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France ou Algérie : le choix du coeur ?

Entreprendre - France ou Algérie : le choix du coeur ?

Rencontre impromptue dans un restaurant de Deauville avec un ancien officier gradé de l’Algérie française. A 76 ans, Claude Duteil n’a rien perdu de sa superbe. Moustache en bandoulière, verbe franc et alerte, humour ciselé, le sujet tourne vite à propos du rôle du Général de Gaulle durant les événements. Selon lui, « il n’aurait pas dû lâcher ». « Après tout ce que nous avions fait là-bas depuis 1830, le pays nous appartenait autant qu’à d’autres. Pour beaucoup d’entre nous, l’indépendance a été un coup de poignard dans le dos. On ne s’en est jamais remis. La tuerie de l’espoir ! »

La formule est belle, elle émane de cet esprit rigoureux, devenu même poète à ses heures perdues, peut-être précisément pour oublier. Car les meurtrissures sont bel et bien présentes et de tous les côtés d’ailleurs. J’ai beau argumenter qu’on peut tout reprocher au Général sauf précisément de ne pas être patriote, que celui-ci, féru d’histoire, n’a pas dû manquer d’anticiper que le pays n’allait pas cesser de développer sa rébellion et que cela finirait par devenir un énorme boulet pour le redressement à venir de la France, qui restait la priorité du Général à ce moment là, et la raison pour laquelle on était allé le chercher de sa retraite de Colombey-les-Deux-Églises !

Nous étions en 1958. Charles de Gaulle avait eu largement le temps (contrairement à Emmanuel Macron) d’échafauder son programme de reconstruction durant sa traversée du désert. On se souvient que passablement lassé des petits jeux politiciens, il avait préféré démissionner de la présidence du gouvernement provisoire de la République en janvier 1946, laissant le pays aux petits calculs d’une classe politique sevrée de postes.

Et notre ami Duteil d’atténuer quelque peu sa critique : « Le Général avait sans doute aussi en tête le soutien actif de la Russie, et celui plus insidieux de l’Amérique, au FLN… » C’est bon de le rappeler. La France et son empire bousculaient-ils de trop le jeu des deux grands blocs ? C’est plus que probable.

En revanche, notre ancien d’Algérie française d’insister sur un point : « Lors des accords d’Évian, en 1962, nous aurions au moins dû conserver le Sahara. Les autorités algériennes n’en avaient cure à l’époque. Elles ne faisaient pas partie intégrante de l’entité algérienne ! ». Un ange passe quand on sait que c’est là que résident les réserves de gaz et d’hydrocarbures…

À la fin du repas, j’ai le malheur de lui avancer : « Avec le recul, avec les oppositions et les moyens, reconnaissez qu’on on aurait eu du mal à conserver le territoire. » La réponse ne se fait pas attendre, elle fuse telle une flèche, le regard est noir : « Je ne comprends pas la remarque. » La meurtrissure est encore là visiblement quelques 65 ans après chez celui qui n’avait pas 20 ans à l’époque.

À 76 ans, Claude Duteil a gardé son tempérament. Entrepreneur, il a joué un rôle important dans l’essor de notre tourisme. Un temps directeur de l’Hôtel Meurice, c’est lui qui a eu l’idée des offres week-end : « Cela s’est fait presque par hasard. Un vendredi soir, tombé en panne de durite à Chalons-en-Champagne, j’observais la cohorte de voitures allemandes qui se dirigeaient vers Paris. Bizarrement, nous n’en avions guère de clients allemands au Meurice. D’où cette idée de leur proposer deux nuits avec un spectacle offert… Cela a tellement bien marché que beaucoup s‘en sont inspirés ! »

La saison dernière, il a même organisé avec quelques amis, Noam Ginossar et Alexandre Sakon, le premier festival d’alcools élevés en barriques dans la station normande. Cela ne s’invente pas…

Chantage de l’Algérie ?

Au même moment, notre confrère du Figaro magazine, Guillaume Roquette, prend sa meilleure plume pour stigmatiser les autorités d’Alger qui refusent une fois de plus de « délivrer des laissez-passer consulaires indispensables pour expulser les clandestins de ce pays présents sur le territoire français ». Rappelons que notre pays ne réussit à faire quitter de son territoire qu’à peine 12 % des étrangers dont les préfets ont décidé l’expulsion (OQTF), alors que la moyenne européenne est de 43 %, et même de 60 % pour l’Allemagne, pays réputé clément (étude de la Fondapol).

Les moyens de pression ne manquent pas, d’autant que nous accueillons chaque année plus de 31 000 étudiants algériens. Ce qui fait dire à Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger : « Avec les pays du Maghreb, la France renonce à suivre la voie de la fermeté. » Au même moment, on apprend qu’à Tunis, le président Kaïs Saïed affirme vouloir lutter contre « le grand remplacement » (sic), n’hésitant pas à pointer du doigt « l’immigration subsaharienne qualifiée de source de violence et de crimes dans son pays ». Le monde à front renversé…

Je me souviens de ce que m’avait dit un ami chef d’entreprise franco-algérien, Thierry H. : « Tu sais, Robert, il y a des compétences informatiques ou numériques formidables en Algérie. Souvent mieux qu’ici. Seulement, ils ne laissent partir que le pire de leurs jeunes, ceux dont ils ne veulent pas. Du coup, notre regard est complètement faussé ! »

Robert Lafont


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1 commentaires sur « France ou Algérie : le choix du coeur ? »

  1. Les choses auraient pu se passer différemment, si les Pieds-Noirs avaient accepté que tous leurs droits soient donnés à ceux qu’ils appellaient les ‘indigènes’.Jusqu’en 1958, ceux-ci étaient des sujets français et non des citoyens français. Jusqu’en 1958, l’école pour tous les indigènes n’existait pas, seuls étaient scolarisés les enfants de notables musulmans. Jusqu’en 1958, la population indigène n’avait pas droit à une médecine décente et devait se contenter de soins au rabais prodigués par les centres d’Assistance Médicale Gratuite. Jusqu’en 1958, les indigènes n’avaient que des devoirs et très peu de droits.
    Pourquoi je parle de 1958 ? Parce que c’est à cette date que de Gaulle a compris que s’il ne lachait pas de lest, l’Algérie française était perdue,. Il avait lancé le Plan de Constantine et donné la nationalité française pleine et entière aux indigènes avec tous les droits y afférents, mais après le massacre du 8 mai 1945, c’était trop tard, vraiment trop tard pour essayer de réparer l’irréparable. Les Pieds-Noirs ont été eux-mêmes les artisans de leur propre perte.

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