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Christian Buchet : « Les cancres ont tout l’avenir devant eux »

Deux ans après « Osons la mer », le directeur d’Océanides revient avec un nouvel ouvrage sur un thème très différent et beaucoup plus personnel. Celui de son enfance qui ne présageait pas vraiment d’un futur plus académique. Un message qui devrait redonner confiance à tous ceux qui sont en déshérence scolaire.

Entreprendre - Christian Buchet : « Les cancres ont tout l’avenir devant eux »

Vous êtes universitaire, historien, auteur, conférencier, académicien de marine, auteur prolifique, et plus encore, vous voici en train d’évoquer des souvenirs personnels. Quel fut le déclic qui vous a incité à jeter sur le papier ces souvenirs ?

Christian Buchet : Je me suis un jour rendu compte qu’il y a 4,5 milliards de plus d’humains sur terre par rapport à l’époque de ma naissance ! Alors qu’il a fallu attendre 1804 pour que le milliard de Terriens soit atteint. Ce fut un déclic. J’ai alors pensé qu’il pouvait être intéressant d’utiliser mon regard d’historien pour montrer à mes enfants, petits-enfants combien notre environnement et notre vie quotidienne ont été transformés en l’espace de quelques soixante ans, impactant différemment notre manière de voir, d’avoir et d’être. Et puis, au moment où de plus en plus de jeunes ne veulent pas avoir d’enfants, quelques-uns faisant preuve d’une certaine désespérance, ou s’oublient dans les écrans et les jeux électroniques, j’avais envie que l’on réussisse à sortir peu à peu du politiquement correct.

Pour avoir été maltraité par le système scolaire, parce que c’était gris, sclérosant et sclérosé d’affirmer que la vie est magnifique, je souhaitais témoigner combien il est bon de sortir des sentiers battus, de se promener avec un cœur d’enfant en bandoulière. Oui, il faut prendre le temps de s’ennuyer pour laisser monter envies et débrider la fantaisie de l’imaginaire. Débordante de couleurs, de senteurs, la vie est une aventure magnifique dans ses chemins de traverse. Avec un défi incroyable au quotidien : celui de substituer à notre ego un cœur d’enfant retrouvé, indomptable, intrépide, doté d’une soif de liberté pour développer une vision émerveillée ou aimante du monde, à chacun son adjectif.

Bien souvent, les cancres, pour peu que ce ne soit pas la paresse, mais l’amour de la vie qui les porte à s’évader, empruntent des chemins de traverse, souvent à leur insu, et donnent raison au grand Érasme et à son Éloge de la Folie. Ils épicent leur vie et nous invitent, même si on les rabroue, à embarquer pour que chaque jour davantage, on puisse crier « Vive la Vie ! ». Et cela ne les empêche pas de réussir, bien au contraire, car ils ont appris à travers leurs expériences à penser et voir autrement. L’un de vos chapitres s’intitule « Nous vivons une époque formidable ».

Formidable, vraiment ?

Oui, formidable parce que nous avons la chance folle, notre génération au sens large, de vivre l’avènement d’un nouveau temps de l’Histoire, et qui n’est que le troisième. C’est dire que nous sommes bien nés ! Rentrer dans un nouveau temps suppose une nouvelle manière de voir, mais aussi d’avoir et d’être. Le vieil enseignant que je suis l’affirme sans détour : notre système éducatif n’est plus adapté à ce nouveau temps. La structuration mentale des Asiatiques semble être plus à même de gérer l’aspect complexe de cette nouvelle ère. Les Occidentaux disposent d’un autre rapport au temps et à l’espace. Aujourd’hui, seuls les États « autoritaires » ont une stratégie de moyen terme quand nos démocraties sombrent dans le court-termisme.

Que faudrait-il faire ?

Il est urgent que notre système éducatif et de formation nous apprenne, par un autre prisme méthodologique, à sortir de nos enfermements et s’adapte enfin à ce nouveau monde dans lequel nous entrons. Il est temps de se réarmer intellectuellement, de nous libérer de ce diktat qui nous fait affirmer que nous sommes débordés, que nous n’avons pas le temps de faire des détours pour nous ouvrir, alors que nous n’avons jamais travaillé aussi vite. Il y a bien quelque chose qui cloche ! Tout se complexifie, et pour le meilleur.

Nous ne sommes pas en crise, mais dans une formidable période de mutation. Parler de crise, c’est vouloir régler les défis d’aujourd’hui avec les outils d’hier. Les mathématiques fondées sur les équations s’inscrivaient dans l’attente d’un résultat, le même pour tous, sans remise en cause. Bonjour le conformisme ! Il est essentiel, un siècle après les travaux fulgurants d’Albert Einstein, d’intégrer la physique et les mathématiques quantiques dans les formations, ne fût-ce que via une approche, afin d’apprendre à entrevoir et gérer le complexe, ouvrir nos perspectives, car dans cette dimension tridimensionnelle, tout est ouvert, rien n’est préétabli ou fermé.

Vous enseignez à des étudiants en sciences humaines, plutôt littéraires. Que leur dites-vous ?

Que l’avenir leur appartient, que la méthodologie propre aux littéraires, c’est-à-dire le plan ternaire thèse-antithèse-synthèse est l’ouverture même qui permet de régler problèmes et conflits. Mais ne nous méprenons pas, si la thèse se développe comme noire, l’antithèse comme blanche, la synthèse ne saurait être d’un gris plus ou moins profond. Un gris étriqué et ennuyeux, qui n’est rien moins que le « politiquement correct » que nous dénonçons tous et dans lequel nous pataugeons désespérément.

Ceci parce qu’aucun d’entre nous n’est formé à l’ouverture, au dépassement. Oui, la véritable synthèse se trouve dans la gamme des couleurs et dans leurs combinaisons infinies. Et ce que nous appelons thèse et antithèse en Occident, n’est rien moins que le Yin et le Yang chinois, deux forces opposées, mais perçues comme complémentaires qui se poursuivent dans un cercle, une roue, insufflant mouvement et dépassement. Une approche bien lointaine de l’opposition frontale et archaïque dans laquelle nos formations continuent de s’enfermer. C’est à ce prix que nous sortirons du « politiquement correct » ou du « en même temps » !

Avec vos amis cancres, vous vous êtes donné à cœur joie. Vous racontez tous vos coups pendables, allant même jusqu’à vous lancer dans le perfectionnement des antisèches. Qui aurait dit que vous deviendriez enseignant ?

C’est que j’ai eu la chance d’être avec quatre amis qui tout autant que moi, aspiraient à autre chose qu’à ce que notre environnement nous assénait et voulait nous imposer. Nous aimions déjà trop la vie pour ne pas y introduire un peu de fantaisie, nous promettant de ne jamais nous en départir dans le futur… et avec un peu d’imagination, c’est fou ce que l’on peut s’amuser. Qu’il est bon de rire, sourire. Faisons-nous plaisir, ne soyons pas tristes. Changeons de paires de lunettes comme bien des cancres pour que Vive la Vie, encore, toujours et plus encore. Cancres, en avant pour le meilleur !

Propos recueillis par Anne Florin


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