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Contre-espionnage, sex-shops, Free, Station F : les mille vies de Xavier Niel

Xavier Niel est un personnage à part. Surnommé « l'homme du peep-show » par Nicolas Sarkozy ou « romanichel » par Martin Bouygues, le patron de Free et inspirateur de Station F est passé en quelques années du statut de flibustier des affaires à celui de figure de l'establishment. S'il cultive son côté rebelle, jeans et cheveux longs, Niel côtoie désormais ministres et notables au coeur du pouvoir. Portrait d'un franc-tireur.

Entreprendre - Contre-espionnage, sex-shops, Free, Station F : les mille vies de Xavier Niel

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Xavier Niel est un personnage à part. Surnommé « l’homme du peep-show » par Nicolas Sarkozy ou « romanichel » par Martin Bouygues, le patron de Free et inspirateur de Station F est passé en quelques années du statut de flibustier des affaires à celui de figure de l’establishment. S’il cultive son côté rebelle, jeans et cheveux longs, Niel côtoie désormais ministres et notables au coeur du pouvoir. Portrait d’un franc-tireur.

« La première fois que je l’ai vu, c’était en 2002 pendant une réunion de « freenautes ». Xavier Niel est entré dans une salle comble, il a pris une poubelle et l’a retournée pour s’asseoir. Une demi-heure plus tard, il tombait à la renverse ! Je ne savais qui était ce monsieur un peu maladroit mais très énergique et naturel, on m’a dit : c’est le fondateur de Free », se rappelle Adrine Touati, jeune entrepreneur et fan de la marque Free, convié chaque année à une réunion avec les dirigeants de l’opérateur de télécoms le moins cher de l’Hexagone.

Depuis, Xavier Niel a pris sous son aile ce chef d’entreprise et a financé plusieurs de ses projets. Il est vrai que Niel, l’un des 10 hommes les plus riches de France (avec une fortune proche des 10 milliards d’euros) et l’un des 150 dans le monde, investit une grande partie de ses fonds dans plus de 200 sociétés, principalement des start-up.

Du minitel rose à Free en passant par les prises de contrôle de médias prestigieux comme Le Monde ou L’Obs (associé à Matthieu Pigasse et à Pierre Bergé, récemment disparu) ou le lancement en juin dernier de Station F, le plus grand incubateur de start-up, à la Halle Freyssinet, la saga de Niel est à la fois édifiante et impressionnante.

Un père juriste et une mère comptable

Principal actionnaire et patron d’Illiad, la société mère du fournisseur d’accès à l’internet, la téléphonie fixe ou mobile et la télévision, Xavier Niel est devenu en quelques années l’icône des entrepreneurs français du web. Une sorte de Bill Gates, Steve Jobs et Jeff Bezos à la sauce béarnaise !

Ce businessman de 50 ans, né le 25 août 1967 à Maisons-Alfort dans une famille moyenne (un père juriste et une mère comptable) et élevé à Créteil, a très vite eu le goût de l’entrepreneuriat. Il a commencé par fréquenter l’école Allezard avant de rejoindre le collège Pasteur puis le collège privé catholique de Maillé jusqu’en 1983. Dans ces divers établissements, le futur Steve Jobs à la française n’a guère laissé de traces. Nul ne se souvient de son passage.

« J’ai en mémoire quelqu’un de brillant mais qui ne faisait pas de bruit », se rappelle vaguement une ancienne élève du collège de Maillé. Une discrétion qui lui colle encore à la peau. C’est dans son garage à Créteil que Xavier Niel a commencé à « bidouiller » avec des copains. A 14 ans, il reçoit son premier ordinateur comme cadeau d’anniversaire.

Il gagne beaucoup d’argent avec le Minitel rose

Un bac scientifique en poche, l’enfant de Créteil suit une prépa maths sup mais n’ira pas jusqu’au bout. L’étudiant crée ensuite un service de minitel rose qui fait un carton. Il va très vite gagner beaucoup d’argent. La success story démarre. C’est à lui que l’on doit 36 17 ANNU, l’annuaire inversé et il entre très vite dans la cour des grands. Il fondera aussi Worldnet, le premier fournisseur d’accès à Internet, avant de lancer Free (son code minitel de l’époque).

« Comme quoi on peut grandir à Créteil et réussir dans la vie », se félicite le maire (PS) Laurent Cathala, qui a découvert hier cette belle histoire. Sous ses airs dégagés, le fondateur de Free place néanmoins d’énormes espoirs dans l’inauguration de cet incubateur, un projet qu’il porte depuis des années, et présenté comme le plus grand campus de start-up du monde. Il espère faire de cette ancienne gare de marchandises – connue par les Parisiens sous le nom de Halle Freyssinet – un lieu pour faire rayonner la high-tech française.

La première pierre de ce projet pharaonique avait été posée dès 2014, en présence du Président Hollande. Trois ans après, c’est Emmanuel Macron qui se charge de l’inaugurer, juste avant l’arrivée des premiers occupants, le 1er juillet. Entre-temps, Xavier Niel a investi 250 millions d’euros dans Station F, tirés de sa cassette personnelle. « C’est un usage peut-être moins idiot de mon argent que de le donner à mes enfants qui en feront des bêtises, probablement ! », se justifie-t-il.

Un patrimoine de 10 milliards d’euros

Cette attitude de « parrain des affaires » français, le fondateur d’lliad-Free l’a adoptée dès qu’il en a eu les moyens. Entré dans le monde professionnel en 1987 avec seulement le bac en poche, en se passionnant pour le Minitel, le « gamin de Créteil » a connu une irrésistible ascension en lançant Free en 1999, premier fournisseur d’accès à internet gratuit, puis en inventant la Freebox en 2002.

Il est donc aujourd’hui dans le top 10 des premières fortunes de France, avec un patrimoine estimé à environ 10 milliards d’euros. Grâce à la fortune amassée dans les télécoms, il investit à tout-va, notamment via son fonds Kima Ventures, créé avec l’entrepreneur Jérémie Berrebi en 2010. Ce fonds investit aussi chaque année dans 50 à 100 jeunes pousses, qui n’en sont parfois qu’à leurs premiers mois d’existence.

Fin 2010, Kima Ventures s’était ainsi vu décerner le titre de fonds de business angels le plus actifs au monde par le média américain Business Insider. Transferwise, Zenly, Leetchi, La Ruche qui dit Oui… Toutes ces start-up ont été sélectionnées par l’oeil vigilant de Xavier Niel et de son nouvel associé (depuis l’été 2015), Jean de La Rochebrochard, qui reçoivent des dizaines de dossiers par jour, pour en retenir moins de 1%.

« Il a toujours un tour d’avance »

La stratégie du fonds n’est pas d’investir de grosses sommes mais plutôt de parier sur de nombreux projets, qui reçoivent en général entre 100.000 et 150.000 euros. « Xavier Niel a toujours un tour d’avance », assurait l’homme d’affaires Alain Weill, président du groupe NextRadioTV et administrateur d’Iliad, dans « Le Figaro ». C’est un visionnaire, il sait percevoir quels seront, demain, les besoins des consommateurs ».

Le milliardaire est en tout cas toujours à la recherche du prochain coup, qu’importe le secteur, même s’il répète à qui veut l’entendre qu’il n’a qu’un seul métier : les télécoms. Il a ainsi investi 250.000 euros dans Deezer dès 2007, en échange de 20% du capital. C’était quelques années avant que le service de streaming ne devienne un empire de la musique. Classé « patron geek » et atypique pendant des années, le nouveau parrain des start-up s’est aussi intéressé aux médias, et pas seulement aux grands titres comme Le Monde ou Télérama.

Il a soutenu plusieurs pure players comme Mediapart, Bakchich et Atlantico. Owni, site d’info innovant fermé en 2012, avait aussi profité d’un coup de pouce financier de sa part. Les Youtubeurs ont aussi disposé des largesses du patron de Free. Lui et Laurent Ruquier ont rejoint en 2015 le capital de Tipee, plateforme française de financement participatif dédiée aux créateurs de contenus.

Il a financé l’école 42 et Station F sur ses deniers personnels

Avec Marc Simoncini (fondateur de Meetic) et Jacques-Antoine Granjon (PDG de Vente-privee), Xavier Niel a même tenté un changement de décor pour dénicher des start-up prometteuses en se mettant dans la peau d’un jury de télé-réalité. En novembre 2013, au théâtre de Paris, 300 jeunes ont défilé devant le trio d’entrepreneurs : ils disposaient d’une minute pour exposer leur projet.

Après quelques semaines de réflexion, 101 poulains ont été retenus par les business angels, et ont reçu chacun 25.000 euros. Le trio Niel, Simoncini, Granjon, auquel s’ajoute parfois Jean-David Blanc (créateur d’AlloCiné), s’associe régulièrement pour financer des projets innovants. Pour stimuler l’entrepreneuriat et dénicher les talents du Web de demain, Xavier Niel a également créé l’école 42. Cette école sans profs, sans horaires et sans examen a pour objectif de former 1.000 « génies » de la programmation informatique chaque année.

Le patron de Free a investi ses deniers personnels dans cette école gratuite et accessible à tous, même à ceux qui n’ont pas le bac. À son ouverture en 2013 , le budget total estimé était de 20 millions d’euros pour le lancement, plus 50 millions d’euros en fonctionnement sur 10 ans. Depuis, une version américaine de cette formation a vu le jour en mai 2016, dans la Silicon Valley. Là encore, l’école, saluée par de grands noms de la high-tech américaine à son lancement, est entièrement financée par les donations de l’homme d’affaires, à hauteur de 100 millions de dollars.

Pour Station F, Xavier Niel a procédé de la même manière. L’acquisition et la restructuration du bâtiment sont faits à fonds perdus. « On n’est pas là pour avoir une forme de rentabilité », souligne-t-il.Toutefois, ce qu’il souhaite, « c’est que tous les frais variables soient couverts par les recettes ». Cela comprend les apports des occupants, les produits des manifestations ou les recettes des restaurants, alors que les coûts de fonctionnement sont estimés à entre « sept et huit millions par an ». « Notre truc à nous, conclue-t-il, c’est d’aider l’écosystème, aider des jeunes à créer des start-up ». Et peut-être faire naître le nouveau « Xavier Niel », qui ébranlera à son tour les monopoles établis.

Le cinéma, son nouveau dada

Toujours avide de nouveaux projets et d’aventures, Xavier Niel n’hésite pas à parier sur le septième art des sommes loin d’être anecdotiques. En effet, comme le révèle « cinefinances.info », il a misé 400 000 euros dans le film « Gauguin » d’Édouard Deluc, avec Vincent Cassel, qui est sorti au cinéma le 20 septembre dernier. Une somme certes loin du coût total du film, de 7,2 millions d’euros, mais qui est tout de même importante.

Il a effectué cette transaction via sa holding personnelle NJJ. Un placement qui peut se trouver être très lucratif en cas de succès dans les salles de cinéma. Même si le magnat des télécoms sait ce qu’il fait, il ne choisit pas les scénarios lui-même pour autant. En effet, Xavier Niel a récemment avoué à Capital qu’il ignorait avoir misé respectivement 700.000 et 1,3 million d’euros dans « La Colle » et « Loue-moi ! », deux comédies à l’affiche cet été, qui n’ont pas attiré les foules.

C’est un petit cercle de producteurs qui sélectionne pour lui les projets. Parmi eux, il y a Élisa Soussan, qui dirige MyFamily avec l’humoriste Kev Adams. C’est d’ailleurs grâce à l’intervention financière de Xavier Niel que les productions d’ « Aladin » et d’ « Amis publics », deux comédies avec Kev Adams, avaient pu être terminées. Comme ces deux films ont été de vrai succès dans les salles (principalement « Aladin », dont la suite « Aladeux », vient de se terminer), l’investissement a été plus que payant.

Le Monde, un levier d’influence

Aujourd’hui, la société d’investissement que Niel a fondée avec le banquier Mathieu Pigasse et le producteur Pierre-Antoine Capton, Mediawan, compte bien aller plus loin dans ce milieu. Ils ont pour objectif de racheter un géant européen de contenus, tous médias confondus. Pour l’instant, ils ont déjà fait l’acquisition pour 270 millions d’euros du Groupe AB.

En quelques années, « l’homme du peep-show », comme le surnommait Nicolas Sarkozy, ce « romanichel », comme persiflait Martin Bouygues, est passé du statut de flibustier des affaires à celui de figure de l’establishment. Par un retournement de situation improbable, les dirigeants d’Orange et de Bouygues, qui l’abhorraient, n’ont eu d’autre choix que de se lier à lui. La classe politique, qui l’a longtemps ignoré, le reconnaît aujourd’hui.

Tous ceux qui ne toléraient pas sa présence sur la piste de danse ont fini par lui tendre la main. Et, aujourd’hui, c’est lui qui fixe le tempo. Tout a changé depuis son entrée fracassante dans l’univers de la presse, avec le rachat du Le Monde et, celui, du Nouvel Observateur, aux côtés du banquier Matthieu Pigasse et de Pierre Bergé. Un sésame dont il fait, sans l’avouer, un levier d’influence.

« Niel cultive son côté rebelle, jeans et cheveux longs, mais côtoie ministres et notables au coeur du pouvoir »

Voilà ce quadragénaire propulsé dans les hautes sphères du pouvoir. « L’homme est plus sûr de lui, plus ambitieux qu’hier. Il a pris goût à la lumière. Jusque-là, Free était la marque phare de son groupe, à présent, c’est son nom qui l’incarne », juge Jean-Louis Missika, l’un de ses compagnons de route chez Iliad, et maire adjoint de Paris aux côtés d’Anne Hidalgo.

Cette proximité avec la candidate à la mairie de Paris avait été exploitée par sa rivale, Nathalie Kosciusko-Morizet. En mars 2014, la presse révèlait que la socialiste avait été invitée gracieusement par Niel dans son hôtel de luxe, L’Apogée, à Courchevel. Le patron de Free avait démenti l’information et goûta peu la manoeuvre.

Ses bonnes relations avec NKM en pâtirent. Le voilà pris dans une lutte de pouvoir dont il se serait volontiers passé. « Niel cultive son côté rebelle, jeans et cheveux longs, mais côtoie ministres et notables au coeur du pouvoir. Il est devenu fréquentable et courtisé », estime Stéphane Richard, PDG d’Orange.

D’ordinaire timide et discret, le quadragénaire, toujours vêtu d’une chemise blanche, se défend d’avoir changé. Aucun responsable n’a jamais franchi le seuil de son domicile, jure-t-il. Certes. Mais c’est pourtant à sa demande que fut organisée une rencontre à Matignon avec Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, par l’entremise de son homme-lige, Maxime Lombardini.

Lors de ce rendez-vous, il est question de télécoms, bien sûr, mais aussi du projet de la Halle Freyssinet placé sous la férule de l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Ce lieu qui permet d’accueillir 1000 jeunes entreprises de croissance au coeur de Paris, depuis juillet 2017. De l’ancienne ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, à Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, ou encore à Benoît Hamon, tous ont pris le temps de le recevoir, de le jauger.

Des journées qui commencent à 11h et se terminent tard dans la nuit

Niel prend bien soin de rester inclassable, cultivant aussi ses relations à la droite de l’échiquier. Que ce soit avec François Fillon ou Xavier Bertrand, pour ne citer qu’eux. Toujours inscrit sur les listes électorales de Créteil (Val-de-Marne), la ville de ses parents, Niel jure ne s’être jamais rendu aux urnes.

« Je suis sans étiquette politique et je ne vote jamais, même si je n’encourage personne à faire de même », confie-t-il. Une ligne de conduite tenue, y compris en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen était présent au second tour. Non sans une certaine crainte…  « Ce garçon est nulle part, souligne Alain Minc, à rebours du modèle français. »

Cela n’empêche pas le milliardaire du Net de bien connaître le Château. Depuis l’époque de Jacques Chirac, il y a été convié maintes fois. Et, aujourd’hui, encore davantage que par le passé. Accompagné de ses complices Jacques-Antoine Granjon, PDG de Vente-privee.com, et Marc Simoncini, fondateur de Meetic, il en a même visité la fabuleuse cave en mai 2011, lorsque Nicolas Sarkozy était aux affaires.

Lui-même, d’ailleurs, possède une collection impressionnante de grands crus, alors qu’il ne boit jamais d’alcool et préfère les bulles du Coca-Cola Light. « Lorsqu’il reçoit chez lui, il ouvre toujours de belles bouteilles, origine France, pour ses amis », lâche Granjon.

Mais Xavier Niel, aujourd’hui marié avec Delphine Arnault, fille de Bernard Arnault, n’aime rien de plus que de se retrouver parmi les 5000 collaborateurs de son entreprise, entouré d’ingénieurs et d’informaticiens. Démarrant ses journées vers 11 heures du matin et pour les terminer tard dans la nuit, parfois jusqu’à 2 heures le lendemain ! Niel ou la réussite d’un franc-tireur qui a trouvé sa place au sein de l’establishment.


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