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Famille, je vous aime

Entreprendre - Famille, je vous aime

Comme on est loin de l’apostrophe célèbre « Familles je vous hais » proférée par André Gide en 1897 dans Les Nourritures terrestres.

L’appel des sens à la liberté en rupture de l’ordre bourgeois sonne à nos oreilles comme un anachronisme au regard du mariage gay et des LGBT, férus de reconnaissance notabiliaire. Il n’est plus question de défier les familles pour les tenants de l’amour libéré du formalisme judéo-chrétien, mais de les habiter, par pléonasme « de l’intérieur ».

Ainsi la révolte originelle qu’incarnait le célibat, voulu et assumé, revendiqué même, arboré en somme, laisse-t-il la place à ce simulacre qui consiste à travestir le sens des mots en même temps que l’on inverse les genres. Cette démarche proprement révolutionnaire nous vient directement de Gramsci, qui pensait qu’en faisant douter du sens des mots on ébranlait l’ordre social. Il n’avait pas tort. La démarche proprement aristocratique et anti-plébéienne d’un Gide se trouve donc par un effet comique de l’histoire être la génitrice d’un nouvel ordre petit-bourgeois. Ce n’est pas simple d’être un solitaire vaquant sur les hauts-plateaux à la recherche de l’âme -soeur, ou frère, ou les deux.

L’élite apprend  ainsi à ses dépens que son enseignement la banalise quand il se donne, et la ravale quand il est cru au rang de qui s’en pare. Triste découverte pour un Gide si fier de ses audaces. Cependant, cette curieuse palinodie nous apprend que le mythe que l’on a voulu subvertir, la famille, demeure la référence implicite de qui s’en plaint, au point de vouloir la singer. Heureuse prise de conscience! Ce ne sont plus les vaniteux Montaigü rivalisant d’orgueil avec les Capulet au point de sacrifier tous deux leurs enfants à leur infâme superbe, c’est l’espoir d’un bonheur quiet qui berce leur requête.

Sur ce chemin ils trouveront l’Etat, piètre répartiteur mais hardi confiscateur, pour leur apprendre que sans patrimoine il n’est point de sécurité. Nul nid, ni douillet ni pourvu, ne pourra protéger cette population en quête de bonheur car la vérité c’est que  ce n’est pas la réprobation sociale qui incommode, c’est la précarité. Acre découverte, le Panthéon n’enrichit que les morts , et encore ! Il n’est donc point besoin d’y déposer les dépouilles de l’aimé et délicat Verlaine ni celle  du voyou Rimbaud. Pour eux la messe est dite . L’ivresse d’être seul fut une passion de riche.

Etre libre ne fabrique pas d’émules. Voilà le hic comme l’eut dit Hamlet. Etre libre à plusieurs est-ce encore être libre? De la nécessité renaîtrait donc la famille? Pourquoi pas? De quelque mot que l’on puisse la nommer, famille, groupe ou tribu, clan si l’on veut, ce ne sont pas ses moeurs qui  guident ses choix en cette circonstance, c’est la nécessité. Toutes autres considérations ne sont qu’habillage, récupération politique, et tromperies en tous genres.

Il n’est pas anodin de vérifier ainsi qu’un ordre ne se substitue à un autre qu’en le pourvoyant d’un autre vocabulaire, ce qui ne dissimule en fait qu’une seule réalité écrite par Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que tout reste pareil ». Ainsi nécessité fait-elle loi pour ceux qui n’en veulent pas.

« S’affranchir des règles n’est-ce pas prendre le risque d’en subir de plus dures », a dit en substance le Romain, ce qui est le pendant inévitable de l’adage  « dura lex sed lex ». La question mérite d’être posée. Fille d’une liberté revendiquée comme un fanion, cette nouvelle famille n’est-elle pas rigoureusement la même dans ses effets et des contraintes que celle qui l’a précédée ? Bonheur du logos, nos hardis précurseurs sont des vétérans de l’éternel retour du même, selon l’heureuse formule de Frédéric Nietzsche . Après la famille, quoi donc encore: les bonnes manières ? Voilà qui ne serait pas du luxe. Bertrand de Jouvenel a écrit dans son opus Du Pouvoir : « Toute révolution qui réussit rajeunit le pouvoir ».

On peut considérer de ce fait que le bouleversement de l’ordre établi auquel nous assistons n’est pas autre chose que la consécration d’une mise à jour révélant derrière les décombres de la société qui s’est effondrée la réalité d’un sous-oeuvre qui s’était édifié en secret  à l’intérieur. En fait de révolution il ne s’agirait guère selon cette analyse que de la mise en évidence de la réalité sociale que les us et coutumes du conformisme avaient dissimulé aux yeux des citoyens.

Jean-François Marchi


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