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Plan français de sortie de guerre en Ukraine

(Ukrainian Presidency via ABACAPRESS.COM)

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Par Tom Benoit, philosophe et directeur de Géostratégie magazine

Les recommandations qui suivent répondent aux exigences de la realpolitik. Il s’agit de sept dispositions qui m’apparaissent être essentielles pour permettre un retour vers la paix, ainsi que pour instaurer un climat de puissance en France, et plus largement, en Europe.

  • Ne pas dissocier irrémédiablement la France d’un approvisionnement de gaz russe.
  • Faire de la France une puissance de production d’énergie en investissant dans les petits réacteurs modulaires (PRM).
  • Fonder une Europe souveraine en créant trois zones géostratégiques dans l’UE.
  • Organiser un référendum dans plusieurs régions d’Ukraine.
  • Conduire Moscou à reconnaître la souveraineté de l’Ukraine.
  • Rédiger des dispositions précises à propos de la base navale de Sébastopol.
  • Inciter à conserver le statut de la Crimée annexée en 2014.

L’énergie, les sanctions et l’avenir des collaborations avec la Russie

1 – Ne pas dissocier irrémédiablement la France d’un approvisionnement de gaz russe

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine initiée le 24 février 2022 sur ordre de Vladimir Poutine, les rapports qu’entretenaient les pays de l’Europe de l’Ouest avec la Russie étaient, certes, parfois fermes, mais toujours emprunts du minimum de cordialité nécessaire pour faire aboutir des projets communs.

Aussi, avant le tragique épisode qui se déroule actuellement, et donc, avant que n’aient été déclarées les sanctions que l’UE porte graduellement à l’encontre de la Russie, jamais, ni du temps de l’ère soviétique, ni depuis l’effondrement de l’URSS, l’Est ou l’Europe Occidentale n’avaient usé de l’énergie comme d’un moyen de pression.

Les sanctions diplomatiques, dès lors que celles-ci n’entrent pas réellement en application, ne peuvent avoir qu’un effet délétère. Le 26 décembre 2022, Les Echos informait que les importations européennes de GNL russes auraient augmenté de 40 % au cours de l’année écoulée. Dans le même article, on peut lire que la France, principal importateur de GNL russe en Europe, est même devenue son premier client dans le monde, devant le Japon, sur les mois de février et mars. J’attire également l’attention sur le fait qu’ayant de profondes difficultés à rompre intégralement les collaborations énergétiques avec la Russie, l’Union européenne est contraintes de déployer ses trains de sanctions par des mesures saccadées, qui ont, dans un premier temps, concerné seulement le pétrole brut, et ensuite le pétrole raffiné.

De surcroît, il ne faut pas omettre que durant l’année 2022, pour faire fonctionner le tiers des centrales nucléaires françaises, il a fallu s’approvisionner auprès de la Russie pour environ 290 tonnes d’uranium enrichi.

Entre le mois de novembre 2022 et le mois de décembre qui a suivi, les importations par l’Inde de pétrole russe ont augmenté de 29 %, faisant de l’Inde au début de l’année 2023 le plus gros importateur mondial de pétrole russe. Depuis, une quantité considérable de pétrole a été importée par l’Union européenne depuis l’Inde. Il y a fort à parier pour que les pays de l’UE, parmi lesquels la France est comptée, soient amenés prochainement se fournir massivement en pétrole auprès de l’Arabie Saoudite qui, depuis de longs mois, constitue des réserves gigantesques de pétrole provenant de Russie.

Le désastre énergétique dans lequel se trouve la France est essentiellement lié à l’effondrement d’EDF, pourtant fleuron du pays, il y a de cela a encore quelques décennies, du temps où cette réussite publique était parvenue à devenir une puissance exportatrice.

Je m’exprimerai de manière concise en stipulant que les récentes et prudentes annonces d’arrêt de la dénucléarisation de la France, ne suffiront malheureusement pas à nous diriger vers une configuration permettant d’assurer la “réindustrialisation” de notre nation ; ce dernier positionnement stratégique de maintien et d’accroissement de la richesse nationale devant être considéré comme faisant partie des priorités de l’édile politique.

2 – Faire de la France une puissance de production d’énergie en investissant dans les petits réacteurs modulaires (PRM)

Il faut que le gouvernement étudie dès à présent un plan énergétique qui consisterait à faire de la France une grande puissance de production d’énergie nucléaire, en investissant considérablement dans le perfectionnement de la fabrication de petits réacteurs modulaires (PRM).

Le nucléaire est une technologie qui présente un maximum de risques lorsqu’elle n’est que partiellement pratiquée. Tirons des conclusions du surcoût de la mise en service avec douze années de retard de la centrale nucléaire EPR d’Olkiluoto en Finlande, dont la cathédrale de béton et d’acier construite par Areva a présenté de nombreux retards de multiples problématiques. Un second exemple est celui de l’EPR de Flamanville, dont la mise en service est elle aussi retardée à cause de complications d’un ordre semblable à celles qui ont causé le colossal surcoût de l’EPR finlandais.

Il serait trop tard pour abandonner brutalement la filière EPR. Ce renoncement immédiat étant en outre impossible, la politique énergétique de la France doit être la suivante : il nous faut conjointement, investir pour achever convenablement les projets qui ont été initiés, investir considérablement dans les PRM, poursuivre l’installation d’éoliennes seulement en mer (la France dispose aujourd’hui du deuxième gisement d’éolien en mer en Europe), et faire en sorte que des accords de paix soient conclus avec la Russie en guerre afin de pouvoir reprendre nos collaborations énergétiques.

Le positionnement de la France doit être pacifiste et fiable vis-à-vis du peuple ukrainien. En revanche, durant quelque instant que ce soit, la France ne doit mettre en péril sa stabilité économique ou sa sécurité.

3 – Fonder une Europe souveraine en créant trois zones géostratégiques dans l’UE

L’Europe est dépendante de l’énergie ; pas forcément de l’énergie russe. La Russie est subordonnée à l’exportation de gaz et de pétrole, mais pas nécessairement en direction des pays européens. Il faut en déduire que des dissonances qui sonneraient durablement sur les ondes du marché énergétique russo-européen conduiraient inéluctablement vers un affaiblissement de l’Europe et de la Russie. Cette conjointe perte de force aurait pour effet de conforter la croissance de la Chine, dont le premier pays fournisseur en gaz est la Russie depuis déjà plusieurs années, ainsi que celle de plusieurs Etats du Moyen-Orient.

J’appelle régulièrement, avant même que le conflit ukrainien ne vienne étendre les troubles qui contribuent au regrettable déclin de beaucoup de pays de l’Europe de l’Ouest, à ce que les responsables de l’Union européenne, réfléchissent concrètement à ce que pourrait représenter la souveraineté européenne. J’ai fait part à de multiples reprises de mes recommandations à ce propos.

Il conviendrait de définir trois zones géostratégiques à l’intérieur de l’UE. Chacune serait portée par les voix des chefs d’Etat des pays rassemblés dans la même zone. Il suffirait à ces derniers de se réunir lors d’assemblées peu coûteuses et dont le rythme serait facilement modulable lorsque la météo géopolitique viendrait à l’imposer.

Cette configuration permettrait de faire enfin apparaître une Union européenne forte, efficace et souveraine. Aujourd’hui, l’Union européenne est capable d’agir, mais son action est inefficace pour les populations des pays membres. La souveraineté de l’UE est, à ce jour, simplement symbolique. Quant à la force de l’UE, sa plus grande précarité, est de reposer principalement sur une économie qui est bien trop keynésienne pour qu’elle puisse être robuste et durable.

Les trois zones géostratégiques de l’UE seraient représentées ainsi. Celle dont la France ferait partie inclurait les pays qui sont frontaliers de celle-ci ainsi que le reste des pays de l’Europe de l’Ouest, dont la culture ainsi que les réflexes économiques sont pleinement compatibles et complémentaires.

Une autre zone rassemblerait les pays de l’Europe du Nord, en incluant au sud, la Slovénie et la Hongrie, et en allant au nord jusqu’à la Norvège et la Suède. Pour terminer, la zone géostratégique des pays du sud-est de l’UE serait composée à partir de la Croatie, la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce.

Les enjeux géostratégiques pourraient ainsi mener plusieurs pays frontaliers à engager des dépenses communes et structurées.

La logique voudrait que les Britanniques soient, à terme, les alliés et membres d’une Europe forte. Il m’apparaît inenvisageable, qu’en France, nos investissements comme nos stratégies de défense, ne soient pas conclus à la suite de trajectoires pouvant être conciliables avec celles du Royaume-Uni.

Lorsque je parle d’enjeux géostratégiques, j’inclus bien entendu parmi ceux-ci l’organisation de l’approvisionnement et de la production énergétique – car, pour exemple, dans une situation militaire, comme lorsqu’en cas d’attaque nucléaire sur le sol français, les voisins allemands risqueraient eux aussi d’être impactés, dans une situation civile, si une centrale nucléaire située dans l’Est de la France venait à faire l’objet d’un accident majeur, les répercussions se feraient également sentir sur le territoire allemand. Par conséquent, une politique nucléaire doit elle aussi représenter un accord scellé entre les dirigeants d’une même zone stratégique de l’UE.

C’est à partir de ces zones stratégiques dont les vocations seraient concrètes, peu onéreuses et multiples, qu’une Union européenne souveraine permettrait d’accroître le positionnement du bloc européen dans le reste du monde tout en garantissant le faste des nations membres de l’UE.

La souveraineté de l’Ukraine

1-  Organiser un référendum dans plusieurs régions d’Ukraine

Il faut que les pays membres de l’ONU et de l’OTAN envisagent avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky d’organiser un référendum démocratique, afin d’apporter une information quant au positionnement des populations qui vivent dans les régions de Donetsk et Louhansk. Le résultat de ce scrutin ne doit pas prétendre à servir de moyen de pression d’un côté ou d’un autre, mais doit avoir pour objet d’entamer des discussions diplomatiques avec la Russie.

2 – Conduire Moscou à reconnaître la souveraineté de l’Ukraine

Comme je l’ai déclaré à mon retour d’Ukraine en septembre dernier, sur plusieurs plateaux de télévision, ainsi que dans les colonnes de plusieurs médias de presse écrite, le gouvernement russe ne doit pas tenter de déprécier la valeur de la souveraineté de l’Ukraine.

Il est donc capital que des discussions puissent être menées dans un futur proche avec les dirigeants russes afin d’entreprendre l’instauration d’un climat de conciliation.

La Crimée, l’UE et l’OTAN

1 – Rédiger des dispositions précises à propos de la base navale de Sébastopol.

Moscou maintient la base navale de Sébastopol depuis 240 ans. Longtemps sans que cela n’ait eu vocation à susciter quelconque débat. Durant la période post-soviétique, alors que la Crimée était retournée à Kiev, que la Russie et l’Ukraine ne faisaient plus partie d’un même bloc, le sujet de la base navale a toujours été réglé par des accords, notamment avec l’établissement en 1997 d’un bail qui coûtait à la Russie un peu moins de 100 millions de dollars par an, versés à l’Ukraine.

Déjà en 2014, alors que le secrétaire d’Etat américain John Kerry évoquait l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, une base navale militaire russe sur le sol ukrainien prêtait à faire éclore un sujet majeur de discorde.

J’invite donc aujourd’hui les représentants de l’OTAN, ainsi que les chefs d’Etats des pays membres ayant le plus largement contribué à l’aide à l’Ukraine, à présenter durant les semaines à venir, des dispositions précises pour garantir à la Russie la sécurité de la base navale de Sébastopol, dans l’hypothèse ou un accord de paix serait enfin trouvé et conclu.

2- Inciter à conserver le statut de la Crimée annexée en 2014.

Avec l’organisation d’une entité spéciale baptisée “Plateforme pour la Crimée”, le président Volodymyr Zelensky annonce préparer la réintégration dans l’Ukraine de la péninsule de Crimée. Pourtant, espérer mettre rapidement un terme à la guerre qui a éclaté il y a un peu plus d’une année, fait apparaître comme impossible d’établir des accords de paix qui viseraient simultanément, à assurer la souveraineté de l’Ukraine, faire intégrer à celle-ci d’une part l’Union européenne et d’autre part l’OTAN, et modifier le statut de la Crimée annexée par la Russie.

Par voie de conséquence, afin de conclure des compromis, il est nécessaire de s’en remettre à la volonté. Celle de l’Ukraine souveraine est d’intégrer l’Union européenne, et celle de cette Union est de faciliter l’intégration de l’Ukraine dans la communauté de Maastricht.

Je n’aborde pas ici une éventuelle révision des fondamentaux de l’Union européenne, qui, inévitablement, devra être étudiée.

À ce stade, je fais simplement référence à la détermination communément partagée par les hauts responsables de l’UE et les principaux dirigeants ukrainiens, de rattacher l’Ukraine à la croissante vingtaine d’États européens.

Charles Michel, le président du Conseil européen, déclarait il y a quelques semaines que le futur de l’Ukraine est avec l’UE. Volodymyr Zelensky, lorsque je l’ai rencontré dans son bureau à Kiev en septembre 2022, tenait des propos sans ambiguïté à propos de son ambition d’intégrer l’Europe, et le Premier ministre ukrainien Denys Chmyhal, alors que nous nous entretenions en direct sur TV5Monde le 14 décembre dernier, me répondait fermement que l’Ukraine voudrait, et fera partie de l’Europe.

En outre, bien que l’Ukraine ne soit pas à compter parmi les pays membres de l’OTAN, mais que celle-ci représente simplement un pays partenaire de l’alliance, l’attitude ainsi que le soutien des pays de l’Organisation dispose d’ores et déjà l’Ukraine au rang des États protégés par le fameux article 5 du traité fondateur de l’OTAN.

Il est aujourd’hui fort peu envisageable que l’Allemagne, comme elle l’avait fait en 2008 alors qu’elle se trouvait sous l’égide de la chancelière Angela Merkel, s’oppose à l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN ; il semble improbable qu’une ou plusieurs des principales puissance de l’Alliance s’opposent fermement à ce que l’Ukraine en devienne un État membre. En d’autres termes, l’entrée prochaine de l’Ukraine dans l’OTAN laisse peu de place au doute.

Un retour dans le giron de Kiev de la péninsule de Crimée, où se trouve la base navale russe de Sébastopol, ne pourrait évidemment pas être concomitant à un apaisement du conflit et à un ralliement de l’Ukraine à l’UE ainsi qu’à l’OTAN.

Il convient somme toute de relativiser l’attachement de Kiev pour la Crimée, dont la cession par Kroutchev à l’Ukraine en 1954 n’a jamais été approuvée par le Soviet suprême de l’URSS, par la république de Russie ou par la république d’Ukraine. De plus, déjà lors du premier référendum du 20 janvier 1991, les Criméens avaient accepté à 93,6 % d’être rattachés à Moscou plutôt qu’à Kiev. Par la suite, notamment du fait que la population, essentiellement russophone, soit partiellement constituée par des Russes travaillant à Sébastopol, les Criméens ont régulièrement affiché leur proximité avec la Russie.

Il ne faut en aucun cas amalgamer l’identité des Criméens, avec celle de dizaines de millions de femmes et d’hommes qui peuplent d’autres régions ukrainiennes, pour lesquels une quelconque dépendance à Moscou ne peut et ne doit être envisagée.  

Par Tom Benoit,
Philosophe, essayiste.
Directeur de la rédaction de Géostratégie magazine.


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