À Strasbourg, la jeune pousse Biper Therapeutics veut créer la sensation avec un nouveau traitement des cancers. Soutenue par Bpifrance, WiSEED et la Région Grand Est depuis sa création en juillet 2021, elle est déjà en préparation d’essais cliniques. Entretien avec son cofondateur Mehdi Chelbi, biologiste de 44 ans.
Quels sont les quatre cofondateurs de Biper Therapeutics, Stéphane Rocchi, Rachid Benhida, Cyril Ronco, et vous-même ?
Mehdi Chelbi : Rachid Benhida et Cyril Ronco exercent tous deux à l’Institut de Chimie de Nice, Stéphane Rocchi est directeur de recherche au Centre méditerranéen de médecine moléculaire, quant à moi j’ai fait des études de biologie.
Je me suis assez tôt orienté sur le développement de startups en biotech, ainsi que dans l’industrie pharmaceutique. Nous nous sommes rencontrés par des réseaux communs il y a trois ans et demi, le projet était en fin de recherche au niveau stade académique, il fallait le structurer via la création d’une startup afin de poursuivre cette découverte, résultat d’une dizaine d’années de recherche, lauréate de nombreux prix et qui a mené au dépôt de 5 brevets. En tant que CEO de BiPER, je suis en charge de l’exécutif.
Les trois autres cofondateurs sont impliqués dans la vie de l’entreprise, mais ils exercent toujours leurs autres fonctions. Notre équipe inclut également trois autres salariés, un chef de projet R&D, un technicien de laboratoire et un directeur scientifique.
Pourquoi une implantation à Strasbourg ?
Effectivement, les laboratoires académiques étaient à Nice, mais j’avais déjà connaissance de l’environnement et de l’incubateur de Strasbourg (Ex Semia, aujourd’hui Quest for Health). En termes de réseaux, de financements, de déplacements pour moi qui suis à Paris, les conditions étaient meilleures. Mais la raison principale était que Semia avait déjà développé une très belle expérience dans le domaine Santé. Nous gardons bien entendu des liens avec le sud via nos collaborations et nos associés.
Le directeur de Quest for Health siège à présent dans notre conseil d’administration, en tant que représentant de Wiseed et son Club santé qui présélectionne les startups à épauler financièrement.
En quoi votre solution est-elle originale ?
La catégorie de médicament dite first-in-class signifie qu’il s’agit d’une nouvelle voie de traitement, en cela nous sommes les « first », les premiers. Les meilleurs dans des voies existantes sont les best-in-class. Ce qui m’a aussi attiré dans les travaux de Biper, c’est que l’hypothèse de base est contraire à la pensée habituelle. Lorsque les cellules cancéreuses s’emballent, la tendance est de chercher à ralentir le mouvement. Notre solution est au contraire de totalement stresser un type particulier de protéines, la protéine Bip.
Nous l’emmenons au burnout complet pour la faire mourir. Il s’agit d’une première mondiale. Nos premiers essais sont déjà validés par plusieurs études de preuve de concept. Cette protéine Bip est surexprimée dans toutes les cellules cancéreuses et constitue souvent un signe négatif dans le pronostic des patients.
Pourquoi cibler les cancers gastro-intestinaux ?
Nous avons ciblé ces cancers, car parmi tous les cancers concernés, ceux-là surexpriment encore plus cette protéine. Il nous fallait sélectionner des indications pour passer à l’étape clinique, nous avons donc choisi l’estomac en tant qu’indication primaire, car le besoin médical non couvert est très important avec 1 million de cas dans le monde, une progression de 2% par an et quasiment 1 patient sur 2 qui résiste aux traitements classiques. L’oesophage, le pancréas et le colorectal sont aussi concernés.
Ce traitement est-il destiné à tous les patients ou ceux qui ne supportent pas les traitements actuels ?
En oncologie, la combinaison est souvent la règle. Notre idée est d’utiliser notre médicament avec la chimiothérapie et l’immunothérapie, mais nous allons de plus pouvoir l’utiliser en monothérapie pour les patients qui ne répondent à rien du tout. Nous avons donc les deux options. Le potentiel de notre candidat médicament est très large, les études cliniques seront là pour le démontrer.
L’argent est indispensable en particulier dans votre domaine. Après une première levée en amorçage de 1,25 million d’euros, où en êtes-vous de la levée de fonds de série A de 21 millions d’euros ?
Cette somme a été définie afin de préparer les premières phases cliniques sur des patients, et pour franchir ce jalon, il faudrait la boucler au troisième trimestre 2023. Nous avons des discussions à différents stades d’avancement avec des capital-risqueurs dans le domaine de la santé, français et étrangers, car le marché sera global. Je ne peux pas en dire plus, mais cela avance normalement. Il faut dire que nous sommes dans un domaine où il faut procéder par étape, rester positif mais prudent. Les startups telles que la nôtre sont des modèles de cashburn, avec des coûts maîtrisés, mais de plus en plus élevés, car sans résultat clinique, rien n’est possible.
Sans financement, les biotechs santé ne peuvent pas car le résultat d’exploitation est négatif pendant plusieurs années. Je note quand même qu’il y a une population d’investisseurs, les family offices, qui sont sensibles à des investissements dans des projets à bénéfice sociétal, nous serions intéressés par des discussions plus fréquentes avec ce type de structures.
Quel calendrier pour les phases d’essais ?
Nous sommes à un an du démarrage de la phase 1 de l’étude clinique, une phase réglementaire. Pour cela, nous devons produire les produits testés, qui doivent être absolument identiques au produit fini qui sera commercialisé. Pendant cette phase de 12 à 18 mois, la tolérabilité est vérifiée directement chez les patients, la toxicologie est également étudiée par des sociétés spécialisées pour vérifier un danger éventuel. Ces deux éléments sont les piliers de notre dossier.
Nous recueillons aussi les premières données d’efficacité. La phase 2 de 18 à 24 mois vérifie l’efficacité sur un plus grand échantillon. La phase 3 permet d’étudier les rechutes, elle est donc encore plus longue. Sauf que si le traitement marche très bien, étant donné le statut orphelin de cancers comme l’estomac, ou le pancréas, il est possible de l’administrer par des procédures accélérées.
Votre vision à terme ?
Tout passe d’abord par l’Agence Européenne du Médicament, qui tient un peu le même rôle que la FDA aux États-Unis. En général, lorsque l’on obtient une AMM, autorisation de mise sur le marché américain ou européen, cela permet d’aller beaucoup plus vite dans les autres régions du monde.
Notre entreprise est française et le restera, mais rien ne nous empêche d’ouvrir un bureau ailleurs, nous le savons, le marché américain est important, et en Asie ce type de cancers augmente beaucoup. Et pourquoi ne pas entrer en bourse, plus tard dans le développement ? Notre business model présuppose de confier la fabrication et la commercialisation à des laboratoires pharmaceutiques avec qui nous passerions des accords de licence. Ensuite, les redevances nous permettent de lancer de nouvelles recherches.
Êtes-vous confiants ?
Notre candidat-médicament s’est avéré efficace in vitro dans toutes les indications du cancer, tumeur solide ou liquide et l’idée est de suivre en parallèle les essais en laboratoire sur d’autres indications, pour parvenir à une extension d’utilisation. Il faut d’abord démontrer que notre médicament est efficace et toléré.
D’autant que nous sommes seuls à travailler sur la voie d’un inhibiteur direct très sélectif de la protéine Bip. Une société canadienne travaille de son côté sur des mécanismes d’action plus en amont. Nous sommes donc sur une voie unique au monde. Notre guide reste le bénéfice au niveau des patients, le reste n’est qu’une conséquence. Faire gagner six mois à un patient en matière d’oncologie, c’est énorme. Cela démontre aussi l’excellence de la recherche académique française.
Anne Florin