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Covid-19 : comment la pandémie modifie l’offre et la demande

Entreprendre - Covid-19 : comment la pandémie modifie l’offre et la demande

Par Henri Temple

Tribune. Bien trop d’économistes penchés sur leurs courbes et leurs calculs en oublient quel est le but de l’économie[1]. Maurice Allais (prix Nobel d’économie) le définissait ainsi : « la maximation du rendement social.». Sous l’hermétisme de la formule retenons que l’économie est censée apporter au consommateur ce dont-il besoin qu’il puisse acheter avec le produit de son travail, de façon à être libéré de l’angoisse de la fin de mois. Mais la structure du marché doit rester équilibrée, vitalisée, et non faussée. En outre il faut que la production nationale ne baisse pas et, si possible augmente.

Mon collègue Mme Hélène Clément-Pitiot a bien mis en évidence les similitudes entre la crise de l’État à la fin de l’URSS et la crise de l’État en France en 2020/21. En France, l’état s’est révélé incapable de maîtriser la pandémie (masques, tests de dépistage, respirateurs, vaccins) et même simplement de tenir un discours clair sur la pandémie. Il faut dire que l’état français n’a cessé de subir des coupes budgétaires ou les privatisations imposées par Bruxelles.

1 Les conséquences économiques et sociales de la pandémie  rappellent celles d’une guerre.

 Selon l’OCDE (10 juin 2020) la pandémie de Covid-19 a provoqué la récession économique la plus grave jamais observée depuis un siècle. Le PIB devrait accuser une baisse de 14,1% en 2020. La Banque de France ne reconnaît que 12 %. Mais le PIB est un fourre-tout qui ne décrit pas le phénomène qualitativement et, surtout, ne tient pas compte des destructions définitives du tissu économique, c’est à dire les entreprises productives qui disparaissent pour toujours. Le PIB ne dit rien non plus du chômage ou de la dette. Néanmoins une baisse durable du PIB affectera gravement l’emploi, et les finances publiques.

2 Il faut d’abord rappeler l’importance capitale des problématiques de consommation :

2.1 – Importance par la masse, d’abord, puisque selon les économètres ce sont les 2/3, ou même parfois les 3/4, de l’économie qui sont des rapports de consommation. Une famille accomplit chaque jours des dizaines d’actes de consommation (achats), et elle se trouve impliquée dans plusieurs situations de consommation de longue durée (location du logement, assurances diverses, banque, téléphonie, internet, énergie, transports) ; et il faudrait ajouter encore tous les stimulus consuméristes : publicités, démarchages dans la boite aux lettres, par téléphone, ou par internet…Si un individu se trouve dans 30 situations de consumérisme par jour (c’est un minimum) cela représente 11000 actes et postures consuméristes par an, soit au moins 715 milliards d’actes et situations de consommation par an pour un pays de 65 millions d’habitants. Les inflexions conjoncturelles : juridiques, économiques et bien sûr sanitaires, vont peser sur la situation macro économique, la demande-consommation, et donc aussi, mécaniquement, sur l’offre.

2.2 – Il faut rappeler que, outre sa dimension quantitative, les problématiques de consommation ont une incidence qualitative sur la vie des personnes. Se nourrir, se loger, se vêtir, se déplacer, se soigner, se déplacer, et communiquer sont des besoins vitaux de l’être humain. Sans parler de se cultiver, étudier, se distraire…

Rappelons aussi que, pour les économistes classiques :  »La consommation est l’unique but de toute production » (Adam Smith) même si on vient de voir que ce n’est vrai qu’à 75 % environ. Plus intéressante encore, est la formule de Jean Baptiste Say : ‘‘…si toutes les denrées renchérissent le consommateur est plus pauvre, et, comme les consommateurs sont toute la nation, la nation entière est plus pauvre… » Or, évidemment, un consommateur appauvri ou confiné consomme moins et différemment : s’il a été appauvri par un professionnel (l’entreprise X) son pouvoir d’achat baisse cela va nuire à un autre professionnel (l’entreprise Y) qui manque une vente. Cette entreprise Y peut alors licencier son personnel qui, à son tour, consommera moins.

3 La crise pandémique du Covid 19 a donc entraîné des répercussions importantes sur l’offre.

Notamment sur des marchés ou des filières. Les pratiques commerciales des consommateurs ont été bouleversées, et cela a provoqué des conséquences en chaîne sur l’offre, bien sûr sur les relations entre les offrants et les consommateurs (B to C), mais aussi entre les offrants-concurrents eux mêmes (B to B).

3.1 Sur les volumes de l’offre d’abord :

a)  la France a été confrontée à des pénuries d’offre inimaginables, dont on pensait que seules les guerres, les famines ou les catastrophes pouvaient les occasionner : pénuries de masques, de blouses, de tests d’infection, de respirateurs, de lits d’hôpital, de solutions désinfectantes, de personnels soignants privés ou publics…Et il y a eu aussi des chutes de ventes (véhicules, logements, vêtements etc). Sans parler d’activités pratiquement arrêtées depuis près d’un an : bars, restaurants, voyages, sport, discothèques, cinémas, concerts…Et même – bien plus grave, car il s’agit de mesures juridiques prises délibérément par le gouvernement – on a assisté à des interdictions incompréhensibles de produits et services sanitaires, comme celles de la prescription médicale d’hydroxychloroquine ou l’interdiction de recourir aux services des laboratoires vétérinaires, pourtant spécialisés dans la recherche de virus d’origine animale…

b) Mais inversement la France été aussi affrontée à des surplus d’offre, certains producteurs ayant eu du mal à écouler leurs productions de produits frais : produits de la mer, légumes et fruits en vrac, vins, fromages, viandes ; et la bière (v.ci-dessous) ; et même parfois carrément de la suspension de toute offre : livres en librairies (premier confinement).

3.2 Ensuite, sur les prix de l’offre : une étude par une association de consommateurs en avril 2020  (UFC-Que choisir) a  confirmé que depuis le début du confinement, » le prix des fruits et des légumes a flambé de 9 % entre la première semaine de mars, et la première d’avril ». Or les fruits et légumes représentent environ un quart du panier des produits de première nécessité, c’est dire l’impact de cette hausse sur le budget des ménages’‘. Ces hausses sont dues en partie aux circonstances particulières mais aussi à une bouffée spéculative indigne, et elle a touché les nombreuse professions (libérales et commerciales) qui ayant cessé de travailler ont subi cette double peine : baisse des revenus et hausse des dépenses. Le programme PNN (Nutrition Santé n’a plus été respecté par beaucoup)

L’Administration (DGCCRF) a dû intervenir pour prévenir les consommateurs contre les prix abusifs pratiqués (par exemple par les dépanneurs à domicile). Mais cette administration elle même confinée, les tribunaux plus ou moins à petite vitesse, l’action de l’état déjà faible quant à la surveillance de marchés, ou en télétravail, le système de plaintes quasi inexistant. (Source BFM Business 24 09 2020).

Et les hausses illégales des loyers : beaucoup de bailleurs particuliers confrontés à des difficultés financières ou profitant des circonstances, ont pratiqué des hausses abusives de loyers, excédant les règles légales.

3.3 S’agissant des pratiques commerciales de l’offre, l’administration DGCCRF a  mis en garde contre quantité de fraudes et arnaques constatées (mais hélas guère poursuivies) :

a) sur la santé : faux vaccins, aliments merveilleux, purificateurs d’air, de lampes, de compléments alimentaires ni d’huiles essentielles… qui ne permettent pas de prévenir ou guérir du Coronavirus. La DGCCRF a dû mettre en garde :

a)sur les fraudes directement liées à la santé, à savoir :

– que les dépistages du Coronavirus sont uniquement effectués par les autorités sanitaires pour confirmer un diagnostic. Toute société ou individu vous proposant un dépistage n’est pas compétent en la matière.

– que l’État ne propose pas de kit de dépistage directement aux citoyens. Aucun kit de dépistage ne peut donc être vendu sur internet et envoyé par voie postale. Toute offre de dépistage semblant émaner des services de l’État est une arnaque pour obtenir les données personnelles particulièrement vos coordonnées bancaires. De la même manière l’État ou les agences de l’État ne proposent pas de kit de confinement comprenant masque, gel hydroalcoolique, thermomètre ou autre matériel médical ;

– que des sites internet frauduleux cherchent à vendre des médicaments alléguant une efficacité contre le virus ou des médicaments destinés au traitement d’autres maladies (VIH, paludisme…) qui font l’objet de recherches dans le cadre de la lutte contre le virus. La vente de ces derniers n’est possible que sur prescription médicale et en pharmacie ; acquérir ces médicaments en ligne est illégal et peut exposer à des risques graves pour la santé  (effets indésirables voire faux médicaments) ;

– que la vente en ligne de paracétamol a été suspendue (voir ci-dessous le lien vers le site de l’ANSM), et que les annonces sur internet proposant ce médicament sont donc frauduleuses ;

– que les attestations de déplacement sont faites soit sur l’honneur, soit par l’employeur. Elles sont gratuites. Ne pas se  laisser séduire par des sites qui proposent de délivrer des attestations de déplacement contre rémunération, il s’agit d’arnaques. Attention également pour les sites proposant d’éditer une version numérique de cette attestation : on est susceptibles de fournir des données personnelles particulièrement sensibles. Seules les attestations officielles imprimées, recopiées sur papier libre ou numériques délivrées par le ministère de l’Intérieur sont valables ;

– que la décontamination des logements privés n’est pas prévue à ce jour par les services de l’État. Les personnes prétextant une décontamination obligatoire n’y sont pas habilitées et cherchent à s’introduire frauduleusement dans les domiciles ;

– que profitant de l’élan de solidarité d’aide aux personnels soignants organisé par des plateformes d’appel aux dons ou des cagnottes, certains individus exercent de manière illégale,  l’activité d’intermédiaire en financement participatif. La même vigilance doit s’appliquer aux appels aux dons en soutien à certains secteurs d’activité (édition, restauration, refuges pour animaux…) ;

b) Sur la finance la DGCCRF a rappelé :

– qu’il faut rester vigilant face aux offres d’investissements financiers. Ces offres peuvent revêtir dans le contexte actuel différentes formes : placements dans des valeurs dites « refuges » (or, métaux précieux, vin…) ou investissements avantageux dans des entreprises supposées générer des profits pendant l’épidémie de Coronavirus. Vérifier la fiabilité des sociétés à l’origine de ces offres. Consultez les listes établies par l’Autorité des marchés financiers des sociétés ayant reçu une mise en garde ou ayant usurpé l’identité d’acteurs régulés : https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/proteger-son-epargne/listes-noires-et-mises-en-garde. En tout état de cause, tout investissement suppose des risques, plus le rendement est élevé plus le risque est élevé ;

 c) sur les ventes en ligne :

– les fraudes déjà connues se sont multipliées. Parmi ces fraudes le phishing ou le smishing (ou hameçonnage) qui consiste à usurper l’identité d’une entreprise ou d’une administration pour envoyer des courriels ou SMS liés à l’épidémie de Coronavirus et ainsi inciter à cliquer sur un lien ou rappeler un numéro surtaxé afin d’obtenir vos données personnelles (notamment bancaires) ou un transfert d’argent. Des demandes de paiements de fausses factures ou de faux impayés (électricité, internet). De la même manière, la fraude des appels à rebonds consiste à inviter (par des appels ou des messages laissés sur le répondeur) le consommateur à appeler un numéro surtaxé, sous de faux prétextes liés au coronavirus ou à sa situation administrative ;

– les annonces de livraisons rapides ou sous délais courts (gratuites ou payantes) sont mensongères et d’ailleurs les offres ne respectent plus les règles de l’affichage du prix et des frais annexes,  de la vente à distance, notamment sur délai de réflexion ou de reprise. Il est arrivé souvent que le consommateurs soit débité mais pas livré.

3.4 Des conséquences graves du covid sur des filières.

Un exemple parmi d’autres : le secteur de la bière. La fermeture des bars, des restaurants, des stades, des discothèques, l’interdiction des soirées privées, a fait chuter la consommation de bière de -35 %. Les grands producteurs ont massivement licencié, les sociétés de livraison ont perdu 20 % d’activité, et les agriculteurs spécialistes du houblon ont dû se reconvertir : la production européenne a diminué de 60 %…Quant aux reconversions agricoles elles sont difficiles car les consommateurs hésitent à acheter des fruits et légumes frais en vrac (exposés aux mains).

3.5 Conséquences sur les relations concurrentielles entre les professionnels (B to B).

 Elles ont été durablement et structurellement déséquilibrées .En effet les super marchés sont restés ouverts quoique soumis aux mesures sanitaires. Or les super marchés ne vendent pas que des produits alimentaires : ils vendent aussi des produits manufacturés et ont causé une concurrence déloyale aux circuits traditionnels d’électro ménager ou de hifi, du livre, eux, fermés. Super marchés et vendeurs par internet ont tiré leur épingle du jeu alors que Conforama, par exemple, et des milliers de PME, sont en danger de faillite malgré quelques aides d’état (reports de prélèvements obligatoires, avances de trésorerie).


En conclusion on insistera sur :

1 la pathétique insuffisance de l’application du droit économique, et notamment du droit de la consommation, pour rétablir l’équilibres dans les relations B to C et, mécaniquement, dans les relations B to B. En réalité les moyens techniques du droit économique existent bien, mais l’administration ne les utilise pas. Ainsi le contrôle des prix n’a pratiquement pas été utilisé sauf en ce qui concerne les prix de vente au public des gels hydroalcooliques.

L’état a consenti des gels de cotisations obligatoire et parfois des avances de trésorerie aux PME mais pas à toutes et cela ne suffira probablement pas à éviter, avant la fin de l’année 2021 à des faillites en chaîne.

L’état a procédé à des réquisitions notamment dans le secteur médical et para médical mais parallèlement il a restreint certaines activités médicales et certains médicaments.

Il a incité à la production nationale et même passé commande aux entreprises françaises de masques, blouses etc mais a permis l’importation massive de ces produits moins chers !

Désormais de très nombreuse plaintes de victimes et de leurs familles qui invoquent les nombreuses fautes juridiques de l’administration, et des ministres et hauts fonctionnaires sont déposées. Les tribunaux en ont pour des années. On déplorera que le droit ne soit, une fois encore, sollicité après la bataille alors que le droit pouvait agir avant et pendant, au nom de l’intérêt national. Les USA, la Russie et bien d’autres nations savent le faire.

La mondialisation frénétique et irresponsable a échoué mais l’Europe de Bruxelles est incapable de concevoir autre chose. Une philosophie sensée du droit et de l’économie aurait dû éviter ce désastre. Les politiciens ne l’ont pas voulu ni à Bruxelles, ni à Partis, ni à l’OMC., ni à l’OMS

Quant aux actions en responsabilité par les victimes contre le gouvernement chinois pour ses fautes, si elles sont parfaitement envisageables au plan juridique, le courage manquera très probablement pour les entreprendre (noter que des class actions ne seraient pas possibles).

En tout cas la crise épidémique aura profondément et durablement affecté les économies  européennes. Pour des années. Des pans entiers de sa production ont déjà disparu et d’autres vont encore disparaître. Et l’offre aura connu des transformations brutales et durables, mais négatives.

2  La hausse des faillites. Les dispositifs d’aide aux entreprises ne suffiront pas à empêcher, en 2021, une hausse attendue de 32% des défaillances d’entreprises. 2021 s’annonce redoutable avec un véritable tsunami de défaillances en France : le nombre de défaillances devrait augmenter de 32% en 2021 contre un recul de 9% cette année 2020. Car si les aides massives de l’État permettent, pour le moment, de maintenir à flots les entreprises françaises, très affectées par la crise économique, cela ne suffira pas en 2021(Selon la dernière étude publiée par l’entreprise d’assurance-crédit Euler Hermes, ce jeudi 11 février 2021). En effet les entreprises déjà fragiles avant la crise devront honorer leurs engagements, comme le remboursement du Prêt garanti par l’État (PGE) ou le paiement du décalage de charges. En outre « le gel de l’état de cessation de paiement  » et la fermeture des tribunaux de commerc pendant le confinement « ont maintenu statistiquement en vie des entreprises qui auraient, en temps normal, été déclarées en situation de défaut de paiement. » On estime que 62.000 entreprises seront en situation de défaillance en 2021 en France. (Résultat, Euler Hermes). Avec cette hausse de 32% des faillites en 2021, la France afficherait ainsi le taux le plus élevé des principaux pays européens étudiés par Euler Hermes. Seul le Royaume-Uni afficherait un score proche (+31% compte tenu d’une restructuration du tissu économique due au Brexit).

Rebâtir la France économique et sociale ne se fera pas en quelques mois et nécessitera une rupture radicale avec les rustines politiques et économiques collées depuis 30 ans et que le covid a fait sauter.

Henri Temple
Co-fondateur et précédent Directeur du Centre du Droit de la consommation et de la concurrence (Université de Montpellier), co-auteur de Droit de la consommation Dalloz, 10e édition 2020, Expert international, ancien membre du Conseil de l’Ordre des avocats.


[1]    Beaucoup de livres d’économie omettent purement et simplement de rappeler cette définition. Ils ne peuvent pas être bons. Comment raisonner sur des centaines de pages sans savoir quel est le but à atteindre ?


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