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Le père Guy Gilbert, berger des loubards, des motards et des stars

A plus de 85 ans, le père Guy Gilbert garde une éternelle vigueur. Il ressemble, d’ailleurs, à un vieux boxeur, avec ses longs cheveux blancs, qui tombent de chaque côté de son front dégarni. Ses doigts sont ornés de grosses bagues, données par des amis.

Le père Guy Gilbert (Photos : Antoine Bordier)

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A plus de 85 ans, le père Guy Gilbert garde une éternelle vigueur. Il ressemble, d’ailleurs, à un vieux boxeur, avec ses longs cheveux blancs, qui tombent de chaque côté de son front dégarni. Ses doigts sont ornés de grosses bagues, données par des amis. Dans son petit chalet de montagne, perché sur les hauteurs de sa bergerie, dans les gorges du Verdon, il est à sa table de travail. Depuis près de 50 ans, c’est ici, entouré de ses 120 animaux, qu’il redonne vie à ces centaines de jeunes loubards tombés dans la fosse carcérale. Avec son équipe, il relève cette jeunesse écorchée-vive, au fil du temps et des apprivoisements. Reportage sur un homme de Dieu, que ces jeunes appellent « grand-père ». Guy Gilbert est, également, le berger des motards et des stars.

Qu’ont, donc, en commun les hommes de Dieu ? Qu’ils soient ermites, vivant en communauté, moines, ou tout simplement curés, on reconnait l’homme de Dieu à son lieu de vie, le plus souvent éloigné des bruits du monde. Sur le GPS, de Toulon, il faut un peu plus de deux heures pour rejoindre, par des routes de plus en plus escarpées et parfois vertigineuses, sa bergerie qui s’appelle Faucon. « Au début, ce que tu vois (NDLR : il tutoie facilement), n’existait pas. Ce n’était que des ruines. Avec les 250 jeunes, nous avons tout construit de nos mains. » Ses mains fines ont été vieillies par le temps. Par elles, il a célébré plusieurs milliers de baptêmes, près de 20 000 Messes, et béni des centaines de milliers de croyants et non-croyants. Ses mains sont belles depuis qu’il est devenu prêtre. C’était un samedi, le 3 juillet 1965.

Ce mercredi 5 janvier 2022, au loin, sur la route qui mène à Faucon, apparaît le plateau de Canjuers. C’est là, sur ces milliers d’hectares que s’entraînent l’armée française et ses alliées d’Europe de l’Ouest. Ce territoire est un no man’s land. Il reste moins d’une heure de route. Cette-dernière se rétrécit. La roche des Pré-Alpes domine le paysage fait de calcaire et de sapins. Par endroit, elle a été sculptée à l’explosif pour permettre aux camions qui transitent d’approvisionner les villages. La route que nous empruntons est celle qui rejoint Digne-les-Bains, plus au nord. Nous quittons la départementale 955 et prenons la 952. Nous passons le village de Rougon, sur notre droite.

Dans un virage, impossible de manquer l’entrée de la bergerie. Deux grands panneaux-totems en bois sculpté, qui se terminent en flèche, invitent à entrer et à poursuivre la route sur un petit chemin forestier. Nous y sommes. A travers les arbustes, au détour d’un arbre, une image furtive interloque : est-ce bien un lama, là-bas ? Puis, une centaine de mètres plus loin, alors que nous roulons au pas, deux bosses se distinguent nettement, celles d’un chameau. Puis, deux autres. Nous sommes bien à la Bergerie de Faucon, the new land.

Une famille de 15 enfants !

Avant de vivre confiné à Faucon, en raison de la pandémie, le père Guy Gilbert vivait entre Paris, Faucon, et, ses innombrables villes et villages de France dans lesquels il était invité pour témoigner de la bonne nouvelle : celle de l’Evangile. Le plus souvent, c’est le « curé des loubards » que l’on invite, que l’on veut écouter, que l’on veut voir. Son surnom de curé ou prêtre des loubards vient de son premier livre paru chez Stock, en 1978, Un prêtre chez les loubards. « C’est mon premier best-seller, explique-t-il en rigolant et en jetant son regard perçant et malicieux à la fois. Au départ, mon éditeur n’y croyait pas. Il s’en est vendu 400 000. C’est, d’ailleurs, lui qui m’a obligé de mettre ce titre. Je n’en voulais pas. Comme quoi, il a eu raison. » Il aurait pu, en effet, le titrer : Un curé chez les ouvriers. Car, c’est de là qu’il vient : du monde ouvrier.

Guy Gilbert est né le 12 septembre 1935, à Rochefort-sur-Mer (ou Rochefort), en Charente-Maritime. Son père, André, est ouvrier et travaille sur l’aérodrome de Rochefort. Sa mère, Madeleine, avec sa ribambelle d’enfants n’a pas une minute à elle et travaille à la maison. Chaque minute passée avec l’un de ses enfants devient des heures. Chaque heure, des journées entières. Dans cette fratrie de 7 garçons et de 8 filles, Guy arrive à la 3è place. Il revient sur cette vie de famille hors-norme.

« Un jour, on a posé la question suivante à ma mère : comment avez-vous pu élever 15 enfants ? Elle a répondu : ‶ Je les aimais les uns après les autres. ″ Et, c’est vrai, je peux, encore, en témoigner. Elle était très chrétienne. Fille unique, elle vivait l’Evangile. Mon père n’était pas très chrétien. Un jour, mon père me demande, ce que je veux faire plus tard. Je lui réponds : Je veux être prêtre. J’avais 13 ans. Mon père me répond quand même : ‶ cela te prend comme une envie de pisser, cela ne va pas durer longtemps. ″ Il n’y croyait pas. Mais, il avait tort. »  Guy rentre au Petit Séminaire, à Saintes. Juste avant ces années de plomb, de la Seconde Guerre Mondiale. Il aime les anecdotes et se souvient que pendant cette tragédie, il « ne crevait pas de faim », mais il était obligé de manger des navets et des choux-fleurs.

Oradour-sur-Glane dans la peau

Sa mémoire est restée incroyable. Presqu’intacte, comme sa peau, elle s’est cuivrée avec le temps. Elle ressemble à son teint hâlé par l’air pur et le soleil au zénith du Verdon, et, par ses escapades en haute-montagne, avec ses jeunes. Il se souvient de ses 9 ans. A ce moment-là, en 1944, toute la famille vit à Limoges. La France se libère du nazisme et de l’occupation allemande. Lors d’un attroupement, Guy se rapproche et voit « le cadavre d’un boche qui venait de mourir. Je me rappelle encore sa chaîne en or, que j’ai touchée. Un FFI (NDLR : un résistant des Forces françaises de l’intérieur) me dit : ‶Ce n’est pas pour toi ça″. Et il sort une montre en or. » Cette guerre a fortement marqué Guy.

Quelques semaines après la libération, son père l’emmène voir les horreurs d’Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, situé à 23 kms au nord-ouest de Limoges. La fratrie s’est agrandie. Ils sont, maintenant, 12, avec les parents. Sur place, la famille Gilbert découvre l’horreur. Les traces sont là, presque toujours fumantes. Le 10 juin 1944, dans ce petit village de 1 000 âmes, 643 personnes vont être massacrées par les nazis.

Ces-derniers veulent des représailles, à la suite de l’enlèvement et de la mort d’un commandant allemand. Le débarquement des Alliés en Normandie, le 6 juin, précipite leur sauve-qui-peut généralisé. Ils fuient en laissant un voile mortifère de répressions s’abattre sur toute la France. La région de Limoges n’est pas épargnée. Méthodiquement et dans le calme, les soldats rassemblent les villageois. Puis, par petits groupes dans des lieux différents, ils les massacrent. La petite église est transformée en tombeau ouvert. Ils sont des centaines entassées à l’intérieur. Elle est incendiée, comme tout le reste du village. Hommes, femmes, enfants, nourrissons, vieillards, tous les villageois sont systématiquement raflés, abattus, puis, brûlés. Dans l’après-midi de ce 10 juin Oradour-sur-Glane devient une immense fosse où la barbarie n’a pas de nom.

Guy en se rendant en famille dans ce haut-lieu de l’abomination entend encore son père lui dire : « ‶ Eh, dire que nous avons fait ça. ″ C’est une des paroles les plus belles que j’ai entendues dans ma vie, jusqu’à présent. Il ne parlait pas des salauds, des boches. Il parlait de nous. De notre capacité, nous les humains, à devenir des monstres. » Guy répète le mot « église ». Il ferme les yeux et revoit ces 300 personnes brûlées vives dans la maison de Dieu. Sa vocation est, certainement, née dans ces décombres fumants, dans cette église incendiée. Mais, c’est surtout sa vie de famille, l’amour de ses parents qui ont permis à sa vocation de bourgeonner. Lui, entre au Petit Séminaire à 13 ans. Puis, viendra le Grand-Séminaire, les études de théologie, avant l’Algérie.

L’Algérie et Notre-Dame de Paris

« J’ai porté la soutane avant de partir au service militaire. Le problème, en 1957, c’est que c’était la guerre d’Algérie, et, que je ne voulais pas la faire. Je ne voulais tuer personne. Je suis tombé malade, et, le capitaine m’a dit : ‶ Je vous réforme. ″ A côté de moi, il y avait un mec qui venait d’avoir un enfant. Il partait en Algérie. J’ai dit au capitaine : ‶Je pars à sa place. » Et voilà Guy, 20 ans, qui prend le bateau de Marseille pour Alger. Il va vivre en Algérie jusqu’en 1970. Il est, littéralement, tombé amoureux de ce pays. Même s’il quitte la soutane noire aux 33 boutons, pour le treillis kaki militaire et pour parcourir le djebel à la recherche des fellaghas, il dénonce avec force et courage les tortures. Il sera emprisonné à cause de cela. De 1957 et 1959, Guy fait, donc, son service militaire. En 1960, il rentre quelques mois à Bordeaux, où il continue son séminaire, celui de la Rochelle ayant été fermé. Puis, après quelques mois, il demande à retourner en Algérie.

Les évêques d’Alger et de Bordeaux donnent leur accord. Guy retrouve Alger, où il effectue un stage de deux ans. Puis, il termine sa théologie. En 1965, il rentre, de nouveau, en France. Il est ordonné prêtre, le 3 juillet. « Cela a été le moment le plus merveilleux de ma vie. » Il retraverse la méditerranée et devient le curé de Blida, jusqu’en 1970.

« A mon retour, en 1965, à Blida, je tombe sur Alain, 13 ans, qui vit dans la rue. Dans sa famille, il mangeait après le chien, dans sa gamelle. Il n’en pouvait plus. C’est le premier jeune dont je me suis occupé. Je lui ai offert un toit. Un jour, il me demande de revoir sa mère qui vit à Paris. Nous prenons l’avion. Il retrouve sa mère. C’est le bonheur retrouvé. Nous visitons Paris. En passant devant Notre-Dame, il m’offre une bague. Je la porte depuis 56 ans. Il y a une fleur de lys dessus. Et, les deux autres, sur ma main droite, elles m’ont été offertes par un indien du Québec, et, par un Américain. »

Entre Notre-Dame de Paris, Blida, cette famille nombreuse qui déborde, ce Petit-Séminaire et le Grand, cette ordination, et, ce jeune Alain, abandonné, traité moins bien qu’un animal, ce jeune appelé-infirmier, qui veut soigner et non pas blesser, réparer et non pas casser, a bien les traits d’un homme de Dieu. Entre la Bible et le Coran, il y a un homme, un prêtre, un berger : Guy Gilbert…

Dans la seconde partie de notre trilogie, des années 70 aux années 2000, vous découvrirez Guy Gilbert avec les loubards. Et, dans la dernière partie, Guy Gilbert avec les motards et les stars.

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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1 commentaires sur « Le père Guy Gilbert, berger des loubards, des motards et des stars »

  1. La bergerie de Faucon ressemble à un nid perché dans la montagne Cet endroit est Paradisiaque, la nature les animaux apporte un bienfait

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