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Presse : qui veut faire interdire France Soir ?

Chaîne YouTube retirée, déclassé par Google, menacé par la ministre de la culture de lui retirer son numéro de commission paritaire : la nouvelle formule de France Soir, devenu un site d’information, ne laisse pas indifférent. Qui se cache derrière le site issu du grand quotidien créé en 1944, et longtemps dirigé par Pierre Lazareff, relancé en 2019 par Xavier Azalbert ? Un entrepreneur de 56 ans, mathématicien de formation et ancien Mc Kinsey, qui n’a aucune intention de se laisser intimider ! La preuve !

Entreprendre - Presse : qui veut faire interdire France Soir ?

Chaîne YouTube suspendue, déclassé par Google, menacé par la ministre de la culture de lui retirer son numéro de commission paritaire : la nouvelle formule de France Soir, devenu un site d’information, ne laisse pas indifférent.

Qui se cache derrière le site issu du grand quotidien créé en 1944, et longtemps dirigé par Pierre Lazareff, relancé en 2019 par Xavier Azalbert ? Un entrepreneur de 56 ans, mathématicien de formation et ancien McKinsey, qui n’a aucune intention de se laisser intimider…

Quelle est votre ligne éditoriale ?

Xavier Azalbert : Nous sommes un média en ligne 100% gratuit qui utilise deux formules, l’écrit et la vidéo, et nous ne recevons aucune aide pour pouvoir être parfaitement indépendants. L’équipe est composée d’une dizaine de personnes ; nous travaillons également avec des contributeurs et avons constitué un collectif citoyen. Notre modèle économique est d’être rentable via la publicité et les dons qui constituent un indice de satisfaction de nos lecteurs. Nous avons développé un système que j’aime comparer aux compagnies aériennes low-cost. Non pas de par le côté réducteur de la notion du prix, mais parce qu’en dépit de ce qu’en disait la concurrence, elles ont assuré les conditions nécessaires, soit la sécurité. Il s’agit d’un modèle alternatif, pour nous la condition nécessaire est la validation de l’information.

Un modèle à contrario de la pensée unique ?

X.A. : Nous avons constaté le désamour entre les journalistes, les médias et les Français lors d’une enquête. Les remontées sont que les médias ont tendance à donner la part belle du gâteau à un petit nombre de personnes, que le public voit toujours les mêmes têtes, qu’il n’a pas droit à la parole et que ses idées ne sont pas représentées. Nous avons donc essayé a contrario d’être au plus proche des lecteurs et de leurs revendications.

Pouvez-vous préciser la notion de collectif citoyen ?

X.A. : Pour faire un média collaboratif citoyen, au-delà du journaliste et du contributeur, nous avons recours à des gens compétents, qui ont l’habitude de communiquer et/ou d’écrire. Nous avons voulu trouver un mariage entre le travail au jour le jour et l’analyse. Nous avons créé une mutualisation des compétences, une expertise de masse, et avons eu énormément de requêtes d’experts souhaitant intervenir à France Soir lors du premier confinement ( plusieurs milliers de demandes). Il a bien évidemment fallu faire une sélection en fonction des compétences et des disponibilités. Ces experts du collectif citoyen travaillent en équipe sur des thématiques. Aujourd’hui, le collectif s’est réduit en taille, chacun est plus occupé, dispose de moins de temps, il faut donc se focaliser sur les grands sujets.

C’est tout le problème de la confiance ?

X.A. : En science, les approches peuvent changer, les théories évoluer au fur et à mesure des études et des preuves qu’elles apportent. Mais dans d’autres secteurs, les changements ne sont plus crédibles et la confiance n’est plus en rendez-vous. Avec le collectif, nous essayons d’éviter ce biais, car nous disposons d’experts, autant de voix différentes, que l’on peut consulter sur un même sujet.

Pourquoi la fermeture de votre chaîne YouTube au mois de mars ?
X.A. :
Elle a été fermée pour des raisons qui ne sont pas claires, et nous avons saisi la justice. YouTube est-elle une plateforme ou un média ? Il y a un autre élément que je veux mettre en avant : suite au tweet de la ministre de la Culture (qui demandait une réévaluation de nos droits de presse, ce dont elle a parfaitement le droit), Google a « déclassé » le site France Soir dans la foulée, ce qui n’est pas acceptable et évidemment dommageable. Je regrette que les médias ne se soient pas plus insurgés envers ce traitement injuste qui nous est appliqué. Le monopole de ces géants est un vrai problème aujourd’hui et pour demain.

Vous évoquez souvent « votre culture du doute scientifique ». Quelle est l’influence de votre formation sur votre approche pour France Soir ?

X.A. : Il est vrai que ma formation est critique dans mon approche du métier. La grande discipline qui m’a passionné est la « modélisation de la décision en information incomplète », qui s’applique aussi aux médias. A partir de quel moment a-t-on suffisamment d’informations pour pouvoir décider ? Il s’agit de la fameuse analyse bénéfices/risques liée aux statistiques, aux probabilités, appliquée dans l’économie et que j’ai pu appliquer dans ma vie de consultant en entreprise. En arrivant dans les médias, je ne pouvais oublier que j’avais été formé à l’analyse des informations et de leurs biais potentiels, qui permet de mesurer leur degré de qualité, et leur significativité statistique.

Pourtant, c’est difficile de ne jamais se tromper en matière d’info ?

X.A. : Dans le cadre du journalisme, je dirai que la certitude se situe fréquemment dans la dimension des 80/20, il est possible de se tromper. Peut-être parce que les journalistes sont sous pression dans leur travail. Il leur est difficile de répondre chaque fois aux « qui, que, quoi, dont, où » qui sont pourtant indispensables. Pour faire un parallèle avec les sciences, c’est un monde où il faut atteindre les 100%, en amenant les preuves. Mais cela peut évoluer dans le temps. Ainsi, les enquêtes policières permettaient par le passé de trouver les coupables quasiment à coup sûr, sauf que lorsque l’ADN est apparu, la règle des 100% a permis de vraiment convaincre. On aboutit là encore au thème de la confiance. Le public n’a confiance qu’à 24% dans les médias.

Pourquoi ? Je pense que le problème est que l’on a essayé de stigmatiser le doute, qui utilisé de façon détournée, à mauvais escient, entraîne le manque de confiance, alors que le doute bien posé mène à la réponse. Il peut tout à fait y avoir des changements et des inversions de tendance, mais il convient d’aider le lecteur à se former son propre jugement sans qu’il ne remette tout et tous en cause sans bonne raison. Aujourd’hui, c’est plutôt le contraire qui se passe, le doute est devenu inacceptable.

Hobbes disait qu’une opinion donne pour vrai quelque chose qui a été dit. Collaboratif et privilégiant le débat, êtes-vous un média d’information ou d’opinion ?

X.A. : Voici une des meilleures questions qu’on ne m’ait jamais posée ! Un média, c’est de l’information ET de l’opinion. Quand on donne la parole, une tribune est clairement l’exposé d’une opinion, or, les médias de manière générale confondent l’information et l’opinion, cela génère de l’ambiguïté et engendre de la défiance. Certains lecteurs ne veulent que de l’information pour se faire une opinion en solitaire. D’autres apprécient les débats d’opinions contradictoires, sauf qu’ils ne le sont généralement pas, car cela est difficile à organiser. La volonté est là, on veut débattre, mais ce débat existe-t-il vraiment ?

Je ne le pense pas, c’est pour cela que nous avons voulu redonner la parole à des personnes qui ont des points de vue, pour les pousser à débattre entre eux. Il y a une grande confusion entre journaliste et éditorialiste. « BFM, la chaîne d’information », est pourtant une chaîne où de nombreuses opinions sont émises. Cela pousse les lecteurs à s’orienter vers des médias qui confortent leurs idées, ce qui est tragique !

Votre point de vue sur les relations pouvoir-presse ?

X.A. : De tous temps, il y a eu une forme de relation « je t’aime moi non plus », une fascination mutuelle, et une dépendance, car chacun a besoin de l’autre. Les médias ont envie de challenger les hommes politiques sur leurs idéologies. Cette relation est bonne, car on peut apporter à son public des infos de bonne qualité si l’on est transparent. Le souci est qu’une relation proche avec un journaliste peut être interprétée comme une collusion, surtout lorsque l’on regarde le financement des médias aujourd’hui, il est donc légitime de se poser la question. Notre indépendance économique nous permet de garantir notre indépendance éditoriale. C’est un garant de notre liberté.

Comment voyez-vous l’avenir de France Soir ?

X.A. : Nous allons consolider le renouveau de France Soir, le nom est historique, mais nous avons la vie d’une startup. Nous voulons renforcer nos systèmes d’information, l’équipe, tout comme le travail avec le collectif citoyen. Les médias sont face à un challenge de transformation de leur modèle. La crise que nous vivons nous offre cette opportunité de repenser la manière dont le journaliste interagit avec l’information et les lecteurs. Il doit être à leur service et pas l’inverse. Nous allons continuer dans la démarche que nous nous sommes donné. Les médias classiques n’ont pas su se réinventer, or il faut savoir s’adapter aux nouveaux besoins, car les lecteurs sont de plus en plus à l’aise avec l’info.

Une réflexion est nécessaire sur la définition du média, qui se doit de rester un intermédiaire entre info et lecteur, et ne pas devenir influenceur. Le défi est clair : ségréger cette notion de tiers de confiance et d’influenceur. France Soir va faire aimer l’info, le débat, la diversité, les opinions diverses et variées, car c’est du débat que naît la lumière ! Avec une tendance à 3 millions de visiteurs uniques mensuels, et des pics à 5 millions l’an dernier, nous attirons les lecteurs.

Propos recueillis par Anne Florin


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