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En Tunisie, à J-1 de l’ouverture du 18è Sommet de la Francophonie, la sécurité est-elle assurée ?

Sommet de la francophonie : près de 400 journalistes, 80 délégations officielles, et une quarantaine de chefs d’Etat sont attendus.

Copyright des photos A. Bordier

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur du livre : Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Demain, s’ouvrira le 18è Sommet de la Francophonie sur l’île paradisiaque de Djerba, où le célèbre Ulysse a accosté. Gustave Flaubert la surnommait « l’île des Rêves ». Près de 400 journalistes, 80 délégations officielles, et une quarantaine de chefs d’Etat sont attendus. Emmanuel Macron est annoncé, ainsi que Justin Trudeau, le Premier ministre du Canada, et le Président du Rwanda, Paul Kagamé. Côté sécurité, le trop plein a commencé à paralyser la vie des Djerbiens, des journalistes et des touristes. Reportage en zone rouge et au-delà.

« Hier et ce matin, j’ai encore mis une heure de plus pour me rendre à mon travail à pied », explique, rageant, Kaïs (le prénom a été changé), qui travaille dans un hôtel qui se situe juste à l’arrière du site du Grand Casino de Djerba où se dérouleront les activités du 18è Sommet. Son lieu de travail est en zone rouge. Cette zone est un cercle étanche de 5 à 10 km2. A l’intérieur de cette bulle ultra-sécurisée la vie des Djerbiens est devenue impossible. « Depuis hier, nous ne sortons plus », explique un couple de Français installé ici depuis plusieurs années. « Nous avons dû arrêter notre activité touristique et annuler la venue de nos clients. Leur vie aurait été impossible. Trop de sécurité tue le tourisme. Et, ce n’est pas le moment.» Cette bonne nouvelle de la Francophonie serait-elle devenue une mauvaise nouvelle pour l’activité hôtelière ? Pour certains ce rêve devient un cauchemar. Pour d’autres, c’est tout le contraire. Le sujet est d’importance, car le tourisme est la principale manne du pays.

Il est vrai que la pression sécuritaire augmente de plusieurs crans depuis quelques jours. Même les personnes dûment accréditées doivent passer plusieurs points de contrôle, comme si les premiers étaient déficients. Avec près de 10 000 policiers et militaires déployés, cette pression est plus que visible. Des engins blindés de l’armée sont apparus dernièrement. Sur terre, sur plage, sur mer et dans le ciel, les bruits des hélicoptères, des bateaux à moteur, des sirènes des véhicules de la police et des motos sont, également, montés d’un cran à l’approche de l’évènement phare.

A l’intérieur et au-delà de la zone rouge, des dizaines de check-points sont installés aux ronds-points. Ils filtrent et laissent passer les véhicules accrédités avec un macaron rouge. Ceux qui n’ont pas le macaron sont obligés de faire demi-tour. Paul, un journaliste qui vient du Québec a dû rentrer à son hôtel à pied, jeudi soir. « C’est de ma faute, explique-t-il, j’aurais dû prendre la navette de la presse, mais, je n’étais pas informé de ce service. Demain, je la prendrai. Mais, ils ne sont pas cool là. Même avec mon badge-presse, ils ne m’ont pas laissé passer. » Visiblement excédé, à 22h00, hier soir, il a dû faire une heure de marche dans Djerba. Ce n’est pas un problème, car les rues sont, donc, « safe » et les températures douces (entre 15 et 20°C la nuit). Mais, avec son matériel vidéo, Paul se souviendra longtemps de son retour à l’hôtel.

Un pays pacifique et touristique sous tension

La Tunisie est pourtant un pays pacifique au fort potentiel touristique. Les Tunisiens, mieux, les Djerbiens ont le sens de l’accueil comme s’il faisait partie de leur adn, de leur histoire et de leur valeur. Le mot « bienvenu » est celui qu’ils utilisent le plus souvent. A chaque nouvelle rencontre, quand un Djerbien rencontre un étranger ou un touriste, il commence par dire : « Bienvenu ! Soyez le bienvenu. »

Comme l’explique René Trabelsi, qui a été ministre du Tourisme et de l’Artisanat entre 2018 et 2020 : « Je suis un tour-operator, un spécialiste de la destination sur la Tunisie et sur Djerba. Ici, vous avez un sens de l’accueil incomparable. Et, je vous le dis en toute connaissance de cause, puisqu’avec mes associés, mes partenaires et toute mon équipe, nous faisons ce métier depuis 27 ans. Nous avons, aussi, un hôtel, le Royal Karthago Resort & Thalasso. En pleine saison avec nos 300 collaborateurs, nous accueillons plus de 1200 clients, dans nos 440 chambres. »  En ce moment, du fait du Sommet de la Francophonie, et malgré ces mesures de sécurité qui paraîtraient excessives à plus d’un touriste, son hôtel accueille 900 clients. « Je suis plutôt satisfait, vu le climat des affaires », ajoute-t-il, ravi.

Avec sa bonhommie, qu’il dégage naturellement, l’invitation à goûter aux délices djerbiens est lancée. Ses activités dans le secteur touristique sont multiples. Il est, d’ailleurs, en train de faire la promotion de la Tunisie au cœur même du village tunisien de la Francophonie, qui se trouve au Parc Djerba Explore. Les Tunisiens sont très forts en architecture et en mise en valeur de leur patrimoine. A l’intérieur de ce village attractif, qui accueille plusieurs milliers de personnes, des villas typiques ont été reconstituées avec leur façade blanche et leurs arcades, des placettes et des ruelles gorgées d’ombre et de soleil invitent à la flânerie, à l’insouciance et à la rêverie.

Ceci explique cela

Le haut niveau de sécurité s’il peut surprendre et mettre en mal les impatients sous toutes les coutures, s’explique par les traumatismes passés. Une plongée dans l’histoire récente s’impose.

La douce Tunisie, après avoir vécu sa période d’indépendance dès 1956, se retrouve pendant 30 ans sous un régime, celui de Habib Bourguiba, qui devient président à vie. Le mot « dictature » est, encore, employé, aujourd’hui, par certains pour qualifier son régime.

Mériem Bourguiba Laouiti est sa petite fille. Elle donne son éclairage sur le sujet, lors d’une interview qu’elle a faite en 2016 pour la revue Leaders : « A 11 ans, j’étais très gênée d’apprendre l’acceptation par Bourguiba de la présidence à vie. C’était pour moi une grave décision qui allait à l’encontre des valeurs républicaines qu’on m’avait enseignées. Je l’ai gardé pour moi, et pris le large dès mon Bac en poche. À 17 ans, fille, et qui plus est, petite-fille de Bourguiba, je ne pouvais pas lui faire de la résistance, ça n’avait pas de sens. Alors autant aller poursuivre mes études à l’étranger. Je pensais pouvoir tourner la page ; c’était en fait un long chapitre de 30 ans. » Celle qui est née aux Etats-Unis, pendant les années Kennedy, entre ses 17 ans et ses 47 ans, part vivre à Londres. Elle rentre au pays la veille du Printemps arabe, de la Révolution de Jasmin.

Face à cette « dictature », qui prend fin en 1987, la suite ressemble à une continuité de régime. On remplace juste les hommes. L’homme fort est, alors, Ben Ali. S’il continue une partie de la politique intérieure de son prédécesseur, en enfermant et torturant tous ses opposants, il émancipe les femmes, en supprimant leur obligation d’obéissance à leur mari. C’est une révolution culturelle majeure. Entre 1987 et 2011, il sera le deuxième Président de la République de Tunisie. Il finira mal.

Le Printemps arabe et la Révolution de Jasmin

Souvenez-vous. C’était le 17 décembre 2010, il y aura douze ans cette année. Mohamed Bouazizi est un vendeur de fruits et de légumes ambulant qui réside à Sidi Bouzid, une ville agricole de 40 000 habitants (à plus de 250 km de Tunis). C’est là, en plein cœur de la Tunisie que la poudre de la contestation va s’enflammer. A la suite d’une nouvelle altercation injuste et méprisante avec les forces de l’ordre qui lui confisque son étal de fruits et légumes, Mohamed prend une décision folle : il s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat (la préfecture locale). Il meurt quelques jours plus tard, le 4 janvier 2011, à l’âge de 26 ans. De ce tragique évènement va naître la contestation et des manifestations contre le pouvoir vont s’amorcer. Le Président Ben Ali est obligé de s’emparer de ce fait divers qui devient…révolutionnaire. Et, il est déjà trop tard : l’hypermédiatisation de la mort de Mohamed et les manifestations qui s’ensuivirent vont l’obliger à quitter le pouvoir népotique qu’il avait installé. En un mois, la révolution était bouclée en Tunisie : le 14 janvier 2011, la famille Ben Ali s’enfuit en Arabie Saoudite. Cette révolution historique imprévisible déclenchait en cascade celle des autres pays limitrophes : à commencer par l’Egypte, puis la Lybie. On connaît la suite…

Trois ans plus tard, en 2014, la population était divisée : fallait-il préférer avant ou après 2011 ? A Hammamet, à Sousse et à Tunis, les anciens préféraient avant et les jeunes après la révolution. En 2015, c’était l’attentat islamiste dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui près de Sousse. Tous le condamnaient. Aujourd’hui, le même constat s’impose. Et, depuis, les attentats de 2019 et 2020, et un projet d’attentat déjoué au début de cette année, il y a de quoi vouloir renforcer la sécurité du pays.

Un risque terroriste existe-t-il à cette heure ?

Impossible d’avoir la réponse. Le ministère de l’Intérieur ne répond pas. Ce qui est certain, c’est que la Tunisie a eu le temps d’organiser et de sécuriser un tel évènement, puisque le sommet a été reporté d’un an. En raison du Covid-19. Le gouvernement et l’Organisation Internationale de la Francophonie ont travaillé en étroite collaboration sur le sujet.

Récemment, l’attentat en plein cœur d’Istanbul, le 13 novembre dernier, a relancé le sujet du terrorisme. Alors, existe-t-il un risque terroriste en Tunisie à l’heure du 18è Sommet de la Francophonie ? Oui, si l’on en croit la journaliste tunisienne Hela Lhabib. En 2020, dans l’un de ses articles qu’elle publiait sur la plateforme lapresse.tn, elle recensait : une quarantaine d’attentats terroristes en 2015-2016, et 29 en 2019. L’appareil judiciaire a, de plus, musclé la réponse sécuritaire du gouvernement avec, notamment, des arrestations massives : « Les arrestations, au contraire, sont allées crescendo : 260 en 2016, 403 en 2017, plus de 500 en 2018 », expliquait-elle. Selon certaines sources, il ne resterait dans le maquis tunisien qu’une cinquantaine de terroristes djihadistes.

Pour autant, si nous revenons à l’ancien ministre René Trabelsi, ce-dernier se veut optimiste : « Oui, je veux rester très optimiste. Car d’une part le gouvernement répond efficacement à ce risque, et, d’autre part, le tourisme cette année a fait son retour en force. A Djerba, jusqu’au 10 novembre le taux de remplissage des hôtels était très bon : à 80%. »

En cette fin de saison touristique, la sécurité du 18è Sommet de la Francophonie est, donc, assurée. Elle est une bonne nouvelle pour la Tunisie, pour les Francophones et pour…les touristes. Quant aux fruits, attendons encore.

Reportage réalisé par Antoine BORDIER


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