Natif de l’île de la Réunion, Jean-Raoul Ismaël, aujourd’hui âgé de 73 ans, est un entrepreneur pugnace. Après avoir fait ses armes à la Banque de l’Union immobilière, il devient marchand de biens à la fin des années 70 en vendant des appartements parisiens à des réunionnais fortunés. Aujourd’hui à la tête de JRI & Associés, ce travailleur forcené revient sur son parcours hors norme dans le secteur immobilier.
Comment vous définissez-vous ?
Jean-Raoul Ismaël : Si je devais parodier un des grands humoristes français, je reprendrais volontiers la citation de Pierre Dac : « Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ». À telle enseigne, j’ambitionne de créer une Fondation consacrée au Streetart et à l’Art contemporain, à l’île de La Réunion, après y avoir co-organisé son premier Festival de Streetart, en 2019. J’ai mon métier chevillé au corps depuis plus de 40 ans.
Pour l’anecdote, lors de mes premières vacances en couple à l’Île Maurice, je suis resté confiné dans ma chambre avec un fax. Stakhanoviste du travail, c’est à la fois ma force et ma faiblesse.
Que retenez-vous de votre enfance à la Réunion ?
J’y suis né et j’y ai passé mon enfance. J’ai fréquenté le lycée Leconte-de-Lisle à Saint-Denis, sur les traces de mes deux illustres compatriotes, Raymond Barre et Jacques Verges, pour qui j’éprouve une grande admiration. J’ai quitté mon île natale à l’âge de 18 ans. Une réalisatrice venue à l’île de La Réunion pour le tournage de l’émission « 16 millions de jeunes », d’André Harris et Alain de Sedouy, m’a sollicité pour témoigner en tant que jeune réunionnais.
Cette dernière m’a donné confiance en moi et m’a fait découvrir la littérature. Quelques semaines après son départ, j’ai tout fait pour la retrouver à Paris, mais son accueil ne m’a laissé aucune illusion et j’ai donc rejoint des tantes à Albi pour les fêtes de Noël. Je suis finalement resté quatre années à leurs côtés, au cours desquelles j’ai fini ma classe de première par correspondance et suivi ma terminale dans un lycée privé de Toulouse. Au bout d’un an, je réalisais ma première opération immobilière, en vendant leur maison d’Albi et en achetant une nouvelle demeure à Toulouse.
Le Bac en poche, j’ai poursuivi mes études à la Fac de Droit de Toulouse, mais l’approche académique du Droit, ne me passionnant guère, je retournais à La Réunion, deux ans après, comme Volontaire à l’Aide Technique et enseignant. Dix-huit mois après, dégagé de mes obligations militaires, je m’envolais alors pour Paris. Quelques années plus tard, Julien Sorel deviendra Georges Du Roy.
Quel type d’entrepreneur êtes-vous ?
Question difficile s’il en est, je considère avoir la chance de faire un métier passionnant, comportant des niches et où l’imagination peut s’exprimer librement. J’aime ainsi avoir cette liberté de tracer mon propre chemin, tout en prenant des risques qui me permettent de toujours me sentir vivant.
Comment vous êtes-vous révélé ?
Jeune et ambitieux, j’ai eu le privilège d’être recruté par une filiale de la Banque de l’Union immobilière, fondée par Jean-Claude Aaron (promoteur de la tour Maine- Montparnasse, ndlr). La qualité de cette formation a fait naître ma vocation.
Que représente l’immobilier pour vous ?
L’immobilier est la colonne vertébrale qui sous-tend tous mes projets. Lorsque j’étudie un projet immobilier, je l’analyse toujours à travers son potentiel de développement. J’hérite d’une situation et je l’améliore pour pouvoir céder l’actif dans les meilleures conditions. J’interviens essentiellement sur des actifs prestigieux, d’époque et situés dans les beaux quartiers parisiens.
Ce positionnement singulier permet de réaliser des recherches historiques, de faire intervenir des compagnons sur les restaurations et de laisser une signature. Dans mon parcours, l’art n’est jamais très loin, comme en témoigne mon slogan de communication des années 80 : « L’art de l’ immobilier ».
Pourquoi avez-vous fait le choix d’entreprendre ?
J’ai démissionné de la Banque de l’Union Immobilière au bout d’un an et demi pour me lancer comme marchand de biens. J’ai acheté mon premier immeuble à l’ âge de 29 ans, situé 7 rue du Départ (tout un programme !), dans le 14ème, à Paris, en face de la Tour Montparnasse : un clin d’œil du destin. L’opération s’est très bien passée, et d’autres ont suivi avec succès. J’ai eu le privilège d’épouser un métier pour lequel j’avais, à priori, des dispositions. Tout est parti de là. J’encourage les jeunes de la Réunion et d’ailleurs à entreprendre, car seule l’entreprise nous permet de nous dépasser.
Comment avez-vous gravi les échelons dans le secteur de l’immobilier ?
La rencontre avec Henri Benguigui, qui est devenu mon premier partenaire, m’a décidé à créer un groupe structuré : JRH Conseils, qui a employé plus de 100 salariés. En un peu moins de 20 ans, le groupe spécialisé dans la conception et la vente de produits immobiliers défiscalisés (Loi Malraux), ainsi que dans la location en meublés professionnels, a permis à mes investisseurs de pratiquer le concept de Airbnb, dès 1992 et les résidences hôtelières à Paris. Notre groupe est devenu leader dans ce secteur d’activité en réalisant plus de 60 000 m2.
Malheureusement, les avantages fiscaux ont été sensiblement modifiés, notamment par la loi de l’organisation sur la ville (LOV, 1992), alors que la crise économique sévissait sur la même période, fragilisant notre groupe. Après quelques années de négociation, JRH a cessé ses activités. Entrepreneur dans l’âme, plusieurs options s’offraient à moi. Je me suis associé avec des Family Office pour continuer mon aventure professionnelle.
Quelle stratégie avez-vous suivie ?
J’avoue avoir un faible pour les beaux immeubles haussmanniens de la capitale. J’ai travaillé essentiellement dans les beaux arrondissements de Paris : du 1er au 8ème et dans le 16ème Nord. À partir des années 2013-2014, constatant que les beaux immeubles parisiens se raréfiaient, je me suis intéressé à l’immobilier tertiaire en Île de France, en développant une foncière.
Dès 2016, j’ai également développé une activité dans l’hôtellerie parisienne et une activité immobilière dans les Pays de La Loire, plus spécifiquement à La Baule.
Pourquoi avoir concentré vos activités en Ile-de-France ?
Je me concentre sur des zones précises, proches de Paris ou autour de La Baule, afin d’être en capacité de pouvoir tout superviser. Ma difficulté à déléguer ne me permet pas de gérer des opérations dans tout l’hexagone.
Comment expliquez-vous cette difficulté à déléguer ?
Si je le savais… C’est sans doute lié à ma formation et également, sans doute, à mon ADN. Mais on peut changer et depuis quelques temps, j’ai à mes côtés un jeune, attestant d’un solide parcours universitaire, qui semble éprouver la même passion que moi.
Pourquoi vous être intéressé à La Baule ?
J’ai découvert cette station il y a environ une vingtaine d’années, j’y séjourne régulièrement et je pense qu’elle présente un réel potentiel.
Vous intéressez-vous aux nouvelles formes de financement ?
Au cours des derniers mois, j’ai sollicité pour la première fois des sociétés de crowfunding afin de poursuivre mon développement. Ma première levée de fonds s’est faite en un temps record. J’ai renouvelé cette opération trois fois avec le même succès. Par ailleurs, conseillé par la Banque ARJIL 2.0, je finalise actuellement une levée de fonds significative portant sur les « Token », qui sont la représentation numérique d’un actif.
L’immobilier offre un véritable support à cette technologie, permettant la dématérialisation, le fractionnement, la liquidité, l’ accessibilité, la sécurité et la rapidité des transactions. L’apparition du « Token » (actif numérique échangeable sur un blockchain, ndlr) ouvre de nouvelles opportunités, encore insoupçonnables, pour financer l’immobilier.
Comment imaginez-vous l’ évolution du secteur immobilier ?
Je pense que l’immobilier a encore de beaux jours devant lui, surtout après la crise que nous traversons. L’immobilier répond à un besoin primaire, l’homme ayant deux préoccupations majeures : se nourrir et se loger. C’est donc un bien de première nécessité, mais les nouvelles lois de l’urbanisme, qui encadrent l’immobilier, rendent notre métier de marchand de biens ou de promoteurs de plus en plus complexe et difficile.
Cette complexité se révèle particulièrement pour les opérations « Paris intramuros » où il existe peu de réserves foncières. Nous sommes face à une totale inadéquation entre l’offre et la demande, qui pèsera de façon certaine sur le marché. Je n’exclus pas de nouvelles crises à l’avenir, qui affecteraient l’immobilier. Pour ma part, j’ai vécu plusieurs crises aux causes fondamentalement différentes, qui ont toutes impacté significativement le secteur immobilier, dont, entre autres : le choc pétrolier de 1973, la récession du début des années 1980, la guerre du Golfe en 1991 et la crise des « subprimes », en 2008.
En cas de crise, lorsque vous êtes propriétaire d’un bien immobilier, qui est un produit rare et cher, vous pouvez faire le dos rond en attendant que la crise passe et laisse place à des jours meilleurs. Comme le dit Nelson Mandela : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ».
Propos recueillis par Isabelle Jouanneau
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