Par Patrick Pascal, ancien Ambassadeur et Président du Groupe Alstom à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie.
Il pourrait paraître décalé, sinon déplacé, d’évoquer des « Jeux du Cirque » alors que la guerre fait rage sur le continent européen. Mais l‘événement planétaire que constitue la Coupe du monde de Football approche. L’on en parle abondamment et pas uniquement en se limitant à sa dimension sportive. Les grandes manifestations sportives, qui participent de plus en plus du soft power, donnent en effet régulièrement lieu à des campagnes relevant du domaine de la politique.
Chacun a en mémoire le boycott en 1980 des Jeux olympiques d’été de Moscou par une cinquantaine de pays hostiles à l’Union soviétique, après l’invasion de l’Afghanistan. L’URSS et une quinzaine de pays du bloc communiste répliquèrent, lors des olympiades suivantes, en n’envoyant pas leurs athlètes à Los Angeles. Les Jeux olympiques d’été à Pékin en 2008 furent précédés d’une intense campagne anti-chinoise à propos du Tibet et des droits de l’homme en général. Le Président Sarkozy s’y rendit finalement alors qu’il assurait pendant la période considérée la présidence de l’Union européenne.
C’est pendant ces Jeux que la Russie envahit la Géorgie. Les Jeux d’hiver de février 2022 se sont déroulés sur toile de fond d’une situation alléguée des droits de l’homme au Xinjiang. L’invasion de l’Ukraine s’est traduite au sein du mouvement sportif par l’interdiction faite aux équipes nationales russes de participer à des compétitions internationales. De telles mesures ont même été étendues, dans certains cas, aux sports individuels. C’est ainsi que les joueurs et joueuses russes et biélorusses ont été empêchés de participer au Tournoi de tennis de Wimbledon 2022.
Une campagne qui n’ose dire son nom
Cette énumération n’est pas exhaustive et elle pourrait inclure désormais une campagne, qui n’ose dire son nom, contre l’organisation de la Coupe du monde par le Qatar. Les motivations en sont multiples, les arguments développés de diverse nature, mais pour diffuse qu’elle soit et même parfois camouflée, elle n’en est pas moins développée avec constance. Elle s’est répandue dans la sphère médiatique en cheminant tout d’abord par capillarité, elle a connu des pics et des creux avant de s’intensifier à l’approche de l’échéance prévue du 20 novembre au 18 décembre de cette année.
Suspicion de corruption pour influencer le choix du pays hôte, place de l’argent dans le sport, mise en cause de la légitimité à accueillir la grand messe quadriennale au-delà des « terres historiques » du Football – le monde arabe en étant a priori exclu -, dénonciation des conditions dans lesquelles des stades futuristes ont été construits et de l’atteinte à l’environnement en raison d’un gaspillage de l’énergie, tels sont les principaux chefs d’accusation dirigés, dans le cadre de ce qui s’apparente à une véritable campagne, contre l’Etat du Golfe.
La transparence dans le choix d’un pays organisateur et la déontologie qui devrait être associée à ce processus, est une exigence. Le respect de ce principe ne peut que servir les Etats ou les régions du monde ne disposant pas de tous les atouts de la puissance pour se poser en candidats crédibles et incontestables et exercer un lobbying à l’échelle mondiale. Le droit et la morale contribuent donc à la justice. Le fait que l’Afrique du Sud ait pu organiser en 1995 une Coupe du monde de rugby à XV – et que les Springboks autrefois symbole de l’apartheid l’aient emporté sous les yeux du Président Nelson Mandela – peut ainsi apparaître comme une exception par rapport à cette affirmation. Le continent africain n’a en effet jamais pu organiser une Coupe du monde de Football, alors qu’il regorge de talents et fournit des joueurs de premier plan aux plus grandes équipes européennes.
Il ne faut tout de même pas oublier le Ballon d’or qui a couronné en 1995 la carrière de George Weah, ancien joueur notamment de l’AS Monaco, du PSG et de l’AC Milan, devenu Président de la République du Liberia. Le Qatar n’est pas l’Afrique, mais dans la division de l’ONU en groupe régionaux, des pays du monde arabe en font partie et il s’en rapproche donc en portant aussi, d’une certaine manière, le flambeau du continent.
Ne pas stigmatiser a priori…
Les soupçons d’argent dans l’attribution des grandes compétitions et même dans la direction des grandes Fédérations sportives internationales ou même nationales n’ont cessé de se répandre, non sans fondement parfois. Il est désormais de notoriété publique qu’un ancien Président de la FIFA a laissé, à cet égard, un triste bilan et héritage et il ne fut malheureusement pas le seul. Des concurrences intenses entre villes candidates, qui étaient au coude à coude, se sont parfois terminées par des choix surprenants sur lesquels on a préféré ne pas épiloguer. Il faut donc être très prudent en la matière et ne pas stigmatiser a priori tel pays ou telle région du monde. Les campagnes de candidature – et l’organisation de l’événement a fortiori – impliquent en tout état de cause la mobilisation de considérables ressources humaines et financières.
Il y a évidemment trop d’argent dans le sport, et dans le Football en particulier. La montée actuelle en puissance du Football féminin, qu’il faut saluer, s’accompagne pour la pratique professionnelle d’une revendication pour la parité des rémunérations – qui n’est pas illégitime en soi – mais aucunement pour une demande de plus de sobriété par rapport aux excès indécents constatés aujourd’hui. En dépit de bruyantes prises de position d’une ancienne gloire masculine du Football européen – elle-même outrageusement gâtée pendant sa carrière -, ce n’est pas le pays du Golfe dont il est question qui a introduit l’argent dans le sport.
La légitimité ou non d’organiser une compétition mondiale de Football, hors des terres « historiques » de cette discipline, est un argument parfois proféré. Il paraît désuet et dépassé. Le succès du Soccer aux Etats-Unis, y compris chez les féminines, championnes du monde en titre, est un phénomène plutôt récent. Cette absence de tradition n’a pas empêché les Etats-Unis d’accueillir la Coupe de monde de Football pour la première fois en 1994, la FIFA ayant alors l’intention de promouvoir le Football en Amérique du Nord. La grand messe du Football s’est aussi déplacée jusqu’en Russie, où la France l’emporta en 2018, et des publics asiatiques sont déjà réceptifs aux grandes rencontres de ce sport. Pourquoi la région du Golfe serait-elle tenue à l’écart d’un tel mouvement? Le ballon auquel on joue aussi dans les ruelles de villes argentines ou brésiliennes est rond comme l’est la Terre.
Le thème de l’environnement a aussi surgi dans les argumentaires, en raison des stades climatisés et malgré le déplacement de la compétition à un mois inhabituel pour la Coupe du monde mais localement plus favorable d’un point de vue climatique. On ne saurait oublier la tragédie de travailleurs victimes des risques de la construction. Une controverse s’est développée sur l’ampleur du phénomène. Une seule victime sur un chantier serait naturellement de trop et il faut prendre en considération ce drame dans toutes ses composantes. En posant toutes les questions, on ne peut pas ne pas souligner que de nombreuses entreprises occidentales ont été les sous-traitantes de l’entreprise prométhéenne de construction de stades en un temps record.
Soft power
Le Qatar a déjà montré sa capacité à organiser de grands événements sportifs. Des installations ont déjà été testées, par exemple lors des championnats du monde d’athlétisme à Doha en 2019. Tout s’est parfaitement déroulé et personne ne s’est alors ému, comme si le Football était le seul à susciter tant de passions positives, mais aussi négatives, malsaines et condamnables, jusque dans les gradins de nos stades où des « supporters » dévoyés se qualifient eux-mêmes « d’ultras ».
Le Qatar, petit par la taille mais détenteur de richesses considérables, aspire depuis des années à jouer un rôle sur la scène mondiale. Il a eu recours pour se faire au soft power, principalement dans deux domaines: le sport et l’information. L’utilisation de ce vecteur sportif est maintenant bien connue et cette stratégie a fait école, y compris parmi les voisin du Golfe. De son côté, le soft power de l’information est illustré depuis 1996 par Al Jazeera, la chaîne de télévision satellitaire, qui a brisé un monopole dans le monde arabe dans premier temps puis au-delà avec l’utilisation de la langue anglaise, puis turque et même serbo-croate ensuite. L’ancien président égyptien Moubarak, visitant les locaux de la chaîne, il y a plus de vingts ans, soit quelques années seulement après sa création, avait pu voir des équipes de journalistes venues souvent du service en langue arabe de la BBC. Il s’était étonné de l’exiguïté des locaux alors que la chaîne avait déjà acquis une grande notoriété – qu’il devait probablement redouter en son fors intérieur – en disant: « mais, c’est cela Al Jazeera ? ce n’est qu’une petite boite d’allumettes ! ». Il ne croyait pas si bien dire. Souhaitons aux stades qataris de la Coupe du monde de « mettre le feu » dans le bon sens du terme et de provoquer l’enthousiasme pour les rencontres sportives. Tous nos voeux au Qatar.
Patrick Pascal
Patrick Pascal est ancien ambassadeur et président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie.
Il est fondateur et président de « Perspectives Europe-Monde ».
Sa carrière diplomatique a été centrée sur les questions Est-Ouest et Nord-Sud, l’ONU, le monde arabe, l’Europe et l’Asie centrale, à Berlin, Rome, New York, Moscou, Riyad, Damas, Londres et Achkhabad.
Patrick Pascal est également l’auteur de Journal d’Ukraine et de Russie (VA Éditions)
– L’ouvrage en français a été publié le 11 août dernier. Il est désormais disponible en version numérique en français sur les plateformes connues (Amazon, FNAC, etc..).
– La version numérique en anglais sera disponible prochainement.
– Le prochain ouvrage de Patrick Pascal, « Le Nouveau Grand Jeu », est déjà annoncé sur le site de l’éditeur et peut même être commandé.
Le lien est le suivant : https://www.va-editions.fr/le-nouveau-grand-jeu-c2x38502130