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Emmanuel Macron : la grenouillette qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf

(Laurent Zabulon/ABACAPRESS.COM)

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Par Hugo Gonzalez, étudiant à Sciences Po Aix-en-Provence en master Géostratégie, Défense, Sécurité internationale

Évènement abondamment commenté dans l’actualité française, Emmanuel Macron était en déplacement en République populaire de Chine (RPC) du 5 au 8 avril. Retour le cadre géopolitique d’un déplacement attendu, entre guerre en Ukraine, enjeux commerciaux et tensions sino-taïwanaises.

L’écran de fumée d’une communication millimétrée

L’adage est bien connu : l’Histoire est écrite par les vainqueurs.

Le chef d’Etat français s’est peut-être rêvé en comte de Palikao : c’est du moins ce que suggère le gigantisme du dispositif de communication de l’Elysée, concernant ce séjour en RPC. En effet, du visionnage du court film produit par les équipes présidentielles se dégage l’espoir de mettre en image ce qui est espéré comme un succès diplomatique. Intitulé « Pour une dynamique réciproque. De paix, de stabilité et de prospérité », l’objectif est de créer l’illusion d’une comparabilité géopolitique entre les deux nations. Le mirage d’un dialogue international établi sur un même piédestal, entre Paris et Bruxelles d’une part, et Pékin d’autre part. Dans un élan propagandiste, on y découvre alors un Emmanuel Macron qui arbore à lui tout seul l’étendard franco-européen, aux côtés d’une Ursula von der Leyen, en perpétuel second plan, dont la présence ne sert qu’à légitimer cette initiative.

Très attaché à la symbolique de ses actions, celui qui insuffle l’opposition des étudiants français en actant la réforme des retraites se noie paradoxalement dans des bains de foule étudiants à Canton. Aussi, le président français n’hésite pas à rallonger les discussions auprès de son homologue – tolérant sur le sujet – lorsque pourtant, l’on connaît la rigidité du déroulé d’un tel séjour. À la demande de son invité, Xi Jinping aurait même consenti à venir en France l’année prochaine, dans une réponse conditionnée dont on soupçonne la mesure et la courtoisie confucéennes.

Une France qui se rêve en faiseuse de paix

Malheureusement, force est de constater que les lubies du président français, après Olaf Scholz, après Pedro Sánchez, « elles font pschitt », pour reprendre la célèbre formule. Le bilan est en effet modeste, modéré, modique.

Tandis que les négociations avaient principalement à cœur la paix en Ukraine, la RPC est restée droite dans ses bottes, priorisant la seule chose qui importe à ses yeux : elle-même. En cela, elle use de la « diplomatie à double piste » ( 双轨外交 shuāngguǐ wàijiāo, en mandarin), poursuivant simultanément deux objectifs apparemment antagonistes : protéger ses intérêts nationaux et favoriser la coopération avec les autres nations. Cette approche bipolaire dévoile justement l’ambiguïté de la position à afficher à l’international.

Elle pourrait d’une part être fidèle à l’ours russe et continuer à utiliser le théâtre est- européen comme un thermomètre pour Taïwan. Les discussions impulsées par Emmanuel Macron s’inscrivent d’ailleurs dans ce sillon, Pékin n’ayant reculé sur aucune de ses positions majeures et Paris n’obtenant aucune remise en cause profonde du soutien politique, diplomatique, économique, et indirectement militaire qu’elle apporte à Moscou. Malgré cette visite, l’image qui trône dans les esprits reste ainsi celle du tintement de verres entre Xi Jinping et Vladimir Poutine pour inaugurer le printemps 2023, à la santé d’une « nouvelle ère » et d’un nouvel ordre marginalisant les Occidentaux.

Elle pourrait d’autre part insister sur un « retour de la paix », comme elle l’a fait dans la déclaration conjointe résultant de cette rencontre franco-chinoise. On le sait pourtant, la RPC est réputée pour son recours récurrent à la stratégie de la « flexibilité tactique » (调整口径 tiáozhěng kǒujìng, en mandarin), selon laquelle elle adapte ses positions et discours selon les interlocuteurs et circonstances, à l’instar de la Belt and Road Iniative. Elle reste donc complexe cerner. Quoi qu’il en soit, la RPC semble motivée par un règlement pacifique et acceptable par tous sur le long terme. Car, dans un univers néolibéral globalement favorable à l’atelier du monde, la théorie du doux commerce et sa réciproque ont tout intérêt à prospérer : commercez, vous aurez la paix ; ayez la paix, vous commercerez. Acteur majeur dans le rapprochement entre Riyad et Téhéran, le pays disposerait en outre de la crédibilité nécessaire à endosser ce rôle de médiateur et d’arbitre.

Dans tous les cas, la voix de la France peine à atteindre l’oreille de Xi Jinping, en vue de l’asymétrie du rapport de force. Le fruit des discussions relatives au sujet moteur de cette entrevue internationale, l’Ukraine, est stérile. Sur le papier comme dans les faits, Emmanuel Macron ne dipose pas des outils et de la position apte à faire reculer – ou même avancer – la RPC. Pour le dire crument : l’exécutif chinois n’en a cure, ce n’est pas lui qui fait le déplacement en Europe. C’est bien le président français qui parcourt l’Eurasie sur plus de 8 000 kilomètres. Il ne sera jamais question pour l’hôte de saisir le poignard sémantique incriminant son partenaire de l’autre côté du fleuve Amour. Parmi les 51 points constituant la déclaration conjointe, les trois mentionnant directement ou pas l’Ukraine écartent en effet tout vocabulaire compromettant la Russie. Il n’est plus question pour le président français de rappeler que « quiconque aiderait l’agresseur [russe] se mettrait dans la situation d’être complice d’une infraction au droit international », comme il l’affirmait au premier jour de la visite. L’accent est encore une fois porté sur l’impératif du respect du cadre juridique international, dans un océan de périphrases et de non-dits qui questionne l’utilité de la rencontre. D’aucuns se satisferont de miettes diplomatiques, que ce soit à travers la réitération de l’opposition commune à l’utilisation d’armes nucléaires, ou l’appel promis entre Volodymyr Zelensky et Xi Jinping. Mais là encore, aucune garantie : Emmanuel Macron propose, Xi Jinping dispose.

Taïwan : quand Macron tourne les talons, Xi lui assène un pied-de-nez

Formose est la grande absente géopolitique de cette rencontre, dans un contexte, pourtant, de grandes tensions entre l’île et le continent. Cécité volontaire ou agenda trop serré

? Peu importe, le président français sera rapidement contraint de rattraper le coup par la force des choses, sa crédibilité diplomatique s’en voyant particulièrement entachée.

En effet, pendant puis en aval de la visite, les tensions entre Pékin et Taipei n’ont pas décru, à l’occasion de la rencontre impliquant la présidente de Taïwan et le président de la Chambre américaine des représentants. Celui qui se veut moteur de la « souveraineté européenne » et non « suiviste des États-Unis », et qui a consacré l’une des cinq parties de la déclaration franco-chinoise à « promouvoir ensemble la sécurité et la stabilité dans le monde » quitte néanmoins le sol de la RPC comme la Russie en février 2022 : à la veille d’une opération militaire d’ampleur. En l’espèce, Xi Jinping aura attendu deux maigres jours après le départ de son invité pour lancer l’opération Joint Sword, fer de lance d’un exercice « d’encerclement total » de l’île convoitée. Le commandement de l’armée de l’air chinoise en charge du théâtre de l’Est sera d’ailleurs limpide à ce sujet : « Les troupes sont prêtes et capables de se battre à tout moment pour écraser résolument toute forme de tentative de recherche de « l’indépendance de Taïwan » et d’ingérence extérieure. » Avions de chasses, navires de guerre et troupes ont ainsi violé la souveraineté maritime et aérienne de Taïwan pour à nouveau s’entraîner à ce dessein.

Toujours est-il que le tollé suscité par les déclarations d’Emmanuel Macron quant aux enjeux entourant le détroit de Taïwan est compréhensible. Compréhensible car reflet d’un paradoxe déconcertant. Comment peut-on à la fois apparaître suiviste des États-Unis sur le dossier ukrainien, contre « l’agresseur » autoritaire russe, et par la même s’approprier une posture gaulliste sur le dossier taiwanais, dans le cas d’un assaut de l’île par une RPC qui se placerait aussi en « agresseur » irrédentiste ? C’est incohérent. On le constate, le terrain diplomatique, lui non plus, n’est pas épargné par la stratégie du « en même temps ». Or, cette posture est dangereuse pour l’heure, puisque se poser publiquement comme chef de file d’une

« autonomie stratégique européenne » fragilise gravement l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), au grand plaisir de Pékin. En d’autres termes, envoyer au monde entier des signaux de désolidarisation et de retenue à ses alliés à une heure où personne ne connaît l’agenda du Comité central du Parti communiste chinois pour Taïwan est bien trop téméraire. Dire cela n’est pas le fruit d’un atlantisme zélé, mais plutôt d’un triste réalisme. Car, la souveraineté européenne – si tenté qu’elle ne soit pas chimérique – est aujourd’hui un idéal, bien qu’il fasse tourner des têtes. Les théâtres sahélien et ukrainien en sont témoins, il est pour le moment impensable d’imaginer un axe européen solide sur le temps long, dégagé de l’appui américain.

Hugo Gonzalez


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