournir des capitaux à EDF sans rien changer à la gestion du secteur. Dans la mesure où EDF est tenue d’isoler totalement la gestion des réseaux communs aux différents fournisseurs, la privatisation de RTE ne perturbera pas le fonctionnement du système électrique français. Enfin, comme dans les pays étrangers mentionnés ci-dessus, il est aussi logique que la gestion des réseaux de distribution de l’énergie électrique – ex. Enedis (ex-ERDF) – soit aussi privatisée.

 

  Conclusion 

Les revirements récents montrent que toute la stratégie de transition énergétique française doit être refondée dans un sens réaliste. Au niveau européen, il est illusoire de vouloir construire rapidement une politique électrique unique pour des pays européens ayant des histoires énergétiques aussi différentes.

Ce que l’Europe doit faciliter, ce sont des coopé- rations positives entre pays ayant des besoins et des capacités complémentaires, mais aussi interdire des politiques de subvention-dumping qui perturbent le fonctionnement des systèmes électriques dans des pays voisins. En ce qui concerne EDF, la poursuite de l’ouverture du capital (et donc de son conseil d’administration) est le seul levier capable d’opposer des contre-pouvoirs aux interventions court-termistes ou politiciennes de l’État, de dynamiser son personnel et ses syndicats et d’aligner les conditions d’emploi (salaires, retraites, temps de travail, comité d’entreprise) sur celles des entreprises privées.

La privatisation des réseaux électriques et de leurs gestionnaires facilitera l’ouverture à la concurrence des différents fournisseurs, fournira à EDF des capitaux dont elle aura besoin dans les trente ans à venir, et lui permettra d’entrer de plain-pied dans le monde concurrentiel en se concentrant sur la partie dérégulée de ses activités. Face aux incertitudes sur le mix énergétique mondial à long terme, il est logique qu’EDF conserve ses expertises dans les différents modes de production d’électricité (ex  :  nucléaire, thermique fossile, hydraulique, éolien, solaire).

Un confinement réalisé comme en Allemagne des activités nucléaires dans une structure spécialisée, serait un signal très négatif envoyé aux salariés d’EDF sur l’avenir d’EDF, et au monde sur l’avenir du nucléaire.

LES ACTIONS PRIORITAIRES

● France: définir un chemin réaliste de transition énergétique.

● Ramener immédiatement à 70% la part de l’État au capital d’EDF.

● Nommer une majorité d’administrateurs indépendants de l’État, français et   étrangers.

● Séparer les activités régulées de réseau des activités concurrentielles de production et de vente d’électricité: privatiser les réseaux électriques et leurs gestionnaires.

●Voter une loi engageant l’État à réduire à 30 % sa part dans le capital d’EDF en 2022, après la mise en route des trois premières centrales EPR (Flamanville, Finlande, Chine).

●Europe : faire appliquer par Bruxelles les règles de la concurrence internationale, ouverture du marché de l’électricité, mais interdiction des politiques de subventions-dumping qui perturbent les systèmes électriques étrangers.

  L’iFRAP : une incroyable boîte à idées pour le pouvoir

La Fondation iFRAP a été reconnue d’utilité publique en 2009. Financée uniquement sur fonds privés, elle a pour but d’effectuer des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des politiques publiques, notamment celles visant le développement économique.


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