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Philippe Bilger : « Pourquoi Alain Finkielkraut hait-il la magistrature ? »

Alain Finkielkraut (Photo Georges Darmon/Avenir Pictures/ABACAPRESS.COM)

Par Philippe Bilger, magistrat honoraire, Président de l’Institut de la Parole.

Tribune. Cette interrogation va m’entraîner sur une pente délicate, j’en ai conscience. Alain Finkielkraut fait partie de ces grands esprits au sujet desquels on n’a pas droit à la nuance. Si on n’admire pas toutes ses interventions médiatiques, orales et écrites, si on émet la moindre réserve, on est exclu de la catégorie de ses inconditionnels alors même que, pour ma part, je compte sur les doigts d’une main les rares et modérées contradictions que j’ai osé formuler au sein d’une adhésion et d’un soutien généralement enthousiastes.

J’ai connu une première mésaventure de ce type quand je m’étais permis de critiquer un propos qu’il avait tenu sur LCI au sujet, si je me souviens bien, de l’affaire d’Olivier Duhamel et du livre de Camille Kouchner. J’ai appris à cette occasion que j’avais commis un crime de lèse-Finkielkraut.

Je crains donc le pire parce que, dans un entretien qu’il a donné au Figaro et qui abonde en réponses lucides et profondes de sa part – par exemple, « on ne cesse d’invoquer l’Etat de droit pour museler l’action politique » -, il profère aussi sur l’arrêt de condamnation de Nicolas Sarkozy et autres, ainsi que sur les magistrats, des absurdités, des faussetés, des erreurs juridiques et judiciaires, avec une hargne qui heureusement ne lui est pas habituelle. Comme s’il avait oublié que même en matière de Justice, le savoir et la mesure sont utiles…

Comment Alain Finkielkraut ose-t-il qualifier cet arrêt, en se déclarant « consterné », de « aussi révoltant que grotesque » ? Y a-t-il la moindre crédibilité dans une telle charge fondée à l’évidence sur l’argumentation univoque de la défense de l’ancien président ? AF, j’en suis convaincu, n’a pas usé de l’élémentaire prudence d’aller lire au moins les principaux extraits de cette décision. Il est vrai qu’il aurait dû les consulter sur le site de Mediapart !

Sans offenser ce remarquable intellectuel, essayiste et Académicien, quelle est la compétence spécifique qui l’autorise à traiter ainsi un acte de Justice ? Spécifique parce qu’e ‘Alain Finkielkraut n’est évidemment pas de ceux qui se contenteraient d’une sorte de bon sens populaire, se contentant de vitupérer parce que « leur » Nicolas Sarkozy a été sanctionné ; et que, quoi qu’il ait fait, cela est inadmissible !

Quelle est la légitimité d’un Alain Finkielkraut pour être si péremptoire et insultant dans ses appréciations qui concernent un corps dont il n’est pas familier et une Justice qu’il croit connaître à partir de préjugés qui jurent avec la complexité du philosophe qu’il est ? D’où lui vient cette haine de la magistrature qui n’a rien à envier à ce populisme chic, se croyant lucide, qui favorise, en même temps que le populisme de base infiniment plus compréhensible, une détestation des juges et de la démocratie dont ils sont une incarnation essentielle ?

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans sa posture une similitude avec celle d’Eric Zemmour qui pour pouvoir mieux fustiger la Justice, l’arrête pratiquement en 1968… Ou avec celle, plus argumentée, d’une Elisabeth Lévy méfiante à l’égard du pouvoir judiciaire…

Cette incroyable vitupération d’AF, qu’elle s’explique par une absolue méconnaissance juridique ou l’emprise d’un esprit partisan, en tout cas est aux antipodes de la pensée complexe et courtoise qu’il développe face à d’autres dans « Répliques ». Il est vrai que même dans cet espace les seuls magistrats et essayistes qui ont trouvé grâce à ses yeux sont les adeptes d’un conformisme critique contre une institution qu’il serait malséant de défendre mais qu’il est honorable de pourfendre.

J’ai bien conscience, dans ce refus que j’oppose à tous les poncifs confortables de l’anti-magistrature, de me retrouver bien seul et je ne saurais trop me féliciter, au-delà de mon blog et de Causeur, d’avoir chaque jour des opportunités médiatiques qui me permettent d’avoir une parole libre rétive à tout masochisme, dont d’autres, magistrats honoraires ou en exercice, se privent par indifférence, réserve ou manque de combativité.

Ne pas accepter, sur la Justice et l’arrêt de condamnation de Nicolas Sarkozy, le verbe d’Alain Finkielkraut comme s’il était parole d’évangile dans ce monde intellectuel et médiatique où il est légitimement et régulièrement honoré par le Figaro et Causeur, peut sembler outrecuidant ou ressembler à une contradiction désespérée apportée à une gloire par un modeste indigné mais pourtant je persiste.

Ce serait rendre un très mauvais service à Alain Finkielkraut que de le traiter telle une vache sacrée. C’est parce qu’il est aussi humain et faillible qu’il nous touche.

Et la magistrature n’a aucune raison de lui tendre l’autre joue.

Philippe Bilger


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