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Anne de Coudenhove (Edenpress) : « Il y a mille façons d’être médecin comme il y a mille façons d’être journaliste »

Anne de Coudenhove (Edenpress)

Anne de Coudenhove est l’actuelle directrice des rédactions du groupe Eden. Ancienne rédactrice en chef du JT de 13 h de TF1, où elle côtoie Jean-Pierre Pernaut, elle livre aujourd’hui son expérience, son regard sur le monde médiatique et les grands enjeux actuels et évoque aussi le besoin de maintenir un journalisme de qualité pour faire face à la concurrence croissante des réseaux sociaux.

Vous avez aujourd’hui 40 ans de carrière dans le monde médiatique avec, notamment, une expérience remarquée de rédactrice en chef du JT de 13 heures de TF1 aux côtés de Jean-Pierre Pernaut. Quel est a posteriori le regard que vous portez sur ce programme si emblématique et populaire du paysage audiovisuel français ?

Jean-Pierre Pernaut a été un visionnaire. Il était l’un des premiers en télévision à comprendre l’importance de la proximité et la nécessité de parler aux gens de leurs vies, en sortant de l’information très institutionnelle qui dominait à la création du journal. Et pourtant, pendant des dizaines d’années, le journal a été raillé par les intelligentsias parisiennes.

Ce modèle fonctionnait parce que Jean-Pierre Pernaut était perçu comme un homme « vrai » et « nature ». C’est un journal qui était d’abord un journal d’actualité, mais aussi un journal de reportage et un journal des régions autour de Trois R : Reportages, Régions et Rigueur.  Je suis très fière d’y avoir participé malgré les quelques moqueries que j’ai pu entendre quand j’étais rédactrice en chef. De temps en temps, elles s’exprimaient au sein même de la rédaction de TF1 ! Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, je pense que l’on peut rajouter un 4e R : le Respect.

Qu’est-ce qui dérangeait profondément cette intelligentsia parisienne dans le JT de 13 heures ?

Jean-Pierre Pernaut a été caricaturé comme « le dernier sabotier de France », l’homme des petites histoires… En effet, il y avait des petites histoires rurales dans le JT de 13 heures. En revanche, nous ne sommes jamais passés à côté de l’actualité. Nous n’avons jamais manqué une spéciale quand la situation l’imposait. Notre travail a toujours été réalisé avec le plus grand sérieux, tout en maintenant le souci de mettre en lumière une France parfois invisibilisée du paysage médiatique. Cette double exigence n’a jamais été contradictoire.

Régulièrement, des sondages d’opinion viennent éclairer la relation parfois complexe qu’entretiennent les Français aux médias. Le plus récent, le baromètre Kantar 2023, démontre qu’environ un Français sur deux n’a qu’une confiance modérée envers la presse. Avec votre recul, comment expliquez-vous ce désaveu partiel de l’opinion envers la profession ?

J’aurais tendance à mentionner deux raisons. La première s’inscrit dans un désaveu global des politiques en général et de tout ce qui est perçu comme le pendant d’une institution, d’un pouvoir, d’un groupe, d’une élite. La seconde est sans doute la croissance des réseaux sociaux, dont l’une des conséquences est l’émergence d’une information immédiate et non vérifiée. Plus les choses sont répétées, plus elles paraissent vraies. Quand bien même elles sont fausses.

Nous avons ainsi constaté que le sentiment d’une presse au service du pouvoir était particulièrement répandu. Cette croyance s’est notamment diffusée pendant les Gilets Jaunes. Sur les ronds-points, les manifestants étaient persuadés que le journaliste présent était en ligne directe avec l’Élysée. Il y a une sorte de fantasme du journaliste lié au pouvoir. 

Le métier du journalisme est confronté à de grands enjeux structurels, allant de la lutte contre les fake news à une inclusion plus volontariste des minorités et femmes aux postes de responsabilité des médias. Sur ce dernier point, avez-vous constaté, dans votre carrière, des freins spécifiques ? Quelles ont été vos stratégies pour les surmonter ?

Dans mon expérience personnelle, je n’ai rien constaté de tel. Et ça ne concerne que mon cas et je ne cherche pas à en faire évidemment une généralité. J’ai été élevée par une mère qui travaillait, qui était médecin, une grand-mère qui était médecin. Chez moi, la notion de féminisme, d’indépendance des femmes, d’autosuffisance des femmes, était quasi innée et relevait de l’évidence. J’ai fait mon travail et ce que j’aimais. Je me suis battue pour ce que j’aimais. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir le chemin barré par des hommes. D’autres facteurs ont pu en revanche me barrer la route. Mon incapacité à me constituer des réseaux notamment. L’une des difficultés des rédactions est en effet de réussir à représenter la société française. Les écoles de journalisme sont majoritairement féminines et les filles y sont plutôt brillantes. À mon époque, le COMEX de TF1 était dominé par les hommes. Il me semble que c’est plutôt paritaire aujourd’hui. Cela n’empêche pas que de nombreux efforts restent à mener.

En revanche, l’intégration des minorités culturelles ou des gens moins bien dotés socialement reste plus délicate. Nous commençons à avoir des enfants issus des milieux ruraux, mais cela reste marginal. C’est encore compliqué sur les minorités ethniques. À ma toute petite échelle, je suis allée dans les collèges, les lycées et dans les quartiers pour tenter de promouvoir mon métier auprès de publics traditionnellement éloignés des rédactions. C’est très important aussi pour l’inclusion, la représentativité de tous. Mais c’est un travail de très longue haleine. Chaque visite est une goutte d’eau dans un océan.  

C’est une chose qu’on essaie de faire chez Eden aussi : prendre des jeunes, les faire grandir, avoir des horizons différents, des profils différents. Les écoles de journalisme y sont confrontées tous les jours et elles y sont particulièrement sensibles. Et ça, c’est un combat que je trouve très intéressant. 

En parlant justement d’Edenpress, vous avez récemment entamé une nouvelle évolution de carrière, en devenant directrice des rédactions de cette agence de presse. Quel a été le catalyseur pour ce nouveau parcours ?

La transmission premièrement, le choix de faire grandir nos journalistes et de les aider dans cet apprentissage. Le mot est peut-être un peu fort, mais j’évoquerais aussi « l’invention » : l’invention d’un nouveau journalisme avec le métier d’éditeur visuel et la modernité que cela peut apporter à la profession.

Et, de manière secondaire, le challenge pour moi de m’attaquer à quelque chose de nouveau et me frotter à une nouvelle écriture journalistique qu’est le magazine après avoir fait 40 ans de JT. 

Quel est le profil type du journaliste chez Edenpress, s’il y en a un ?  

Ça dépend des émissions. Sur les magazines, ce sont des journalistes qui ont le goût de l’image, de l’enquête et qu’il faut accompagner dans l’écriture et les montages. C’est un bonheur de les voir progresser. Du côté des éditeurs visuels, il n’y a pas de profil type. Ils ont entre 24 et 53 ans, issus de presse écrite, de radio, de télé ; ils sont célibataires, avec des enfants, mariés. C’est plutôt un état d’esprit, une volonté d’apprendre et d’acquérir de nouvelles techniques, d’être des journalistes autonomes, pour devenir quelque part un journaliste du futur. 

Vous avez évoqué des profils qui vont de 24 à 53 ans. Est-ce que les profils de 24 ans ont fait une formation spécifique pour être éditeur visuel ? Est-ce qu’il y a une formation pour devenir éditeur visuel ?

Il n’y a pas du tout de formation spécifique dans les écoles. La formation, c’est nous.

Quand je vais dans les écoles de journalisme, je leur dis toujours qu’être journaliste, c’est un peu comme être médecin. Vous pouvez être urgentiste comme vous pouvez être médecin de campagne, dermatologue, etc. Il y a mille façons d’être médecin comme il y a mille façons d’être journaliste. Aujourd’hui, l’intérêt d’être éditeur visuel est que ça vous forme à énormément de techniques qui vous ouvrent à de multiples horizons : le numérique, la radio, la télévision, l’image, le montage, l’écriture. 

Le métier de journaliste évolue et, surtout, fait face à de nombreux défis. Parmi eux, la montée en puissance des modes alternatifs de consommation de l’information, comme les réseaux sociaux, ou la baisse de plus en plus marquée de la presse écrite. Comment, au sein d’Eden, aspirez-vous à y répondre et maintenir intact l’intérêt du public ?

Je pense qu’il faut continuer à faire le cœur de notre métier : raconter des histoires. Pas n’importe comment évidemment, mais raconter l’histoire d’une actualité, de quelqu’un… Si l’on fait ça bien, nous continuerons à avoir du public. C’est le fondement de notre métier. Et cet attachement aux fondamentaux n’entame pas notre capacité à l’innovation en utilisant l’ensemble des outils à notre disposition, en créant des cercles vertueux avec l’intelligence artificielle notamment.


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