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Emmanuel Macron, « loin du fracas des hommes »…

Emmanuel Macron (Photo Eliot Blondet/ABACAPRESS.COM)

Tribune. Dans son essai intitulé « Révolution », à la fois manifeste politique et livre confession, Emmanuel Macron se laisse aller à quelques confidences sur son enfance et son adolescence, et livre sa définition du bonheur, « une vie immobile loin du fracas des hommes », paradoxal pour quelqu’un qui a choisi de faire de la politique et de se lancer dans l’arène, mais si représentatif de ce qui se passe en ce moment !

Le chapitre « Ce que je suis » se révèle être un vibrant hommage à sa grand-mère maternelle, Germaine Noguès, une femme d’un milieu très modeste, qui, grâce aux études, avait pu échapper à sa condition en devenant enseignante puis directrice d’école. « À présent qu’elle n’est plus », écrit-il, « il n’est pas de jour où je ne pense à elle et où je ne cherche son regard ». C’est elle, en effet, qui s’occupait de lui après l’école, et c’est elle qui a guidé ses premiers apprentissages et forgé ses goûts littéraires. « J’ai passé des jours entiers », se confie-t-il, « à lire à voix haute auprès d’elle ». Quand il ne lisait pas, il l’écoutait égrener ses souvenirs d’antan, et, ajoute-t-il, « je voyageais dans sa vie comme on reprend un roman ». Une relation fusionnelle, vécue comme idyllique par le jeune Emmanuel, et qui va former la matrice de toutes ses relations futures.

« Nous étions deux, inséparables »

Comme celle qu’il a entretenue avec Paul Ricoeur, qu’il rencontre quand qu’il étudie la philosophie politique à Nanterre tout en préparant son diplôme à Sciences Po. Il a alors vingt-deux ans, et c’est son professeur d’histoire qui le présente au philosophe. « Dès ce soir-là « , se souvient-il, « commença une relation unique où je travaillais, commentais ses textes, accompagnais ses lectures » .

« Je n’oublierai jamais » ajoute-t-il, « nos premières heures passées ensemble , je l’écoutais. La nuit tombait, nous n’allumions pas la lumière. Nous restions à parler dans une complicité qui avait commencé à s’installer « . Un copié/collé de sa relation avec sa grand-mère! Pendant deux ans, le jeune étudiant sera l’assistant éditorial de Paul Ricoeur, l’aidant dans la rédaction de l’ouvrage qu’il préparait alors, « La mémoire, l’histoire, l’oubli » , thème que le Président va inscrire durablement dans sa politique, et qui va lui inspirer quelques belles envolées lyriques! Comme le 17 juillet 2022, à Pithiviers, lors de la commémoration de l’anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, où il va quasiment déclamer, « quatre-vingt ans après cette éclipse de l’humanité, il est toujours aussi urgent, peut-être plus que jamais, de rappeler l’Histoire pour la conjurer ».

Ou comme le 10 mai 2022, où il s’exprime à l’occasion de la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, et twitte, « les cinq dernières années ont été jalonnées d’actes forts pour perpétuer cette mémoire. Nous les poursuivrons ». Devenu Ministre des Finances, Emmanuel Macron, qui aime à se présenter comme le disciple et l’héritier du grand philosophe, aura cette confidence pour le magazine Le 1 Hebdo, « c’est Ricoeur qui m’a poussé à faire de la politique, parce que lui-même n’en avait pas fait ». Et le principe qu’il semble avoir retenu le mieux de l’enseignement de son Maître est: « ce qui caractérise la communication c’est d’être unilatérale « , affirmation qui est censée s’appliquer à la communication littéraire entre un écrivain et ses lecteurs, et non à la communication politique entre un chef d’État et son peuple!

Et de la communion dans la lecture à la communion dans l’écriture, il n’y avait qu’un pas que l’adolescent va franchir allégrement avec sa prof de français ! De sa grand-mère à Paul Ricoeur, et de Paul Ricoeur à Brigitte, ce sera encore et toujours le même modèle, le même copié/collé! « J’allais chaque vendredi écrire avec elle pendant plusieurs heures une pièce de théâtre. Cela dura des mois ».

Le texte choisi s’appelle « L’art de la comédie », et c’est l’œuvre d’un jeune auteur prodige, Eduardo de Filippo, qui avait écrit sa premièrepièce à l’âge de dix-sept ans, pile-poil l’âge qu’a Macron lui-même quand il se livre à cet exercice! Et ce que raconte cette histoire est loin d’être anecdotique, c’est le choc entre deux ego, celui d’un directeur de théâtre au bord de la ruine et celui d’un préfet nouvellement nommé, peu aguerri aux rouages de la politique, et qui doit montrer la force de son pouvoir. La rencontre ne pouvait tourner qu’à la catastrophe!

Quand l’homme de théâtre invite le préfet a venir assister à sa représentation du soir, l’homme politique va refuser avec le plus grand mépris; chacun des deux va alors repartir, profondément blessé et décidé à écraser l’autre pour se venger! Nous voilà loin, très loin de ce que le dramaturge italien énonce solennellement, » le devoir d’un représentant de l’autorité est d’écouter le peuple ». Dommage pour nous qu’Emmanuel Macron n’ait pas retenu cette réplique!

La France, une « anxiocratie »

Une autre composante, et non négligeable, de ce qui le touche chez quelqu’un, c’est l’inquiétude, une tonalité d’humeur qu’il aime à sentir chez l’autre, et bien sûr, on en trouvera l’origine avec sa grand-mère. Il se souvient d’elle, le réveillant tôt le matin en entrouvrant la porte de sa chambre, et en lui demandant, jouant les inquiètes, s’il dormait encore! Et même s’il parle d’une inquiétude « feinte », on notera quand même que, même en filigrane, cette anxiété est bien présente! Et, là encore, un même schéma se dessine, de sa grand-mère à Paul Ricoeur, qui se définissait lui-même comme « un esprit curieux et inquiet », et de Paul Ricoeur à Brigitte, dont il avait tout de suite perçu, explique-t-il, « la sensibilité inquiète « .

Il a donc très logiquement élevé l’inquiétude au rang de système de gouvernement, ce qui a fait écrire à l’historien britannique Gavin Mortimer, cité dans les colonnes du « Courrier International » en date du 13 septembre 2022, que la France est une « anxiocratie ». On en a une illustration avec l’annonce en 2020 de la pandémie, en comparant le comportement d’Emmanuel Macron à ceux d’Angela Merckel et de Donald Trump. Emmanuel Macron prononcera cette formule désormais célèbre, » nous sommes en guerre », déclaration tragique qui ne peut que saisir d’angoisse ceux qui l’entendent, pendant que de l’autre côté du Rhin, la chancelière allemande parle d’un « défi à relever », ce qui motive à relever ses manches et à agir. Et, de l’autre côté de l’Atlantique, c’est Donald Trump qui est au pouvoir, et, s’il a à l’évidence sous-estimé la gravité de la pandémie, il n’a pas sous-estimé l’ampleur des moyens financiers qu’il faudra déployer! Dès avril 2020, il monte l’opération Warp Speed , « Vitesse de la Lumière », investissant dans ce projet plus de 5 milliards et demi de dollars, lui permettant ainsi de tenir la promesse faite aux Américains de disposer d’un vaccin avant la fin de l’année 2020.

Chez nous ça ne se passera pas aussi bien, et c’est la campagne de vaccination contre la Covid-19 qui va être le premier accroc entre le Président et les Français. Jusque là, tout allait bien, Emmanuel Macron était entré à l’Elysée en 2017, et, dans la foulée, il avait obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et pouvait ainsi croire à une relation fusionnelle avec le peuple français, qui jusque là voulait ce qu’il voulait et le suivait, comme un seul homme, là où il allait! Mais, en 2021, l’idylle va se briser net, quand près d’un quart des Français vont refuser d’adhérer au discours officiel sur les nouveaux vaccins. Ne supportant pas qu’ on lui résiste, Macron va répondre à cette frustration par de la colère et de l’agressivité, en déclarant publiquement qu’il allait « emmerder les non-vaccinés »!

La « mauvaise » foule et le « bon » peuple

En pleine crise contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron, qui a perdu la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, prend la parole et décrète que « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus ». Il y a donc pour lui les « bons » Français, le peuple, et les « mauvais » Français, la foule, et son discours opère une sorte de tri entre les deux catégories! Cette notion d’un clivage entre de « bonnes » et de « mauvaises » personnes, celles qui comblent et celles qui frustrent, celles qu’on aime et celles qu’on déteste, on la retrouve chez Mélanie Klein, pionnière avec Anna Freud de la psychanalyse des enfants.
Au début de sa vie, le petit humain ne comprend pas encore que la maman qui lui donne du bon lait chaud et sucré et celle qui le remet après dans son berceau, est une seule et même personne, alors il sourira à la gentille pour la garder et surtout il tapera sur la méchante pour qu’elle disparaisse définitivement. C’est bien ce qu’a fait le Président en dégainant le 49.3, reçu par une immense majorité des Français comme une « gifle », un « doigt d’honneur » et un « coup de force » d’une grande brutalité!

Alors, si son livre « Révolution » est son Credo, il devrait en relire la conclusion! « Chacun d’entre nous », écrit-il, » est le fruit des échecs surmontés « . Les événements récents devraient lui donner matière à réflexion !

Catherine Muller


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