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Audrey Deverloy, présidente de Sanofi : « La France est passée de la première à la cinquième place en Europe sur la production de médicaments »

Audrey Deverloy, nouvelle présidente de Sanofi.

Entretien exclusif avec Audrey Deverloy, nouvelle présidente de Sanofi

Le géant français de la santé ne s’est pas fait des amis pendant la crise Covid. Pas de vaccins (hormis le vaccin de rappel) et ensuite, une pénurie de médicaments au moment où la France en avait le plus besoin. On n’a pas oublié l’épisode du Doliprane. Sanofi se défend d’être responsable de cette situation. D’ailleurs, l’entreprise avait dû s’expliquer devant le Sénat en avril dernier.

Sa nouvelle Présidente, Audrey Deverloy, en charge du marché français depuis bientôt un an, réagit pour la première fois à la décision d’Emmanuel Macron de relocaliser des médicaments en France. Elle réagit aussi aux coupes claires qui s’annoncent dans le financement du système de santé français. Elle, qui préside la Fédération Française des Industries de Santé, ne mâche pas ses mots quand on évoque le prix des médicaments : « Pas assez chers », dit-elle en avant-première dans « Entreprendre ». Et à ceux qui disent que les labos français se sont enrichis pendant la crise, elle répond que si les bénéfices existent, c’est pour financer la recherche et offrir des salaires plus attractifs. Docteur en médecine, elle a la double expérience de grands labos étrangers, Pfizer et Novartis. Elle est l’une des rares femmes à diriger aujourd’hui un fleuron de la santé. Un fleuron chargé d’histoire puisque Sanofi est né d’une myriade d’entreprises réunies au fil des années, depuis 1973, lorsque Elf en était encore propriétaire.

Sanofi, qui a essuyé beaucoup de critiques pour avoir raté le vaccin français contre le Covid-19, n’a pas dit son dernier mot. Un traitement révolutionnaire capable d’éradiquer une maladie chronique sera bientôt annoncé. « Entreprendre » vous en donne la primeur. Il s’agira d’un vaccin majeur pour la santé des Français. Peut-être même la fin d’une maladie qui a empoisonné la vie de millions de personnes pendant des années. Audrey Deverloy est bien partie pour soigner l’image de Sanofi.

Entreprendre : Relocaliser, comme le demande Emmanuel Macron, est-ce un vœu pieux ? Est-ce un pari tenable ?

Audrey Deverloy : Oui, il a raison. J’attendais ces annonces ! Le cap donné est le bon, mais nous devons maintenant entrer dans l’opérationnel en prenant en compte les contraintes industrielles et économiques. Ne croyons pas que l’on pourra, ou que l’on doit, tout relocaliser. Il faut être clair sur ce qui est stratégique ou pas. La liste de 450 médicaments essentiels publiée par le ministère de la Santé et de la Prévention comprend beaucoup de médicaments anciens. Or, les patients ont aussi besoin de traitements innovants ; c’est là que se joue la souveraineté sanitaire, pour être capables de répondre aux besoins en produits matures et innovants.

Tout rapatrier en France, vous le ferez ?

Il faut raisonner France et Europe. Ce qui n’a pas été pris en compte à ce stade. Si on devait prévoir 4 mois de stocks dans chacun des 27 États membres de l’UE, ça équivaudrait à 9 ans de stock. Restons réalistes, car ce n’est pas le moment de remettre davantage de tension dans un système industriel qui l’est déjà pour de multiples raisons.

Quels médicaments êtes-vous prête à faire revenir ?

Soyons clairs. Chez Sanofi, nous avons toujours fait le choix de la France ! Sanofi a 16 sites industriels sur le territoire. Et on y investit chaque année environ 350 millions d’euros, dont 150 millions notamment pour augmenter nos capacités de production ou produire de nouveaux médicaments ou vaccins. Quasiment tous nos produits sont fabriqués en France et Europe. Donc, la question nous concerne moins, bien que nous ayons aussi des exemples récents de relocalisation en France. Nous sommes le premier contributeur à la souveraineté sanitaire en santé en France. Néanmoins, nous demandons un cadre réglementaire, et économique. Ce que nous voulons, c’est maintenir cette production en France sans contraindre en parallèle nos investissements dans l’innovation.

En étant toujours compétitif ?

C’est la question principale. Nous devons construire un modèle soutenable économiquement à moyen et long terme. Il ne tiendra que si l’on vend nos médicaments au juste prix sur le marché dans lequel nous produisons, et avons notre recherche. Aujourd’hui, la France a les prix des médicaments les plus bas d’Europe.

Oui, mais les comptes de la Sécu sont dans le rouge ?

Le Président de la République l’a dit lui-même, il faut arrêter de faire du médicament la variable d’ajustement du budget de la sécurité sociale. La France consacre près de deux fois moins à ses médicaments que l’Allemagne. Résultat, en quinze ans, la France est passée de la première à la cinquième place en Europe sur la production de médicaments.

Le budget de la sécurité sociale augmente pourtant…

Oui, il augmente d’une manière générale car les besoins de santé augmentent. Mais pour le médicament, le budget a été sacrifié depuis 15 ans. Le poids du budget du médicament est passé de 15 à 10 % dans les dépenses ! Donc, la réalité est qu’on a décapitalisé de plusieurs milliards celui du médicament.

Et comment faire pour maîtriser les dépenses si les médicaments augmentent ?

Le système est fragmenté et les économies générées devraient être massivement réinjectées dans le budget du médicament. On ne prend pas suffisamment en compte les économies réalisées par l’État grâce aux innovations thérapeutiques qui permettent de plus en plus de limiter les hospitalisations, ou de reprendre une vie active. Il faut arrêter de voir systématiquement la santé, et la prévention comme un coût, mais plutôt comme un investissement pour l’État.

C’est donc sur les nouveaux traitements qu’il faut relever les prix ?

Si un traitement permet d’éradiquer une maladie, ou est révolutionnaire, avec à la clef des patients qui reprennent une activité, cela recrée de la valeur pour leur pays tout en diminuant les dépenses en santé. À ce titre, il doit être vendu au juste prix, et pas le plus bas. La localisation de sa production aussi doit être regardée car la souveraineté nationale a un prix.

Combien d’années faut-il pour créer un médicament ?

Pour sortir un nouveau traitement ou vaccin, il faut au moins 10 ans ! Et une seule molécule sur 10 000 arrive au bout du processus avec un investissement de 2,5 milliards d’euros en moyenne. Avec une protection effective des brevets relativement courte, 6 à 8 ans, car nous avons des délais d’approbation aussi très longs.

Pourtant, les laboratoires ont fait d’énormes profits ?

Il y a beaucoup de fantasmes sur ce sujet… Heureusement qu’on fait des bénéfices, sinon, comment ferions-nous pour investir dans la recherche et la production de nos médicaments ? Chaque année, Sanofi investit plus de 2 milliards d’euros en R&D en France… C’est plus que notre chiffre d’affaires ici.

Faut-il augmenter les prix des médicaments ?

Il faut rappeler que c’est l’État qui fixe le prix des médicaments en France, à des niveaux généralement inférieurs à ce qu’on observe dans les autres pays européens et mondiaux. En plus, ce système nous interdit de répercuter les coûts supplémentaires de l’inflation de nos matières premières ou encore des stocks supplémentaires exigés ; une fois fixé, le prix d’un médicament ou vaccin ne fera que de baisser dans le temps. Ce n’est plus acceptable.

Le Doliprane qui a défrayé la chronique est très utilisé par les Français pour ses vertus thérapeutiques. Faut-il augmenter son prix ?

On parle d’une marque qui est la préférée des Français tout secteur confondu, c’est une fierté pour Sanofi !Aujourd’hui, une boîte est vendue à 2,18€ en pharmacie. Ce produit, qui a subi des tensions de production liées notamment aux tensions mondiales sur le verre ou le mannitol, est fortement impacté par les hausses de nos coûts de production et l’inflation.

Ce qui veut dire que le Doliprane 100 % français est impossible ?

Sanofi fabrique déjà le Doliprane en France, à Lisieux et Compiègne. On est engagé dans le projet de relocalisation du paracétamol aux côtés de Seqens. On avance, et ça implique en effet beaucoup d’investissements et du temps car le temps industriel est plus long que celui des épidémies hivernales.

Est-ce la fin des efforts consentis par les labos ?

On arrive au bout d’un système… La souveraineté sanitaire et industrielle doit se faire avec nous, pas contre nous. Et en prenant en compte les réalités économiques et industrielles de notre secteur.

Il faudrait baisser la consommation de médicaments ?

Il faut bien sur promouvoir le bon usage des médicaments, Sanofi lance régulièrement des campagnes de sensibilisation sur ce sujet. Et mobiliser plus fortement sur la prévention, la France peut aller plus loin. Nous avons les outils, par exemple des vaccins et des traitements efficaces pour éviter d’emboliser les hôpitaux chaque hiver avec la grippe et maintenant la bronchiolite des plus jeunes.

Êtes-vous inquiète concernant la recherche « made in France » ?

Sanofi est le champion du « made in France » sur le plan industriel, et en science. Sanofi est le premier investisseur privé en recherche et développement dans le pays. On est également membre fondateur du premier bio cluster annoncé par l’État, le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC) pour faire de la France un leader de l’oncologie sur le modèle de ce qui existe à Boston. Donc, la recherche made in France, c’est aussi plus de collaborations entre le public et le privé.

Vous pensez être au niveau de concurrents américains ?

Le seul moyen d’être au niveau des clusters américains, c’est de faire travailler ensemble et plus vite tout l’écosystème de la recherche française. Sanofi est membre du bio cluster PSCC, avec l’Université de Saclay, l’hôpital Gustave Roussy, l’Inserm et Polytechnique. Nous disposons sur une même unité de lieu, des meilleures technologies, des meilleurs experts pour accélérer la recherche sur le cancer et aboutir à des traitements innovants en France.

Vous avez travaillé avec Pfizer et Novartis, sont-ils meilleurs que nous ?

Les maisons mères sont sur des continents différents, les portefeuilles de produits, et les cultures d’entreprises ne sont pas les mêmes. Donc, les prises de décisions sont différentes. Le fait d’avoir un siège social en France nous fait prendre des décisions qui ne seraient probablement pas les leurs. Ce n’est pas un hasard si Sanofi a conservé sa production et sa recherche en France et en Europe.

Pour vous, quel est le modèle idéal ?

Le modèle idéal, c’est d’abord une science forte avec les meilleurs talents en se focalisant sur les médicaments et vaccins « first in class, best in class ». Nos start-ups sont prometteuses, et Sanofi a de nombreux partenariats avec des entreprises brillantes comme Owkin ou Aqemia, spécialisées dans la recherche fondée sur l’intelligence artificielle. Ensuite, c’est d’avoir le meilleur outil industriel, incluant ce qui se fait de mieux en digital et en technologies et donc, une modernisation industrielle permanente.

Le laboratoire Moderna, dirigé par un Français qui a trouvé l’un des vaccins contre le Covid est-il un exemple pour vous ?

Oui, bien sûr. Nous devons regarder ce qui se fait de mieux dans le monde. La France peut aussi être fière de ses groupes français en santé leaders dans leurs domaines, et aussi l’Inserm, Pasteur, le CEA, des start-ups… Mais ce qui compte, c’est au final la qualité de vie améliorée des patients.

Avec le risque de perdre les chercheurs ?

Les chercheurs vont là où ils trouvent un écosystème fertile pour leurs travaux. C’est aussi l’enjeu des bio clusters pour reconstruire une attractivité forte en France avec des moyens et de l’excellence scientifique. Et souvent, il y a des sujets de rémunérations, et derrière le chercheur, une famille. L’attractivité passe aussi par le cadre scolaire international disponible en France, et tout l’écosystème qui va avec.

Oui, mais avec des salaires bas ?

Chez Sanofi, les conditions salariales sont en moyenne 10 % au-dessus de la moyenne du secteur. Alors c’est sûr, aux États-Unis, les salaires sont plus élevés mais les conditions de vie ne sont pas comparables non plus.

La France a vécu une grave pénurie de médicaments, est-ce tolérable ?

L’hiver dernier a été marqué par une triple épidémie grippe-covid-bronchiolite inédite, ce qui a entrainé une très forte hausse des besoins de certains médicaments. Pour y faire face, nous avons mobilisé notre outil industriel comme jamais pour produire 424 millions de boites de Doliprane en 2022, un record historique ! On sait que l’hiver est une période difficile en termes de santé publique. Il faut garder les réflexes de la période Covid, avec les gestes barrière et la vaccination. Nous jouerons un rôle important avec le vaccin contre la grippe et nous serons mobilisés sur la production de paracétamol. Nous attendons aussi l’arrivée d’un nouveau traitement préventif contre la bronchiolite qui permet d’éviter plus de 8 hospitalisations sur 10 chez les nouveaux nés touchés par cette maladie ! Ce traitement a déjà reçu les autorisations européennes.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Sanofi n’a pas trouvé le vaccin contre le Covid, aurez-vous un lot de consolation ?

On est allé au bout sur le Covid, c’était important, avec un vaccin de rappel qui est disponible et apporte un haut niveau de protection. Aujourd’hui, l’un de nos espoirs porte sur la mise au point d’un traitement révolutionnaire dans la prise en charge contre la bronchite chronique. Ce médicament est déjà disponible pour traiter d’autres maladies comme l’asthme sévère. La bronchite chronique est l’une des 3 premières causes de mortalité dans le monde, ce serait donc un vrai espoir.

Ancien médecin, vous être une des rares femmes dirigeantes de ce secteur, cela vous réconforte ?

Ce qui me réconforte, c’est de voir de plus en plus de femmes à des fonctions de dirigeantes, je regrette encore que sur les fonctions de CEO cela ne soit pas encore le cas dans notre secteur.

Eric de Riedmatten


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