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Liban : l’école de Baskinta, sauvée par des Français, tente de survivre

Entreprendre - Liban : l’école de Baskinta, sauvée par des Français, tente de survivre

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Située dans les montagnes, l’Etablissement scolaire Saint Pierre de Baskinta a été sauvée en 2018. Aujourd’hui, à l’heure où la livre libanaise continue sa chute monétaire vertigineuse, ce sauvetage est remis en question. Le Liban est en mode survie. Immersion pendant 24h00, entre coupures d’électricité, dévaluations quotidiennes et fête de la Francophonie, aux côtés d’Antoine Mdawar, le directeur des 532 élèves et des 44 salariés, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, comme 80% de la population.

Il est 6h30 du matin, quand Antoine Mdawar repart du quartier chrétien Gemmaizé de Beyrouth, la capitale du Liban. Le Liban, c’est, aujourd’hui, 6,8 millions d’habitants dont 1,9 million de réfugiés. Avant l’arrivée massive de ces réfugiés, qui représentent un quart de la population, 4,9 millions de personnes y vivaient. La révolution syrienne (la guerre civile), qui a démarré en 2011 et qui est, toujours, en cours, même si elle s’est significativement estompée, a changé drastiquement la donne pour ce pays du Cèdre que l’on appelait, autrefois, la Suisse du Moyen-Orient. En 2019, le pays longiligne qui s’étend de la Syrie, au nord et à l’est, à Israël au sud, et à Chypre à l’ouest, (re)plonge dans la crise économique et sociale. La corruption y est dénoncée. Et, la crise politique a suivi. Ce pays de mer et de montagnes que poétisait Alphonse de Lamartine, il y a, exactement, 190 ans cette année (en mars-avril 1833), est en très grande difficulté. Grand comme le département de la Gironde, bordée par la Méditerranée, jour après jour, il s’enfonce dans la crise. Cette-dernière est devenue politique et s’est aggravée, depuis que le Liban n’a plus de Président. C’était le 1er novembre 2022, le chef de l’Etat, le chrétien maronite Michel Aoun, arrivait au terme de son mandat. Les députés n’ont pas réussi à choisir son successeur. Le Liban, pays aux 18 confessions religieuses, véritable mosaïque culturelle, est dirigé, actuellement, par son Premier ministre, le milliardaire musulman sunnite, Najib Mikati.

Antoine Mdawar

Grand, corpulent, sa petite moustache lui donne un petit air sicilien, mais il est bien Libanais. A plus de 60 ans, il a gardé sa passion de l’enseignement très active, au cœur de sa vie. Il est 100% rivé sur son pupitre d’enseignant et de directeur, comme un capitaine au gouvernail de son navire, ou, plutôt, un guide de haute-montagne. Car, c’est, également, un montagnard. Il est un premier de cordée. Et, avec sa cordée, il en a fait des ascensions.

« Ma famille vit à Beyrouth, et moi à Baskinta…comme un montagnard », introduit-il. Il annonce la couleur de sa vie juchée à 1300 m d’altitude. Une vie, qui par certains côtés, est presque monastique. Son métier, en quelque sorte, est une vocation faite d’engagement, d’enseignement et d’exigence. Le mot de moine est un peu fort. Il serait plutôt un frère. Avec son autorité naturelle, qu’il a rehaussée au fil de ses 40 années de carrière, de son expérience et de sa petite moustache. Il ne se qualifie pas, non plus, de « directeur ». Il serait, plutôt, un entraîneur, un grand frère, un tuteur. « J’adore mon métier », confie-t-il en prenant le volant de sa vieille voiture, une Renault automatique. Ce francophone roule en direction de Baskinta…pied au plancher.

Les « Lassaliens » et une fermeture annoncée

C’est « un sauveur ». C’est ce que disent certains parents d’élèves, avec un français qui roule les r et chantonne presque. En 2018, alors qu’il vit avec toute sa famille confortablement à Beyrouth, et qu’il dirige un établissement privé de 3000 élèves (de la petite section à la terminale), la direction de la Congrégation Saint-Jean-Baptiste de La Salle le convoque.

Saint Jean Baptiste de La Salle ? C’est, d’abord, un personnage avant d’être une congrégation. Il est né à Reims, en 1651 et décède près de Rouen, en 1719. Il est le fondateur des Frères des Ecoles Chrétiennes, que l’on appelle communément les « Lassaliens ». De nos jours, les frères sont présents dans 79 pays à travers plus de 900 établissements. Ils sont présents dans tout le Proche-Orient ; et, au Liban, ils ont une dizaine d’écoles.

« Nous allons devoir fermer l’école Saint Pierre de Baskinta, car nous ne pouvons plus subvenir aux dépenses budgétaires », lui annonce le Supérieur Général, Fady Sfeir. C’est un coup de semonce pour Antoine. Natif du village, il y a fait toute sa scolarité. Sa « vocation » d’enseignant en langue arabe est née là-bas…en plein hiver, quand la neige recouvrait les toits plats des maisons en pierre, et que les stalactites commençaient à se former.

Beyrouth et son port

Nous sortons de Beyrouth, quelques coups de klaxons viennent ponctuer notre conversation. La conduite est sportive, mais la circulation reste fluide. « Dans ce sens-là, il n’y a pas de problème », assure Antoine en se faufilant derrière une Porsche flambant-neuve et en doublant un vieux camion d’un autre-âge, qui crache son flot de fumée noire, crasseux. C’est cela le Liban : la classe moyenne a disparu, il ne reste que les extrêmes, les pauvres et les riches. Sur le bas-côté, un automobiliste s’est arrêté. Avec son bidon rempli d’eau, il arrose soigneusement le radiateur fumant de sa voiture tombée en panne. Puis, nous quittons l’autoroute qui longe le port. Le port ? Il garde, encore, les stigmates des 2 explosions du 4 août 2020, qui ont été ressenties sur plusieurs kilomètres à l’intérieur de la capitale, soufflant sur son passage près de 300 vies, faisant des milliers de blessés et des dizaines de milliers de sans-abris. Depuis, grâce à la diaspora et aux ONG, grâce à la France, tout a été reconstruit, en partie. Seule une douzaine de grands immeubles reste éventrée. Nous roulons plein est. Le soleil est au beau fixe, après les fortes pluies glaciales de la veille. « Vous n’avez pas de chance, la semaine dernière, il faisait plus de 20° degrés de température au Liban. » En quelques jours, nous avons perdu 10°. Nous obliquons en direction de la montagne où le froid nous attend. Les crêtes y sont recouvertes de neige.

Le sauvetage par les Anciens et le Rotary

« Lors de cette réunion, j’ai refusé que les Frères ferment l’école. Ils m’ont, alors, mis au défi de reprendre le poste de Directeur et d’arrêter l’hémorragie budgétaire. Je me suis mis en danger. Et, j’ai accepté de relever le défi. J’en ai parlé à ma femme, Aida, et à nos trois enfants, Hikmat, Ismat, Neemat. Ils ont dit oui !»

Ce défi est devenu pour lui une sorte de sacerdoce, car, effectivement, l’établissement n’allait pas bien du tout.

Après avoir accepté ces « 12 travaux d’Hercule » – car Antoine s’est donné, dans un premier temps, 12 mois pour convaincre les parents d’élèves de laisser leurs enfants y continuer leur scolarité – il remue montagne et ciel pour sauver le blason de l’école. Sur la période de 2018 à 2020, il fait appel aux anciens élèves.

L’un d’entre-eux, qui vit en France et qui travaille comme cadre dirigeant d’une grande société, lui répond favorablement. Il s’appelle Maroun Hobeika. Antoine lui propose, alors, de s’engager à ses côtés. Maroun mobilise plusieurs de ses amis au sein du Rotary Club d’Antony. L’école est en passe d’être sauvée !

Ensuite, Antoine continue à raviver la flamme des anciens pour consolider le sauvetage. C’est une réussite sur tous les fronts. Il récolte les 100 000 dollars nécessaires au sauvetage et réussit à financer les 45 000 dollars de nouveaux investissements : « Ma stratégie a fonctionné, car il était important de montrer aux parents que nous étions des visionnaires et que nous ne fermerions pas l’école. Cette vision passait, nécessairement, par de nouveaux investissements. J’ai réussi à faire financer deux infrastructures sportives. »  

Un établissement né au début du siècle dernier

Fondé en 1906 par Mgr Pierre Hobeïka, il est, à l’époque, le seul établissement scolaire de la région. Plus de 100 élèves y reçoivent un enseignement du français, de la littérature, des mathématiques et des sciences. Au début, il fait appel à des enseignants militaires français. En 1947, ce sont les Frères des Ecoles Chrétiennes qui prennent en charge l’école devenue l’Institution Saint Pierre. Dans les années 50, des professeurs laïcs viennent rejoindre cette aventure scolaire. Dans les années 70, après le collège, c’est le lycée qui ouvre ses premières classes. En 1972, l’établissement est enregistré au Ministère de l’Education Nationale comme école privée et gratuite pour les classes primaires. Les besoins d’agrandissement se font sentir. En 1977, s’ouvre, enfin, la classe de terminale tant attendue. 20 ans plus tard, en 1997, un nouveau bâtiment remplace l’ancien devenu obsolète et beaucoup trop petit. En 2014, le collège obtient le label linguistique CELF, Certifications des Etablissements en Langue Française, de l’Ambassade de France à Beyrouth. L’établissement travaille, depuis, en étroite collaboration avec l’Institut Français de Beyrouth.

Gratuité et survie au menu

Aujourd’hui, de nouveau, comme s’il remplissait un tonneau en train de se vider, Antoine Mdawar tire la sonnette d’alarme. Il lance un appel : « Oui, je lance un appel vers la France, car nous avons des projets et une belle vision pour notre jeunesse. Mais, la crise de 2019 nous a rattrapés. Depuis, nous vivons, tous, en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 100 dollars par mois, et la livre libanaise n’arrête pas de perdre de sa valeur face au dollar, la monnaie de référence. Aujourd’hui, 1 dollars équivaut à 125 000 livres libanaises. Heureusement, nous sommes aidés. Grâce au Rotary Club d’Antony-Sceaux, en France, et au Rotary Club de Beyrouth nous avons pu financer l’équipement de panneaux solaires. L’électricité du Liban est en faillite et nous devons nous débrouiller tout seul. »

De nouveaux soutiens ?

L’établissement reçoit, également, le soutien des Rotary clubs de Versailles, de Valence et d’Alès. Mais, le problème du règlement de la scolarité annuelle est récurrent. « Nous n’avons pas d’autre solution que d’offrir la scolarité gratuite à nos 532 élèves, car les parents n’ont pas les moyens de payer la scolarité annuelle de 300 dollars, et nous voulons mieux rémunérer nos salariés. Nous recherchons 150 000 dollars pour l’année 2023-2024. C’est une question de survie. » Une question de survie ? Oui, car, depuis deux mois, l’école publique est, elle aussi, au point mort. Les professeurs de l’Etat recevant moins de 50 dollars par mois. Le privé risque de dévisser à son tour. C’est une toute une génération d’écoliers qui est sous tension.

La solution ? La survie de la nouvelle génération qui a soif d’apprendre et qui parle couramment le français, dépend de ces établissements privés, financés par la diaspora, les anciens élèves et les ONG. Seul, il n’y a pas de solution. A Baskinta, toute une génération de francophones regarde, donc, vers la France. Pour les fonds des bienfaiteurs, qu’ils soient des personnes physiques ou des personnes morales, le lien de Baskinta avec l’Oeuvre d’Orient, une ONG française reconnue internationalement, est des plus important ; comme avec la Fondation Raoul Folloreau, et l’association EDDE des frères. Ce sont elles qui garantissent l’emploi des fonds et le sérieux des projets à financer, avec, à la clef, la défiscalisation des dons.

Pour Antoine, le nouvel objectif, qui s’étale sur 5 ans, de la rentrée 2023 à celle de 2027, est de parrainer chaque enfant par une famille française…Il s’agira de parrainer 532 à 540 élèves à la rentrée prochaine…

Après une heure de route, Antoine Mdawar vient d’arriver à l’école. Il est 7h30.

Antoine Bordier

Pour contacter Antoine Mdawar : antoinemda@hotmail.com


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