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Délais de paiement : la tendance à la baisse s’est poursuivie en France en 2022

de Catherine Robin, avocat en droit économique

Un éclairage de Catherine Robin, avocat en droit économique, associée cabinet Alerion.

La tendance à la baisse s’est-elle poursuivie en France ?

Oui, la tendance à la baisse des retards de paiement, initiée en 2017, s’est confirmée en 2022 dans tous les secteurs (ils sont passés à 11,7 jours fin 2022 contre 12,4 jours un an auparavant), à l’exception des secteurs hébergement-restauration-débit de boissons et transport-logistique qui restent à des niveaux plus élevés (16 jours).

La lutte pour le respect des délais de paiement dans les transactions commerciales fait l’objet d’un dispositif harmonisé au sein de l’Union européenne fixé par une directive européenne (2011/7/UE du 16/02/2011) transposée en France dans le code de commerce dont les dispositions n’ont pas cessé de se durcir au fil des réformes (loi Hamon en 2014, loi Macron en 2015, loi Sapin II en 2016, loi PACTE en 2019). C’est un sujet majeur en France et dans les pays de l’Union européenne, comme le rappelle le rapport annuel pour 2022 de l’Observatoire des délais de paiement publié début juin[1] et les récents arrêts de la Cour de justice européenne[2].  

Le dispositif prévoit des délais de paiement obligatoires, une pénalité de retard en cas de dépassement et une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 € due au créancier.

Quels sont les délais légaux autorisés pour le paiement des factures en France ?

La règle de droit commun : 60, 45, 30. Les transactions commerciales sont soumises aux délais de paiement imposés par le code de commerce (C. com L. 441-10 et s.). Le délai maximum convenu ne peut pas dépasser 60 jours, date d’émission de la facture. Le vendeur (ou prestataire de service) et son client peuvent aussi se mettre d’accord sur un délai à 45 jours fin de mois, en veillant à préciser le mode de calcul. A défaut d’accord, c’est un délai de 30 jours à compter de la réception des marchandises ou de la date de réalisation des services qui s’applique automatiquement. C’est dans le contrat ou dans les conditions générales de vente acceptées, ou encore dans une facture non contestée que l’accord du vendeur (ou prestataire) et du client est constaté.

Il existe plusieurs délais spécifiques. En fonction du secteur d’activité, pour protéger le fournisseur, les délais sont plus courts : 30 jours en matière de transport, 30 jours après décade de livraison pour les produits alimentaires, 20 jours après livraison pour le bétail sur pied et la viande, 30 jours après la fin du mois de livraison pour les boissons alcooliques, 45 jours fin de mois ou 60 jours nets date de facture pour les raisins et moûts destinés aux vins et boissons alcooliques (C. com. art. L. 441-11).

Existe-t-il des dérogations ?

Certains secteurs ont mis en place des accords dérogatoires professionnels pour tenir compte de leurs spécificités : jouets, articles de sport saisonniers, horlogerie/bijouterie/joaillerie, filière du cuir, agroéquipement.

La filière du livre, le secteur bancaire et les ventes d’immeubles entre entreprises sont exclus du champ réglementé du code de commerce.

Les ventes à l’export et celles à destination des territoires et départements d’outre-mer bénéficient d’un régime spécial (C. com. art. L. 441-12 et L. 441-13).

Les entreprises qui connaissent des difficultés financières peuvent demander au juge un report ou un échelonnement de leurs créances dans la limite de deux ans (C. civ. 1343-5). Ce « délai de grâce » est accordé ou refusé par le juge en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, notamment dans une procédure de recouvrement initiée par le créancier. Les entreprises faisant l’objet d’une procédure collective peuvent également bénéficier de délais dans le cadre légal de ce type de procédure.

Quelles sont les sanctions que l’entreprise peut appliquer au débiteur retardataire ?  

Outre les sanctions prévues dans le contrat avec le client (résiliation par ex.), le dépassement du délai de paiement donne lieu automatiquement à des pénalités de retard et une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 €. Ces pénalités et cette indemnité sont exigibles immédiatement, dès le lendemain de l’échéance, sans qu’un rappel ni une mise en demeure de payer soient nécessaires. En France, le taux des pénalités ne peut pas être inférieur à 3 fois le taux de l’intérêt légal. Si le vendeur n’a pas prévu de pénalités de retard, elles sont légalement égales au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage (C. com. art. L. 441-10). A noter : le créancier n’est pas tenu de réclamer ces pénalités, d’ailleurs.

Qu’apporte l’arrêt de la Cour de justice européenne sur cet épineux sujet ?

La Cour de justice rappelle que l’indemnité de 40 € est due pour chaque facture impayée même si les impayés résultent d’une seule réclamation ou d’un seul contrat. Si une vente donne lieu à plusieurs factures, ou si un contrat prévoit des paiements périodiques, l’indemnité de 40 € sera multipliée par le nombre de factures impayées. Le juge national ne peut pas réduire le montant de cette indemnité forfaitaire, ni son montant cumulé. L’indemnité est due aussi dans les transactions entre une société privée et l’administration, dans le cadre d’une commande publique par exemple. En France, le principe est appliqué par les tribunaux depuis plusieurs années déjà. Le rôle de la Cour de justice européenne consiste à donner une lecture unifiée de la directive sur les délais de paiement et une application harmonisée du dispositif dans tous les Etats membres de l’Union.

Quelles sont les peines et les sanctions encourues par l’entreprise qui ne respecte pas les délais ?

En France, l’entreprise qui ne respecte pas les délais de paiement est passible d’une amende administrative qui peut atteindre 2 millions d’euros pour une société. Le montant maximum de l’amende encourue est doublé (soit 4 millions d’euros pour une société) en cas de récidive dans un délai de deux ans (C. com. art. L. 441-16). Si plusieurs infractions sont constatées, les amendes se cumulent depuis que la loi a supprimé, en 2016, le principe du non-cumul (C. com. art. L 470-2, VII). Toutefois, l’administration n’applique pas le plafond par facture réglée en retard, mais par type de manquement identifié. Ainsi, par exemple, si une entreprise ne respecte pas les délais de paiement de droit commun, ni celui spécifique au transport, ni celui des produits alimentaires, le plafond théorique de l’amende est porté à 6 millions d’euros. L’amende peut être contestée devant le tribunal administratif.

En plus de l’amende, la décision prononçant la sanction est systématiquement publiée sur le site de l’administration économique (DGCCRF) et dans un journal d’annonces légales. Une peine de publication supplémentaire peut être prononcée dans un autre support (site internet de l’entreprise, presse spécialisée, presse générale…).

Les sanctions sont-elles réellement appliquées ?  

Assurément ! L’administration économique (DGCCRF) multiplie les contrôles. Pour 2023, ce sont déjà plus de 80 décisions de sanction qui ont été publiées, qui font état d’amende d’un montant variant de quelques milliers d’euros jusqu’à un million.

En 2022, 1 219 établissements, privés et publics, ont été contrôlés, avec un taux d’anomalie constaté de 33 %. Les procédures de sanction administrative ont représenté un total de 33,5 millions d’euros d’amende environ (contre 40,7 millions d’euros en 2021). Les contrôles ont été effectués dans les entreprises dont les pratiques de paiement sont les plus susceptibles d’avoir un impact économique important (les grandes entreprises et celles de taille intermédiaire), ainsi que dans les entreprises qui recourent significativement à des prestations de transport et transporteurs qui les sous-traitent.  

Le dispositif est-il efficace ?

Certainement. La baisse des retards de paiement en atteste. Selon le rapport de l’Observatoire des délais de paiement pour 2022, près des trois-quarts des PME règlent leurs factures en moins de 60 jours. Le rapport indique que les PME restent la catégorie d’entreprise la plus pénalisée par les retards de paiement, « avec un effet négatif global sur leur trésorerie que l’on peut estimer à 12 milliards d’euros en 2021 ». Il souligne qu’en revanche la part des grandes entreprises réglant leurs fournisseurs sans retard a diminué entre 2020 et 2021 (elle est inférieure à 40 %). Considérant que ces retards traduisent un transfert indu de trésorerie au bénéfice des grandes entreprises, c’est la raison pour laquelle celles-ci sont la cible des contrôles de la DGCCRF. Pour l’administration, « la lutte contre les retards de paiement constitue un enjeu majeur pour l’économie et la compétitivité des entreprises », spécifiquement en période de crise.


[1] publications.banque-france.fr, 13 juin 2023

[2]CJUE, CJUE 4 mai 2023, aff. C-78/22 ; CJUE 20 oct. 2022, aff. C-406/21 ; CJUE 20 oct. 2022, aff. C-585/20, CJUE 1er déc. 2022, aff. C-370/21, CJUE 1er déc. 2022, aff. C-419/21


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