Il ne faut pas plus de quelques années à Arnaud Nourry pour passer de chargé de mission auprès du président à PDG de Hachette Livre en 2003, après avoir exercé plusieurs fonctions, y compris la direction générale. Un parcours sans faute qui mène Arnaud Lagardère à lui faire confiance dès l’année suivante dans le cadre du rachat partiel d’Editis. Voici Arnaud Nourry à la tête du premier éditeur français. L’homme avait déjà mené à bien l’opération du rachat de Hatier dans les années 90, et poursuit sur sa lancée avec d’autres acquisitions : Hodder Headline et Time Warner Books, qui devient Hachette Book Group USA. Cinq ans après sa nomination à la présidence, Hachette Livre est devenu le numéro 2 mondial.
Il y a quinze ans, il réussit un coup de maître en tant que négociateur : il parvient à racheter à Albert Uderzo et à la fille de René Goscinny l’entreprise Albert René, qui édite les bandes dessinées d’Astérix le Gaulois. Un véritable trésor dont le succès est garanti à chaque parution d’un nouvel album.
2021, LA RUPTURE EST CONSOMMÉE
Un si joli parcours finit souvent par s’interrompre, bien ou mal. Entre les deux Arnaud, Lagardère et Nourry, cela se passe il y a trois ans. Il est démis de ses fonctions suite à un désaccord stratégique. Il ne s’explique pas publiquement sur les raisons de son départ, mais des dissensions étaient apparues lorsqu’Arnaud Lagardère a voulu se rapprocher du groupe Bolloré. La suite des événements lui a donné raison, si l’on considère l’actualité récente qui mène à la chute d’Arnaud Lagardère et de son empire médiatique. De fait, Vincent Bolloré est finalement devenu l’homme fort de l’empire créé par Jean-Luc Lagardère.
Arnaud Nourry a 60 ans lorsqu’il part du groupe et pourrait penser raisonnablement à une sorte de préretraite. À vrai dire, il prend le temps de se reposer, volontairement mais aussi pour respecter sa clause de non-concurrence. Une pause qui lui permet de réfléchir à un nouveau projet dans son domaine de compétence, sur un marché de l’édition en plein bouleversement.
L’édition représente un marché relativement modeste de quatre milliards d’euros en prix final. Il est constitué de groupes détenus par des actionnaires qui ne sont pas des spécialistes du marché culturel (Vincent Bolloré et Daniel Kretinsky), et de groupes plus modestes qui subissent des changements de direction familiale. Ces périodes de transition ne sont pas toujours faciles à gérer. C’est le cas pour Gallimard, Actes Sud ou Albin Michel, sans oublier le groupe Hemensis, toujours en vente à l’heure du bouclage.
UNE NOUVELLE APPROCHE DE L’ÉDITION POUR LES NOUVEAUX ÉDITEURS
Arnaud Nourry n’a rien à prouver dans cette nouvelle aventure. Mais sous son apparence très sage, il se veut aussi un entrepreneur insolent et indépendant, qui veut s’amuser et proposer une véritable nouvelle offre.
Il a eu le temps de rencontrer de nombreux éditeurs et éditrices, dont certains se posent la question de vers qui se tourner dans cet univers chahuté. Avec Les Nouveaux Éditeurs, Arnaud Nourry souhaite accueillir ceux qui veulent retrouver une liberté, un monde plus chaleureux, où la recherche de sens sociétal n’est pas un vain mot. Il avoue s’être inspiré du modèle de l’audiovisuel, et plus particulièrement de Mediawan. L’idée centrale est de proposer une solution à des maisons petites et moyennes talentueuses qui veulent grandir tout en gardant une liberté indispensable, en leur garantissant « un esprit boutique auquel tant d’auteurs sont attachés ».
PARTENARIAT AVEC SIMON & SCHUSTER
Le nouvel entrepreneur a rassemblé autour de lui un groupe d’amis et associés fondateurs (Ronald Blunden, Ugo Nourry, Olivier Sulpice, Stéphane Distinguin, Emmanuelle Guilbart, Erik Maris), ce qui permet d’envisager l’avenir sur les deux ou trois prochaines années sans penser à une nouvelle levée de fonds.
Dans ce cadre, le partenariat non capitalistique qu’il a signé avec l’Américain Simon & Schuster est essentiel et a fait le buzz. Arnaud Nourry connaît depuis de nombreuses années Jonathan Karp, le CEO de S&S, leader du marché américain, et entretient avec lui des relations d’amitié. Ce partenariat repose sur deux axes : l’un est d’échanger sur l’innovation, l’intelligence artificielle, les nouveautés numériques qui pourraient améliorer les pratiques. Le second est de se donner un droit de premier regard mutuel sur les futures acquisitions en tant qu’éditeurs, avec la possibilité d’agir conjointement pour des séries ou licences diverses.
Un partenariat qui pourrait mener plus loin si jamais Simon & Schuster décidait finalement de le transformer en participation en capital, une fois le moment venu. Arnaud Nourry pense que de nouveaux besoins en financement pourraient intervenir fin 2026.
EN ATTENTE DES PREMIERS TITRES
Les planètes semblent alignées pour que la nouvelle maison d’édition connaisse le succès. Même si Arnaud Nourry avoue qu’à 63 ans, il n’a aucune idée de revanche en tête, le voici probablement fort aise, comme dans la fable, de repartir sur une belle aventure dans l’édition, en ayant réuni autour de lui des personnes alliant expérience et ayant la même approche des affaires. Le lancement n’aura d’ailleurs pas tardé après que la clause de non-concurrence a pris fin fin avril 2024.
Le dernier trimestre, et au plus tard le début 2025, devrait voir la parution des premiers titres, tout ayant été largement anticipé. L’annonce du lancement appuie sur le fait que les contrats proposés aux auteurs seront alignés sur les conditions les plus favorables du marché. Une jeune aventure entrepreneuriale qui ne demande qu’à s’affirmer.