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Philippe Tesson, le dernier patron de presse ?

Philippe Tesson (Photo Shootpix/ABACAPRESS.COM)

Certes, il y avait bien aussi Robert Hersant. Mais lui n’écrivait quasiment pas. Un homme que Pierre Mauroy et sa majorité de gauche en 1981 avaient tenté de mettre à bas par une loi presqu’ad hominem. On connaît la suite. Citizen Hersant que le magazine « Entreprendre » fut l’un des rares à soutenir dans l’ un de ses numéros, (en une en 1988) resta inexpugnable malgré son endettement excessif.

Il se résoudra simplement à céder  un de ses fleurons « France Soir « . Ce qui ne réussit guère d’ailleurs au quotidien de Pierre Lazareff aujourd‘hui disparu des kiosques malgré nombre de rachats successifs (Georges Ghosn, Polygrafici, Ramy Lakah, Jean-Pierre Brunois, Alexandre Pougatchev, Philippe Mendil et plus récemment l’entrepreneur Xavier Azalbert qui en a fait un site d’informations alternatif).

Philippe Tesson, lui, était d‘une autre trempe, celle de ces hommes libres, cultivés, et gourmands de vie pour qui l’existence n’a de sens qu’avec liberté, panache et sens de l’aventure. J‘ai croisé plusieurs fois les yeux illuminés de cet homme du Nord pour ne pas oublier son regard laser et à l’affût, pour guetter une faille ou un sens. Seule l’authenticité  et la vérité pure ou évanescente l‘excitait. Pas facile de lui tenir tête, on se souvient de ses joutes avec un certain François Mitterrand.

Son école de journalisme grandeur nature c’est celle qu‘il a constituée l‘air de rien autour du « Quotidien de Paris « , le journal qu’il a créé de zéro lorsque Giscard est arrivé au pouvoir. Dans sa rédaction s’ébrouaient nombre de nouveaux talents dont la plupart ont superbement réussi depuis. À l’époque, cela ne se disait guère.

Car le Quotidien de Tesson s’affichait conservateur (« réactionnaire, c‘est quelqu‘un qui a connu autre chose. Un privilège « ), or le talent ne pouvait être précisément que de l‘autre côté. Nous étions dans les années 80 et c’est la gauche qui tenait le haut du pavé.
D’ailleurs, les tirages dudit journal étaient loin d’atteindre ceux du « Monde  » de Jean- Marie Colombani, du « Matin de Paris  » de Claude Perdriel voire de ceux de « Libération“ de Serge July. Ce n‘est pas grave. Tesson était l’exception qui confirmait la règle. La preuve même que nous étions bien dans un régime de liberté et de pluralisme.

Tesson avait démarré assez tôt. Au journal « Combat », le quotidien issu de la Résistance dont Henry Smadja avait su lui confier les clés dès l’âge de 32 ans. Une belle école de journalisme là aussi que ce quotidien de haut niveau au nombre de pages restreint mais au talent infini puisque c‘est ici qu’officiaient aussi Albert Camus, Pierre Boutang, Maurice Clavel ou Roger Stéphane. « Combat « , enferré dans les divisions de la guerre d’Algérie, finit par perdre la partie. Le talent n‘est pas toujours récompensé. Quand à Samdja, il pensait n’avoir jamais à arrêter malgré ses factures impayées. Je le sais de source sûre, c‘est l’ancienne bras droit de Jacqueline Beytout qui me l’a confiée un jour. À la fin, à certains visiteurs qui s’inquiétaient des rumeurs de prochain dépôt de bilan, il répondait cette phrase :  » rassurez- vous. Vous voyez cette commode, elle contient dans ses tiroirs suffisamment de dossiers sur chacun de nos ministres « .

Autre temps, autre mœurs ? « Combat  » finit sa course finale comme tant d‘autres quotidiens de l’époque par l’arrêt pur et simple  ( l‘Aurore, Le Matin de Paris, Paris Presse, L‘Intransigeant, Paris Jour, J‘Informe ou le Nouveau Journal ). La liste de ces journaux disparus est longue. Tesson eût le mérite de ne pas croire au déclin du papier. D‘autant que son épouse, Marie-Claude avait réussi à amasser entre temps une belle fortune avec son « Quotidien du Médecin « . Des bénéfices qu‘il sut mettre à profit en lançant en 1974 « Le Quotidien de Paris « . Un journal effervescent « aérien, léger, esthétique, distancié, non engagé  » ( selon ses propres termes ), féru de talents, véritable pépinière. Un succès d‘estime qui connut son heure de gloire dans les années 80 en devenant le journal de l’opposition libérale et conservatrice face au socialisme triomphant. Une période dorée qui ne dura qu‘un temps.

Malgré ses belles plumes et des éditos au scalpel, (Jean-Marie Rouart, Dominique Jamet, Stéphane Denis jusqu’aux jeunes bretteurs Éric Zemmour, Éric Neuhoff voire Claire Chazal ) le journal dut cesser sa parution en 1994.

Pour l‘anecdote d’ailleurs, j‘essaierai en tant que fondateur d‘Entreprendre Lafont presse un temps de le réactiver. Cornaqué par un ami imprimeur, Gilbert Caron, j’acceptais de m’associer avec un certain Nicolas Miguet, fin connaisseur des marchés boursiers et éditeur de l’éphémère « Temps de la Finance »qui ne trouva rien de mieux pour m’éliminer que de diluer mes parts du capital à la faveur d’une augmentation de capital litigieuse.

La suite ne lui porta pas vraiment chance. Le journal de Tesson méritait meilleur sort Cela ne chagrinait guère son fondateur ou avait-il simplement la politesse de ne pas trop le montrer. Afin de couler une retraite heureuse, ce passionné de textes et de bons mots ne trouva rien de mieux que de reprendre en 2011 à 83 ans « le théâtre de poche – Montparnasse ».

Presqu’un accomplissement pour celui qui considère la vie comme un éternel recommencement : « tout est toujours possible, il suffit d’avoir du courage et le goût du risque ». Tesson est grand parce qu‘il est resté,94 ans durant, libre, lucide et effervescent (voir vidéo sur EntreprendreTV ). Un signe qui ne trompe pas. Son fils Sylvain est de la même trempe. Au sommet de leur art.

Robert Lafont


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