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Iran : quel bilan après six mois de la révolution ?

L'ayatollah Ali Khamenei (Photo Parspix/ABACAPRESS.COM)

Par Hamid Enayat*

Plus de six mois se sont désormais écoulés depuis le début de la révolution iranienne. Avant ces soulèvements, de nombreuses personnes dans le monde considéraient le régime des mollahs comme puissant et immuable.

Les démonstrations de force du guide suprême en ont même peut être impressionné certains ; programme nucléaire, missiles balistiques, opérations de guerre en Moyen-Orient, terrorisme jusque sur le territoire Européen… La liste est longue de l’intimidation exercée par les mollahs sur le reste du monde. Pourtant, les soulèvements de ces six derniers mois ont clairement mis en exergue la volonté populaire de renverser la tyrannie. Désormais, l’image d’une république libre et démocratique en Iran ne semble plus relever de l’utopie.

Petit à petit, la possibilité démocratique s’inscrit dans les têtes, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Et, paradoxalement, la réponse violente du guide suprême à ces velléités contribue à ancrer plus encore l’idée d’une île de liberté au cœur d’un océan moyen-oriental de dictature. La torture, la répression féroce et les exécutions sont la force des faibles, des inflexibles incapables d’envisager le partage d’un pouvoir qu’ils estiment mériter au titre d’une injonction divine… Le monde entier a pu le constater ; le régime ne recherche aucune solution, ne souhaite aucun dialogue, n’esquisse aucune démarche en vue d’assouplir son système.  Le fait est qu’il n’a pas de solution, sinon disparaître dans les abysses de sa propre haine du genre humain.

La répression a perdu l’efficacité sociale qu’elle avait auparavant

Depuis le début du soulèvement en septembre 2022, la valeur de la monnaie iranienne a chuté de plus de la moitié. La répression croissante, associée aux politiques économiques désastreuses et à la corruption du régime, a créé un gouffre, que dis-je, un canyon entre le peuple iranien et le gouvernement religieux au pouvoir. Aujourd’hui, la question de la liberté est au centre d’un conflit entre deux fronts opposés. D’un côté, le peuple iranien et de l’autre, le régime et ses partisans dont le seul objectif est de maintenir le régime au pouvoir, coûte que coûte, quitte à décimer sa propre population. Le régime a l’intention d’écraser le soulèvement en tuant des centaines de jeunes manifestants, en exécutant des prisonniers politiques et en pratiquant la torture. A ce jour, plus de 750 personnes, dont les noms de 664 d’entre elles tombées pour la liberté ont été publiés par la résistance iranienne, sont mortes sous les coups de la république islamique.

Cependant, l’arme répressive semble ne plus avoir le même impact que par le passé. Pour preuve, la durée de la révolte menée par les jeunes (et notamment les jeunes femmes) malgré une répression d’une brutalité inédite. La population a fait montre d’une capacité à encaisser les coups jamais vue auparavant. Une résilience qui a poussé le guide suprême à punir les jeunes femmes, au sein de leurs écoles, en les empoisonnant, dans une stratégie machiavélique lui permettant à la fois d’assouvir sa vengeance auprès des femmes et de terroriser la population jusqu’à lui glacer les sangs. Le fait est que la détermination au changement l’a emporté sur la peur passée. Malgré les heurts, malgré la torture, malgré les morts, le peuple est déterminé à se débarrasser des mollahs.

Pour la première fois, la résistance s’est organisée

Mais le changement n’est possible qu’avec une force combative et organisée, surtout s’il doit se heurter au régime brutal des mollahs. C’est ici que les unités de résistance disséminées dans tout l’Iran jouent un rôle décisif. Les unités de résistance garantissent la poursuite de la révolution. Elles ont été créées en 2013 par les Moudjahidines du peuple, ennemis jurés du régime. Malgré la répression, d’autres formes de résistance se sont multipliées, comme la destruction des symboles du régime. Lors de la traditionnelle fête du feu, le dernier mercredi de l’année, les gens ont brûlé les symboles du régime et ont montré une fois de plus leur détermination et leur colère à l’égard des mollahs et leur désir d’apporter la liberté à l’Iran.

En tout, plus de 120 000 personnes ont perdu la vie dans la guerre contre les mollahs. Parmi elles, 30 000 prisonniers politiques ont été massacrés en 1988, dont 90 % étaient des moudjahidines. Ce grand sacrifice de vies est un lourd tribut payé par le peuple iranien pour la liberté. Et c’est l’une des plus importantes incitations à poursuivre le soulèvement. Dans les faits, le désir de liberté grandit à mesure que la répression s’intensifie. Quiconque dispose d’un minimum de sagesse politique le sait… Et pourtant.

La diabolisation

L’autre ligne de défense du régime consiste en une diabolisation tous azimuts de ses opposants. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le régime dépense des sommes astronomiques à la diffusion d’une propagande ciblant particulièrement la seule force politique susceptible de lui succéder, le CNRI (le Conseil National de la Résistance Iranienne). Ces fausses informations sont republiées par les restes de l’ancien régime dans le seul but de faire avancer le projet de diabolisation. Les services de renseignement iranien ont également essayé d’empêcher les députés des États-Unis de signer la résolution 100 du congrès américain. Malgré leurs efforts désespérés, la résolution a finalement été soutenue par 225 députés.

C’est dans cette même veine que s’est développée l’idée selon laquelle des gouvernements étrangers tenteraient de ramener la dictature passée du Shah en Iran afin de décourager le peuple de poursuivre ses protestations. Là encore, si la manipulation a pu trouver preneur quelques heures auprès de populations occidentales mal informées ou déontologiquement peu fiables, elle n’a pas dupé le peuple iranien, qui a lutté et a payé le prix fort pour renverser la dictature du Shah. Ces affirmations ont été très mal perçues au pays. Que l’on puisse prétendre que des vies soient sacrifiées pour le retour d’une dictature que l’on a eu tant de mal à chasser, ça passe difficilement. D’ailleurs, les slogans au pays ne laissent aucun doute à qui veut bien prendre le temps de réfléchir avant de colporter la propagande du régime religieux : « Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse d’un roi ou d’un dirigeant ».

La politique d’apaisement, dernier obstacle au changement de régime

Enfin, le dernier obstacle au renversement du régime réside dans l’incapacité des gouvernements occidentaux à prendre de réelles décisions diplomatiques. Certes, les pays européens soutiennent publiquement le soulèvement et condamnent verbalement la répression. Cependant, ils refusent l’inscription du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI) sur la liste des entités terroristes. Il s’agit pourtant de la principale force de répression du pays et des désordres constatés en Moyen-Orient. Condamner la violence sans en fustiger les responsables, ça ressemble à simple cous de communication forcé par les événements. Sans plus.

Peut-être nos chers pays occidentaux, rois de la démocratie, pensent-ils qu’il suffit de demander gentiment à cette entité terroriste d’abandonner sa quête de la bombe atomique pour qu’ils stoppent ? Alors même qu’ils attaquent des écoles de filles avec des armes chimiques ? Cette naïveté confondante de nos chancelleries ne peut signifier que deux choses ; soit notre arrogance et notre conviction de supériorité nous empêche de voir ce qu’il se passe réellement, soit nous sommes complices des mollahs… Désigner les Gardiens de la Révolution comme entité terroriste n’est pas seulement une recommandation morale, mais une nécessité pour mettre fin à quarante ans de prises d’otages, de terrorisme et de bellicisme en Europe et en Iran.

Hamid Enayat
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.


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