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Comment la déradicalisation est devenue un business

Avec 100 millions d’euros sur trois ans, c’est un véritable pactole que les pouvoirs publics ont mis sur la table pour réinsérer ou déradicaliser d’anciens ou futurs terroristes djihadistes. Un montant colossal qui attise la convoitise de nombreuses structures, plus ou moins sérieuses, souvent amateures, qui se livrent une concurrence effrénée. Certains chercheurs n'hésitent plus à parler d'une véritable bulle spéculative autour de la lutte contre la radicalisation islamiste. Où quand le combat contre la haine et le terrorisme se transforme en une activité dans laquelle l’appât du gain et la recherche de la médiatisation ont pris le dessus. Enquête.

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Avec 100 millions d’euros sur trois ans, c’est un véritable pactole que les pouvoirs publics ont mis sur la table pour réinsérer ou déradicaliser d’anciens ou futurs terroristes djihadistes. Un montant colossal qui attise la convoitise de nombreuses structures, plus ou moins sérieuses, souvent amateures, qui se livrent une concurrence effrénée. Certains chercheurs n’hésitent plus à parler d’une véritable bulle spéculative autour de la lutte contre la radicalisation islamiste. Où quand le combat contre la haine et le terrorisme se transforme en une activité dans laquelle l’appât du gain et la recherche de la médiatisation ont pris le dessus. Enquête.

Il y a quelques mois et alors qu’il occupait encore la fonction de Premier ministre, Manuel Valls avait présenté 50 nouvelles mesures contre la radicalisation. Parmi elles, la construction d’un centre de désendoctrinement par région, la création d’un véritable service de renseignement pénitentiaire et d’un collège universitaire dédié à la recherche contre la radicalisation. Autant de décisions censées lutter contre « cette idéologie du chaos, qui glorifie la mort et répand une vision paranoïaque du monde ».

Parmi cette batterie de choix, l’ouverture de 13 centres de prévention, d’insertion et de citoyenneté (CIPIC) d’ici la fin de l’année 2017 a pour but l’accueil de personnes radicalisées ou en passe de l’être. Le premier a d’ailleurs vu le jour au mois de septembre 2016 à Pontourny (en Indre-et-Loire).

6 millions d’euros distribués en 2016

« L’objectif est de doubler en deux ans la capacité de prise en charge, alors qu’aujourd’hui 1600 jeunes et 800 familles bénéficient, sur la base d’un volontariat, d’un suivi », avait déclaré l’ancien chef du gouvernement. Un suivi jusqu’ici souvent mené par des associations à l’ancienneté ou à l’expertise quelque peu incertaine et régulièrement montrées du doigt pour leur intérêt plus grand vis-à-vis de la manne financière des subventions publiques distribuées (6 millions d’euros en 2016) que par le combat concret contre la radicalisation islamiste.

Pour la sénatrice Europe Écologie Les Verts, Esther Benbassa, qui a mené avec sa collègue Catherine Troendlé (Les Républicains) une mission d’information sur les méthodes de « désendoctrinement, désembrigadement et de réinsertion » des anciens djihadistes, « il y a une volonté de revenir sur les méthodes de déradicalisation utilisées jusqu’à présent et qui n’ont donné aucun résultat.

Les chercheurs, les grands oubliés

Beaucoup d’argent s’est envolé. Pour rien ? Peu à peu, la politique de déradicalisation est en train de devenir un business. Ce qui est très important dans les nouvelles mesures annoncées il y a quelques mois par Valls, c’est l’augmentation des sommes allouées à la recherche. On a longtemps oublié les chercheurs sur ces questions. Contrairement à ce que disait Manuel Valls, comprendre, ce n’est pas excuser.

Il faut à tout prix comprendre l’extrême complexité de ce phénomène d’embrigadement. » Business : le mot est lâché. Avec un budget de 100 millions d’euros sur trois ans, annoncé par le gouvernement Valls à la fin du mois d’octobre 2016, la lutte contre la radicalisation représente un marché qui fait l’objet de nombreuses convoitises.

« Des gens totalement incompétents qui ne connaissaient pas le sujet »

Depuis les attentats de Paris en 2015, la demande pour la prévention a explosé : près de 80 structures, centres ou associations sont présentes sur ce nouveau créneau. Selon les chiffres officiels, près de 2200 individus considérés comme « radicalisés » sont suivis. Une tâche sensible qui ne serait pas toujours confié à des professionnels.

Comme l’explique la sénatrice Benbassa, « lors de notre mission parlementaire, plus on avançait, plus on se rendait compte qu’il y avait des associations qui s’étaient engouffrées dans le créneau parce que cela rapporte de l’argent et que ces associations faisaient n’importe quoi… Je n’aime pas utiliser les mots d’escroc ou de charlatan, mais je parlerais de gens totalement incompétents ! Qui ne connaissaient pas le sujet ! Ils auraient pu faire une formation en informatique ou tout à fait autre chose. »

Une bulle spéculative autour de la lutte contre la radicalisation islamiste

Sur l’antenne de France Inter, un ex-salarié d’une de ces structures anti-radicalisation expliquait il y a quelques semaines : « Lorsque j’ai rejoint cette structure, je n’avais aucune compétence en lien avec la radicalisation… Je m’attendais à ce qu’on soit formé, qu’on ait une culture, une méthode commune, il n’en a rien été ! On confie le cas de ces jeunes radicalisés, de leurs familles, à des gens qui sont souvent de bonne volonté, mais qui ne sont pas du tout armés pour les accompagner… L’essentiel, c’est de montrer qu’on est présent sur le terrain. Parce que c’est valorisant de bosser sur la radicalisation. Et puis parce qu’il y a de l’argent à la clé évidemment. »

Le sociologue Gérald Bronner va plus loin : « Une véritable bulle spéculative s’est créée autour de la lutte contre la radicalisation islamiste. » Le sujet étant devenu l’une des préoccupations des Français et l’un des thèmes favoris des médias, les principales figures de proue de la déradicalisation comme Dounia Bouzar ou Sonia Imloul ont compris tout ce qu’elles pouvaient retirer en matière de subventions ou de notoriété. Quitte à « déraper » ou à être sous le coup de mise en examen.


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