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Trois ans après son décès, l’Arménie pleure encore Charles Aznavour

Le 1er octobre 2018, il est parti « en haut du Ciel ». Le 5 octobre, la France et l’Arménie lui rendaient les honneurs nationaux aux Invalides, dans la sobriété, comme le souhaitait sa famille. Au-delà du cercle familial et des amis de l’artiste, c’est toute la Francophonie qui s’était donnée rendez-vous.

Copyright photo A. Bordier

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De notre envoyé spécial en Arménie Antoine Bordier

Le 1er octobre 2018, il est parti « en haut du Ciel ». Le 5 octobre, la France et l’Arménie lui rendaient les honneurs nationaux aux Invalides, dans la sobriété, comme le souhaitait sa famille. Au-delà du cercle familial et des amis de l’artiste, c’est toute la Francophonie qui s’était donnée rendez-vous. Charles Aznavour devait accompagner le Président de la République, Emmanuel Macron, au sommet de la Francophonie, en Arménie, les 11 et 12 octobre de la même année. Ces 1er et 5 octobre 2021, en Arménie, Charles Aznavour est toujours en haut de l’affiche dans les rues d’Erevan.

Quelques 230 personnalités du monde artistique, politique et de la société civile, s’étaient rendues à cet hommage national, ce vendredi 5 octobre 2018. Ulla Thorsel, son épouse, accompagnée par ses enfants, Katia, Misha et Nicolas, vient d’arriver. Il est 9h30. Sa fille à ses côtés, elle a le visage assombri, fermé et triste, d’une pâleur extrême. Elle porte une écharpe blanche, en signe d’adieu à Charles, qui avait « le sens du point final », comme il disait lui-même. Elle a épousé cette qualité. C’est peut-être, d’ailleurs, l’écharpe de son mari qu’elle porte. Son épreuve est terrible : celle de la disparition de l’être aimé, depuis plus de 50 ans. Les 2 autres enfants de l’artiste, nés des deux premiers mariages, sont là, également. Parmi les personnalités politiques, les anciens présidents, François Hollande et Nicolas Sarkozy arrivent l’un après l’autre. Parmi les amis-artistes, les fidèles comme Dany Boon, Michel Leeb, Enrico Macias, Serge Lama, sont venus. Et puis, il y a le champion du monde, Youri Djorkaeff.

Beaucoup ont pleuré pendant la cérémonie, d’autres ont été très touchés par le petit Charles au talent immense, qui est parti en sifflotant, les mains dans les poches, avec ses bretelles légendaires, et son mouchoir blanc. Il est parti, comme il est arrivé dans la vie : seul. Rien ne pouvait présager que celui que certains appellent « le petit prince de la chanson », allait tirer sa révérence, seul dans sa salle de bain…A Paris, il a passé ses dernières soirées de vendredi et de samedi avec son vieil ami, Jean-Paul Belmondo. Ce-dernier est parti, aussi, plus tard,  le 6 septembre 2021. Charles, quand il est rentré à Mouriès, le dimanche 30 septembre, a retrouvé son voisin, Michel Leeb. Ensemble, ils parlaient souvent de l’Arménie.

L’Arménie, elle est bien là aux Invalides : dans le public qui attend paisiblement à l’extérieur de l’enceinte ultra-sécurisée. Certains ont fait le voyage depuis l’Arménie, les Etats-Unis, l’Espagne. La diaspora est venue des 4 points cardinaux lui dire à Dieu.

Eloge funèbre

La cérémonie commence, c’est Nikol Pachinian, le Premier ministre, qui commence son éloge funèbre : « Je m’incline devant vous grand français, grand arménien, grand artiste, grand humaniste. Je m’incline devant vous… »  Il a salué celui qui était « un maître de la chanson » et qui a donné « un nouvel élan à la culture arménienne ». Il a parlé de l’amitié franco-arménienne dont Charles Aznavour était l’un des meilleurs « ambassadeurs ». C’est, ensuite, le Président Emmanuel Macron, qui s’avance : « Charles Aznavour aurait voulu vivre un siècle. Il se l’était promis. Il nous l’avait promis. Comme un ultime défi lancé à la vie. L’âge ne l’avait jamais privé de ce fort appétit de vivre, de créer, de chanter, d’aimer… » Puis, il évoque Charles Aznavour l’exilé, qui est « devenu un des visages de la France…Ce fils d’immigré arménien et grec, qui ne fit pas d’études, compris qu’il existe en France un sanctuaire plus sacré que tout : ‶ c’est la langue Française ″. Certains héros chez nous deviennent Français par le sang versé, mais on devient aussi Français par la langue parlée, par la langue aimée, travaillée, ouvragée, célébrée. Aussi Français que Kessel et Gary, qu’Apollinaire et Ionesco, aussi Français qu’Aznavour. »

Puis, le Président Macron parle de l’Arménie, et de son engagement auprès des Arméniens. « De l’Arménie, il fut le fils, l’ami, l’ambassadeur, mais aussi l’enfant prodigue. Lorsqu’en 1988, il vint au secours des sinistrés du séisme, ce fut le début de son engagement. » Il évoque aussi cette blessure du génocide arménien, blessure toujours ouverte. Il conclut son éloge : « Et, dans le cœur de chacun, il poursuivra son chemin, marchant en se tenant droit, une main dans la poche, avec ce demi-sourire que nous lui connaissions…En France, les poètes ne meurent jamais. » Emmanuel Macron se recueille un instant devant le cercueil de Charles Aznavour, qui est enveloppé d’un drapeau français, posé au centre de la Cour d’Honneur, avec à ses côtés une gerbe de fleurs aux couleurs du drapeau arménien.

De multiples hommages

Le cercueil est porté, ensuite, par les militaires, suivis de la famille proche, la cérémonie prend fin. A la sortie, Madame Alliot-Marie, ancien ministre de la Défense, raconte qu’elle était en 1988 en Arménie. « C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Charles Aznavour. Nous avons travaillé ensemble pour faire des projets venant en aide aux enfants victimes du tremblement de terre. La cérémonie qui vient de s’achever le présentait bien. Il aurait été sensible à un tel hommage. » Monsieur Devedjian, qui est parti le rejoindre le 28 mars 2020, était un fils d’immigré. A cause du génocide, toute sa famille a fui la Turquie. Président du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine, il a été touché par l’hommage rendu à la langue française. C’était un défenseur de la Francophonie et de la paix : « Ma famille est française, parce qu’on parlait le français en Orient. Le génocide reste une blessure ouverte. La Turquie a fermé sa frontière avec l’Arménie. Qu’elle commence par ré-ouvrir sa frontière. » Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, était, lui aussi, présent aux Invalides. Visiblement, il a été ému d’entendre parler de la langue française : « c’est par la langue que nous nous unissons, c’est par la langue que nous rayonnons… La langue française est absolument magnifique. Et Monsieur Aznavour a participé à son rayonnement. » De son côté, Monsieur Kouchner, l’ancien ministre des Affaires étrangères et européennes sous Nicolas Sarkozy, co-fondateur de Médecins sans frontières « est très triste. Je le connaissais car nous avons fait deux expéditions en Arménie. Sa parole va nous manquer. Sa présence était toujours exceptionnelle. C’était un homme de combat pour la paix. Nous sommes allés au Liban, dans le Chouf. » Bernard Kouchner reste un grand ami de l’Arménie. Il s’y est rendu à la fin du mois de février de cette année.

« Un père spirituel » au grand coeur

A la sortie des Invalides, Dany Brian s’arrête un instant pour nous parler de Charles Aznavour : « Oui, il m’a beaucoup inspiré. C’était un père spirituel. » Michel Leeb qui a passé les dernières heures avec Charles Aznavour, à Mouriès, est mélancolique. « C’était une cérémonie à la hauteur et à la mesure de ce que représentait Charles. C’est-à-dire quelque chose de digne, de beau, de simple. Il était extrêmement modeste et humble. Ses chansons appartiennent maintenant à sa famille et au public. » Le footballeur Youri Djorkaeff était, aussi, un ami de Charles Aznavour. Le lendemain, il se rendra aux cérémonies religieuses : « Je suis triste, mais je suis aussi dans la paix. J’ai eu la chance de connaître Monsieur Aznavour. C’était un homme de grand talent, mais il avait surtout un grand cœur. »

En 1933, Charles Aznavour a 9 ans. Il démarre sa carrière en jouant dans Un bon petit diable, sur la scène du Théâtre du Petit Monde. Nicolas Rigas, qui en est aujourd’hui le Directeur se souvient de leur début. « C’est mon père adoptif, qui a engagé Charles et sa sœur Aïda, en 1933. Et Charles Aznavour, m’avait dit : ″ si Dieu me prête vie, je serai-là pour les 100 ans. ″ » Le théâtre a fêté ses 100 ans en 2019, sans Charles.

Le lendemain, le samedi 6 octobre la famille a décidé de suivre les dernières volontés de Charles Aznavour : il voulait des obsèques religieuses, strictement privées, là où il s’était marié avec Ulla, 51 ans avant, à la Cathédrale Arménienne de Paris, rue Jean Goujon. Puis, dans l’après-midi, il a été inhumé dans le caveau familial de Montfort-l’Amaury. Il a rejoint son fils Patrick, décédé à l’âge de 25 ans, et ses parents, Mischa et Knar.

Après ces cérémonies, et le temps du deuil, Charles Aznavour n’est peut-être pas encore totalement parti. Sa silhouette fine a, également, été honorée au 17è sommet de la francophonie. Il devait y chanter lors de l’ouverture. Il n’a pas été remplacé, comme nous l’avait confié Serge Lama, qui était présent aux obsèques religieuses : « Je connais Charles depuis l’âge de 21 ans, alors je suis très bouleversé. Je perds mon meilleur ami dans le métier. Je n’ai plus que Nana Mouskouri. C’était mon père, il m’a tout appris. C’était mon guide…Je vais à Erevan la semaine prochaine. »

Rappelons qu’à Erevan, le Pape François, lors de son voyage en juin 2016 en Arménie, avait reconnu et dénoncé pour la deuxième fois le génocide arménien. Charles Aznavour avait publiquement réagi à cette époque : « il faut reconnaître tous les génocides, pour qu’il n’y en ait plus. »

Là-haut, ce 5 octobre 2021, le roi de la Chanson et de la Francophonie nous regarde. Shahnourh Vaghinag Aznavourian nous a légué son patrimoine : celui de l’amour. En 1965, il chantait Que Dieu me garde. Dans le Ciel, avec le Roi des rois – il croyait en Dieu – ils chantent ensemble, là-haut, la chanson de Brel, Quand on n’a que l’amour. Et, celle de Piaf : Mon Dieu. En-fin, mais tout commence, la sienne : Je m’voyais déjà, en haut…du Ciel.

Reportage réalisé par Antoine Bordier, auteur, consultant et journaliste


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