Le ciment, élément indispensable du monde du bâtiment, partout dans le monde, contribue lourdement aux émissions de CO2. Rien de moins que 7% des émissions mondiales, autant dire qu’un ciment décarboné pourrait faire une vraie différence, si le produit répond à certains critères d’utilisation et de prix. En France, le pourcentage attribué au secteur du BTP se monte à 27% des émissions.
Un doctorat de chimie en poche sur le thème des fluidifiants du plâtre, quelques années passées à faire ses premières armes au sein de grands groupes, dont Lafarge, autant dire que Matthieu Neuville a le profil parfait pour se lancer dans la création d’une entreprise dans le secteur. Ce professionnel est on ne peut plus conscient des dégâts causés par la cuisson du calcaire, une cuisson à quelques 1400 degrés, évidemment responsable de dépenses d’énergie fossile. Des solutions existent, mais les progrès sont lents, le moment est venu pour lui de proposer sa solution. Mathieu Neuville ne se lance pas seul dans l’aventure. Son frère Charles, le financier, fonde la société avec lui en 2018. Deux autres personnes les rejoignent très rapidement, Julie Neuville, épouse de Charles et CIO, et un ancien collègue de travail connu lors des années passées chez Total, spécialité du R&D, Manuel Mercé.
L’argile est déjà un composant du ciment, mais dans de très faibles proportions, de l’ordre de 5%. Dans la nouvelle composition du produit mis au point par Matterrup, le pourcentage de cette argile crue non calcinée va jusqu’à 70%. Une argile abondante y compris en France, mais c’est tout ce que l’on saura de cette invention maison, qui a fait l’objet d’une quarantaine de brevets internationaux. Le Crosslinked Clay Cement est né. L’entreprise commence à faire parler d’elle et à attirer des investisseurs. 3 millions d’euros levés en 2020 contribuent à la construction d’une usine pilote de
L’ARGILE, LE RETOUR
1 500 m2 dans les Landes pour un investissement global de 8 millions d’euros. Celle-ci dispose déjà d’une capacité de production intéressante, à hauteur de 50 000 tonnes de ciment propre. 2022 fut une année charnière pour la jeune entreprise qui reçoit la fameuse et indispensable autorisation de mise sur le marché de ses produits de la part du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment au mois de juin.
UNE DIZAINE D’USINES EN PRÉVISION
Le ciment à base d’argile de Matterrup a été conçu dès le départ pour pouvoir être utilisé immédiatement par les clients, sans besoin de changement de matériel, de processus ou de méthode de travail. Autre élément absolument primordial, le temps de séchage est aussi quasiment identique. Le modèle économique de Matterrup est cependant différent de celui des concurrents de ciment traditionnels. Les fondateurs se sont donné pour ligne de conduite de produire à partir d’argile locale pour aller au bout de la démarche écologique.
La politique de l’entreprise est donc de créer des unités disséminées sur le territoire français, et en Europe, proches de réservoirs d’argile disponible et près des clients cimentiers afin que le bilan carbone global soit encore meilleur. Une sorte de circuit court du ciment. Aujourd’hui, le créateur parle d’une dizaine d’unités en commençant dès cette année, d’autant que l’offre de l’entreprise s’élargit.
MIEUX, MAIS À QUEL PRIX ?
Qu’en est-il de la question essentielle du prix ? Pour l’instant, le ciment de Matterrup est vendu à un prix légèrement supérieur au ciment classique. Une correction est prévue dès que les volumes de production augmenteront, soit d’ici trois à cinq ans. L’entreprise a déjà signé un partenariat avec deux cimentiers, le début d’une massification qui améliorera la compétitivité.
Deux nouvelles implantations devraient être crées, l’une aux environs de Bordeaux, l’autre en région parisienne. En effet, Matterrup a été retenu sur un appel à projets lui permettant d’exploiter une partie de la terre argileuse disponible en réponse aux transformations prévues dans le Grand Paris.
UNE RECONNAISSANCE EUROPÉENNE
Matterrup est l’un des 75 lauréats de l’EIC Accelerator de la Commission européenne dans le cadre du Green Deal européen. Elle a été identifiée par le programme Fitfor55 (55 comme 55% de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030) comme l’une des PME les plus prometteuses pour déployer des innovations de nature disruptive. Ce programme doit permettre d’orienter des investisseurs privés vers les entreprises à fort potentiel, comme Matterrup. Tout semble devoir s’accélérer pour l’entreprise qui ne craint pas la concurrence, tant le marché est demandeur et immense.
La décennie qui se profile sera donc celle du basculement du marché BTP vers des matériaux plus écologiques, qui de plus répondent aux nouvelles normes très exigeantes du marché de la construction. Quant à l’approvisionnement en argile, là aussi, voici enfin une matière abondante partout dans le monde.