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François-Xavier Dugas, le pape des spiritueux

Copyright des photos A. Bordier

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Parti de zéro, en 40 ans, il a bâti un véritable empire autour de l’alcool haut-de-gamme et des spiritueux. Aujourd’hui, il pèse près de 100 millions d’euros. C’est dire qu’il commence à faire de l’ombre à Pernod-Ricard et à Rémy Cointreau.

Son succès ? Il le doit, tout d’abord, à lui-même, à ses associés et à son équipe. Sa vie, cependant, n’a pas été un long fleuve. Immersion en eau de vie profonde autour de cet homme qui a failli tout arrêter, et, qui a su rebondir au fil de ses voyages.

Dans ses bureaux qui se situent à Créteil, il a choisi de se rapprocher de l’un des facteurs clés de succès de son entreprise : la logistique. Il faut dire que ce découvreur de pépites alcoolisées a eu le nez assez fin pour partir à la conquête du monde et dénicher de merveilleux liquides aux nobles effluves alcoolisés. Les novices sont les bienvenus ! Sa dernière trouvaille ? Il la découvre aux détours d’un voyage d’affaires aux Philippines. Nom de code : Don Papa. C’est un rhum. Il le connaît par cœur : « Je l’ai découvert en 2013. Il a été créé un an auparavant par Stephen Carroll. Il vient de l’île de Negros, qui se situe plein sud par rapport à Manille. Ce qui m’a attiré, outre son histoire et le lieu, c’est sa douceur et ses vapeurs aromatiques où se mêlent les parfums de vanille et de fruits confits. »

Dans son bureau aux grandes baies vitrées, les effluves semblent papillonner au fil de cette conversation. Stephen Carroll est un vrai flibustier du monde des spiritueux. Il est passé par Rémy Cointreau avant de tomber amoureux de cette petite île des Philippines, en 2011, et, de produire son propre rhum en 2012. C’est un des points communs qu’il a avec François-Xavier Dugas : tous les deux sont des passionnés. Assis dans le coin-salon à l’écart de son bureau, François-Xavier se lève et ouvre la porte. Il déambule à travers le long couloir feutré qui distribue les différents services de son entreprise. Direction, son entrepôt où sont stockées des centaines de milliers de bouteilles. Sur le quai, des colis sont prêts à partir le jour-même pour la Lettonie. Plus loin, l’une de ses pépites, le rhum Diplomático est arrivé. La visite continue au pas de course. Direction l’étage où François-Xavier Dugas a reconstitué, pour ses clients, une case créole où il fait bon déguster ses alcools, soit autour de la table-basse en teck, soit assis au comptoir sur de confortables sièges en hauteur. « Je suis ravi de vous présenter le rhum que nous produisons en Vendée, Ti Arrangés de Ced’ ».  

Un homme de coeur, né dans le vin

Le 1er octobre 1980, il lance sa société. « J’ai démarré à 25 ans. Mon père était, déjà, dans le vin. Il était le patron d’un groupe important. A l’époque, c’était des vins de table, d’Algérie. Le vin n’était pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. Il y a, donc, un peu d’atavisme, quand je démarre ma propre société. »

Après des études supérieures commerciales et de management, à l’Ecole des Chefs d’Entreprise, l’ECE de Paris, ce jeune parisien, de souche depuis 6 générations, se lance dans les affaires. Né en 1954, il est l’avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants. Son enfance a été heureuse et la fratrie a été très soudée autour de leur frère, qui souffrait d’un handicap. C’est, peut-être, pour cela qu’il y a chez cet homme ce goût des autres, des choses bien faites. Il y a de la noblesse de cœur. Il passe beaucoup de temps à expliquer les choses.

« Mon enfance a forgé mon caractère, explique-t-il. Nous étions, effectivement, très soudés. Nous vivions dans le 12è arrondissement de Paris. Etrangement, ce quartier a dessiné, un peu ma carrière. » Dans ce qui deviendra Bercy, il fait ses premières armes dans une échoppe de vin, en tant que stagiaire. Ce vieux quartier de Paris, est, en effet, celui des négociants en vin et des spiritueux, depuis le 19è siècle. « Le quartier du vin s’étendait sur 55 ha, raconte François-Xavier. Regardez bien la carte d’aujourd’hui, entre le palais omnisports de Bercy et Charenton, sur les quais de Seine. » Il connaît son histoire par cœur, et, celle de Paris aussi. Il évoque Jacques Chirac, qu’il rencontre au cours de son stage de fin d’études à la mairie de Paris. En 1977, Chirac a décidé de créer le futur palais omnisports. François-Xavier est l’un des chargés de mission. Il doit renégocier la relocation des 65 entreprises présentes sur l’emplacement choisi. Trois ans plus tard, en 1980, à 25 ans, il rachète à Monsieur Henri Barbier la Casa del Porto. Il fonde la société Dugas.

Du porto au rhum en passant par le whisky

Au préalable, il a rencontré tous les négociants des vins et spiritueux de Paris. C’est à cette occasion qu’il rencontre cet ancien déporté, grand-croix de la Légion d’Honneur. « En le rencontrant, je m’étais dit, que son affaire avait beaucoup de potentiel. Henri Barbier était seul dans son entreprise, il faisait tout lui-même, et, briquait même les bouteilles. La France était le 1er marché du porto. Elle l’est toujours. » En véritable entrepreneur, atavisme oblige, il développe la société. Il décide de se diversifier, et, s’intéresse au whisky. A la fin des années 80, la société fonctionne avec 5 salariés, et, réalise 100 000 euros de chiffre d’affaires. Tous les deux ans, la société double de taille. En 1986, à travers ses recherches, ses voyages se transforment en véritables quêtes de nouveaux produits. « En France, nous n’étions que deux importateurs de la marque de whisky la plus importante, Macallan. Le lancement en France de cette marque a été un succès incroyable. » Son objectif est clair : être l’importateur exclusif de grandes marques premiums. François-Xavier a compris que c’est en se hissant à la première marche de la qualité des alcools et des spiritueux de très haut-de-gamme, qu’il pourra se développer. Il va devenir un dénicheur de marques. Son leitmotiv : « J’essaye toujours de rechercher la différence, et, d’être à contre-courant des tendances. Je suis plutôt précurseur que suiveur. J’aime avoir un temps d’avance. »

Dans les années 90, il gravit les marches 4 à 4. Après le Bowmore, il distribue le Madère, le Sherry, le Cognac. Parmi les marques de Cognac, il distribue la célèbre marque Castillon-Renault, qui sera rachetée par Pernod-Ricard. En 1992, il s’associe avec un embouteilleur indépendant écossais, Cadenheads. Il touche à tout.

Un premier petit grain de sable va se glisser, cependant, dans les pas de sa marche vers le succès. En 1996, il vit sa première grande épreuve entrepreneuriale. Des cavistes décident de se regrouper et de s’adresser directement aux producteurs. Ils sont rejoints par 500 autres cavistes. La société Dugas est menacée sur son propre terrain de jeu. François-Xavier adepte du ballon ovale plutôt que du ballon rond, s’implique dans cette mêlée qui semblait se refermer sur lui. Il la travaille au corps et profite d’une ouverture pour devenir leur partenaire. Il s’occupe de toute la logistique de ces cavistes disséminés à travers toute la France. Cette menace s’est transformée en une opportunité et en succès. A la fin des années 90, il se lance à la conquête du rhum. Il distribue, alors, une quinzaine de marques. Son chiffre d’affaires tutoie les 4 millions d’euros.

La grande épreuve et la cession

Marié en 1978, de cette union, François-Xavier a 2 garçons, dont un fils adopté, Baptiste, et, 1 fille, Laure. En 2000, à l’âge de 20 ans, son fils, Pierre-Olivier, meurt d’une tumeur. C’est la grande épreuve de sa vie. Le papa s’effondre. Il décide de tout vendre. Il cède sa société le 1er avril 2003 à un conglomérat américain de Trinidad Tobago. « J’ai vécu un moment de solitude extrême. Cette épreuve a duré 7 ans. Cela a été très dur. Avec mon épouse et ses frère et sœur, nous l’avons porté pendant toutes ces années. Après son décès, je ne pouvais plus continuer comme avant. En 2002, le responsable pour la France de ce conglomérat m’a demandé de le recevoir. Il venait d’acquérir mon concurrent de l’époque, Auxil. » Lors de leur rencontre, la discussion tourne autour du rachat de Dugas. Le conglomérat s’appelle Angostura. Il pèse 8 milliards de dollars. François-Xavier accepte le deal et les accompagne pendant deux ans. Tout en voulant céder sa société, il est en train de rebondir à l’intérieur même. Car le groupe auquel il est maintenant adossé est ambitieux, il veut doubler de taille.

Avec Arnaud de Trabuc, le représentant du conglomérat au nom prestigieux, François-Xavier, en tant que membre du board, accompagne les nombreux rachats du groupe. Angostura met la main sur Hine, la célèbre maison de Cognac. Par la suite, ce sera une distillerie en Suisse. En 2006, le groupe rachète le site internet ChateauOnline, le pionnier français de la vente de vin en ligne. La frénésie du groupe ne s’arrête pas là. Il rachète Marie Brizard. En 2007, la crise des subprimes frappe de plein fouet le groupe. Ce qui ne l’a pas empêché de racheter, la même année, 33 boutiques de Repaire de Bacchus, le réseau de caves fondé par Dominique Fenouil.

La renaissance de Dugas

Alors qu’il voulait changer de vie, à quelques semaines de remettre définitivement les clefs à son successeur, la crise va le remettre en selle. Car le groupe a plongé dans les méandres de la crise. « Silence radio du groupe, rien ne se passe, ils ont confié le management européen à des Ecossais. Et, de mon côté, je décide d’accélérer. » Sa société pèse alors 8 millions d’euros, avec, seulement, 25 salariés. En 2008, il met la main sur Diplomático, ce rhum vénézuélien qui va lui permettre de doubler de taille.

Ce qui fait sa force ? « C’est ma vision. Je demande toujours à mes collaborateurs d’avoir un pas d’avance. » Il a surtout du bon sens et une intelligence de situation hors-du-commun. En 2011-2012, le groupe Angostura refait surface et décide de tout vendre. François-Xavier cherche, alors, des acquéreurs. La société Dugas pèse, à ce moment-là, 18 millions d’euros. En 2013, avec Cyrille Chevrillon, un family office, il rachète la société, qu’il avait revendu 10 ans plus tôt. Le destin et l’alignement des planètes ne s’expliquent pas. Ils se vivent. Les deux amis signent le rachat fin décembre 2013. « A partir de ce rachat, je m’amuse. Tout ce que nous faisons marche. Tout est au vert. Je mets la main sur la pépite Don Papa, le fameux rhum des Philippines. C’est encore une histoire incroyable, avec une personnalité géniale, un anglais qui en est le producteur, Stephen Carroll. Après l’envolée de Diplomático, où nous étions tout le temps en rupture de stock, nous avons une deuxième envolée avec Don Papa. Avec l’univers de ce rhum merveilleux nous perçons le plafond de verre. »

40 ans après avoir racheté La Casa del Porto, François-Xavier Dugas a chaussé ses bottes de sept lieux. Il est devenu le pape des alcools et des spiritueux. Fin 2017, il réalise un LBO, leverage buy out, et fait rentrer un actionnaire de référence mondiale, pour accélérer leur croissance. Il approche les 50 millions d’euros. En 5 ans, avec Cyrille, les deux compères ont multiplié par 3 leur valeur. Le groupe Equistone devient l’actionnaire majoritaire. En 2021, la maison Dugas va terminer l’année à 87 millions d’euros de chiffre d’affaires, entouré de ses 108 salariés. Ils fêteront, très certainement, le cap des 100 millions en 2022.

Le D de Dugas, le M de Marque, le P de Passion

« Ce n’est pas un métier, répond-il, c’est une passion… » à la question du métier. François-Xavier se définit lui-même comme un « constructeur de marques ».Il est aussi un homme d’innovation. Mais, c’est surtout un stratège du développement, un homme de rachats, qui au fil de ses balades, de ses dégustations, de ses rencontres sorties tout droit d’un roman, a tissé des liens indélébiles avec les propriétaires. C’est pour cela qu’il est entré dans une phase de rachat. Il aime tellement ce qu’il fait. Il aime tellement partager. Finalement, il ne peut pas faire autrement. Chaque rachat est une réussite. Il tire sa stratégie de ses bouquets de senteurs olfactives, de ses dégustations gouleyantes qui mettent en émoi ses papilles, et des colories ambrées et nacrées de ses alcools et spiritueux savamment sélectionnés. En 2018, il rachète les rhums de Ced. « Ce sont des rhums arrangés, et, j’ai une petite usine entre Nantes et Noirmoutier », explique-t-il.

Son ambition et sa vision sont devenues globales et européennes. En 2019, il rachète La Maison du Rhum, en Belgique. En septembre dernier, il a créé La Maison du Rhum au Luxembourg. En résumé, il se lance dans la croissance externe. « Aujourd’hui, ajoute-t-il, ce qui est important c’est d’avoir une vision internationale, de créer ses marques et de maîtriser sa propre distribution. » De simple importateur-distributeur, la maison Dugas est en pleine transformation. La société est devenue un groupe qui se diversifie de plus en plus à travers des marques et des sociétés de distribution.

Où s’arrêtera-t-il celui qui a démarré avec une seule marque en 1980, qui a failli tout arrêter en 2003, et, qui en possède, aujourd’hui, 120 ? Ses vœux en cette fin d’année 2021 ? « Je souhaiterais racheter plusieurs distilleries en Amérique Latine et en Ecosse. » Son appétit est grandissant.

Pour conclure, ce qu’il tient à mettre en avant, c’est la relation avec ses clients, ses fournisseurs et ses salariés. « Ce qui fait, également, notre force, c’est le temps consacré aux relations humaines. » Il n’oublie pas pour autant le digital, qui devrait représenter, à court terme, 10% de leurs activités. Pendant la pandémie, il a créé un partenariat avec plus de 600 cavistes (sur les 4 200 existants) pour favoriser le click-and-collect.

On le voit le pape du spiritueux a encore de longues dégustations devant lui. 

Antoine BORDIER


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