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Le groupe Grand Large Yachting, nouveau challenger de l’industrie nautique française

À Cherbourg, en 16 ans, cet ingénieur a réalisé son rêve. Son groupe Grand Large Yachting (50 M€ de CA) est le nouveau challenger de l’industrie nautique française derrière Bénéteau, Fontaine-Pajot voire Catana-Bali.

Entreprendre - Le groupe Grand Large Yachting, nouveau challenger de l’industrie nautique française

À Cherbourg, en 16 ans, cet ingénieur a réalisé son rêve. Son groupe Grand Large Yachting (50 M€ de CA) est le nouveau challenger de l’industrie nautique française derrière Bénéteau, Fontaine-Pajot voire Catana-Bali.

Comment un projet personnel s’est-il transformé en opportunité de business ?

Stéphan Constance : J’ai toujours eu un rêve de retard. Je voulais faire du conseil en stratégie quand les consultants partaient monter des start-ups internet fin des années 90. Xavier Desmarest, un copain de promotion de l’École Centrale de Lyon qui avait rejoint le BCG (The Boston Consulting Group, ndlr) après son MBA à l’INSEAD, m’a alerté sur le fait qu’il y avait une fenêtre d’opportunité pour postuler dans le conseil. J’ai été très heureux de rejoindre le BCG ; nous étions dans un contexte très stimulant, nous faisions des business cases à longueur de temps.

Durant ces années de conseil en stratégie, Xavier et moi avons eu le projet d’acheter ensemble un voilier de grande croisière pour partir naviguer en famille, à tour de rôle, au bénéfice d’une année sabbatique. En étudiant le marché comme futur client, nous avons été étonnés par la structure de l’offre qui nous semblait perfectible et frustrante. Nous avons alors eu le projet de concevoir et construire notre propre bateau de voyage qui serait forcément le bateau idéal ! Durant ce processus, nous avons réalisé que cette frustration était partagée par pas mal de monde et nous avons donc progressive- ment glissé d’une démarche personnelle vers un projet business.

Nous avons présenté le projet au BCG en essayant de brainstormer tous ensembles. Le projet fut assez fédérateur. Au-delà du jeu intellectuel qui consistait à réfléchir à la manière de créer un nouvel entrant dans un milieu B2C où le poids des marques étaient très prégnants, nous avons décidé de tenter l’aventure et de trouver des partenaires. Le BCG nous a accordé 6 mois durant lesquels nous avons été « déstaffés » des missions, nous avons bénéficié des ressources du cabinet. Au terme des 6 mois, nous avons décidé de quitter le BCG pour vivre pleinement l’ aventure. Nous avons donc créé une entreprise industrielle, en France, de l’ai dit, j’ai toujours eu un rêve de retard !

Comment est-ce possible ?

Nous avons commencé par lancer un premier chantier de construction de voiliers Allures Yachting, en 2003, à Cherbourg, en nous positionnant comme spécialiste de la conception et de l’assemblage de dériveurs intégraux aluminium. Le dériveur intégral aluminium est devenu pour beaucoup de navigateurs, chevronnés ou novices, le meilleur choix pour partir en grande croisière autour du monde. Il permet d’aller partout, de passer la barrière des atolls dans l’océan Pacifique, d’embouquer les rivières, de poser le bateau sur la plage à l’ occasion d’ une marée, etc. Ce produit est comparable à une sorte de 4×4, là où le reste du temps, on dispose d’une voiture citadine.

Et le rachat d’Outremer ?

Cette belle opportunité de croissance externe s’est présentée en 2007. Le chantier Outremer a été fondé en 1984 à la Grande-Motte (Hérault), il est spécialisé dans les catamarans de grande croisière en composite. Nous avions identifié que le marché était en train de se décaler sensiblement vers le catamaran.


Vous avez ensuite misé sur la croissance externe…

Nous y avons pris goût et la crise de 2008 nous a malheureusement offert de multiples opportunités. L’ industrie nautique fut dévastée par cette crise car n’étant pas sur des produits de première nécessité, les gens renoncent aux loisirs dans ce type de situation de récession. Acheter un bateau suppose d’avoir un scénario pour soi et sa famille sur les cinq années à venir. Le kérosène de notre marché, c’est la confiance que l’on a en l’avenir. Or en 2008, plus personne n’avait confiance en rien, et le marché était profondément déprimé. Nous avons ensuite acheté le chantier Garcia en 2010, fondé en 1974 en Normandie, spécialisé dans les voiliers de grande croisière sur mesure en aluminium, puis le chantier naval Alumarine en 2013, spécialisé dans la construction de bateau de travail en aluminium.

Trois ans plus tard, nous avons repris Gunboat aux États-Unis, l’emblématique chantier américain de grands catamarans rapides et luxueux construits tout en carbone. Nous avons délocalisé cette entreprise iconique dans un pays à bas coûts, puisque nous l’avons implantée à La Grande-Motte, près de Montpellier (rires), où nous avons créé 70 emplois directs, et 150 à terme.

Comment avez-vous financé l’entreprise ?

Nous avons investi 20 000 euros chacun en mise de départ, et nous avons ensuite levé en tout 1,5 millions d’euros en plusieurs fois avec des fonds auprès de proches. Nous avons également fait rentrer un fonds régional qui a contribué à notre développement et qui a finalement accepté de sortir pour laisser la place au management. Nous souhaitions en effet intéresser des dirigeants de l’entreprise et un partenaire américain. Très récemment, nous avons ouvert notre capital au fonds d’investissement Pechel.

Comment managez-vous ?

Dans les 12 sociétés qui composent le groupe, nous avons des chantiers qui construisent soit des bateaux de plaisance destinés à des particuliers qui ont un rêve de grande croisière, soit des bateaux destinés à des activités professionnelles (transport à passager, sauvetage, bateaux de servitudes, travaux maritimes, plongée, etc.). Les deux activités sont complémentaires et s’enrichissent mutuellement.

Il y a également un pôle Services qui est essentiel pour accompagner le projet de grande croisière de nos propriétaires. Par exemple, la société EFT, à Rezé, est le premier centre de formation de skippers de France : près de 10 000 stagiaires ont été formés depuis sa création. Nous proposons des stages de mécanique diesel durant lesquels on apprend à réparer le moteur du bateau, mais nous abordons aussi bien d’autres sujets comme la sécurité en mer, la médecine en situation d’isolement, la météo marine, l’électricité de bord, l’ électronique, le matelotage, etc. pour rendre les navigateurs et leurs familles autonomes.

Comment faites-vous pour faire 35% de croissance par an ?

Oui, nous faisons plus que doubler tous les trois ans. Nous conduisons ce développement à l’énergie et à la passion. Il n’y a pas vraiment de méthode, je parlerai plus volontiers d’une affaire d’hommes. Il faut de bonnes idées, de l’organisation et des équipes engagées. Je crois beaucoup plus à l’exécution qu’à la stratégie, ce qui est un comble pour un ancien consultant en stratégie (rires). Les PME sont un enjeu d’exécution, les bonnes idées sont assez simples mais le défi consiste à bien les réaliser et rapidement.

Je préfère une décision médiocre exécutée dans le bon timing qu’une bonne décision qui attend trop longtemps pour être mise en œuvre. L’agilité et la réactivité des PME sont addictives. On peut concevoir une stratégie, prendre une décision, et si cela ne fonctionne pas, effectuer un virage à 90 degrés en se repositionnant. Les équipes suivent si on réussit à véhiculer humble- ment et honnêtement sa vision.

Le « made in France » est-il porteur ?

Il a un impact très fort dans la construction nautique : la France est vraiment une terre d’ excellence. Nous sommes peut-être le seul pays à avoir toute une chaîne de valeur aussi complète : les architectes, les designers, les équipementiers, les constructeurs qui maîtrisent tous les matériaux que cela soit le composite verre-polyester, le carbone ou le métal. Les industries nautiques en France, c’est 75% d’export, la première place mondiale dans le domaine de la construction des voiliers et des catamarans, et la 3ème place mondiale dans celui des bateaux à moteurs. Nous pouvons être fiers de cette filière.

Quel bilan dressez-vous ?

Aujourd’hui, le groupe est constitué de 12 sociétés opérationnelles qui représentent 450- 500 salariés et intérimaires, dont 400 en France, une poignée aux États-Unis, et 80 au Sri Lanka, où nous sommes également implantés. Nous réaliserons 50 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année. Bien que partis de zéro, nous avons atteint la masse critique permettant de commencer à être significatif dans notre industrie.

Comment imaginez-vous l’avenir ?

Nous sommes enthousiastes et optimistes. Nous prévoyons de poursuivre la croissance en la ramenant à un niveau plus soutenable d’environ 20% par an.

Côté croissance externe n’a jamais été dans notre agenda stratégique mais nous restons attentifs aux opportunités éventuelles qui seraient cohérentes et synergiques avec nos activités. Hors croissance externe, nous prévoyons de doubler de taille dans les 5 ans et d’atteindre les 100 millions d’euros.

Que pensez-vous de l’évolution du statut de l’entrepreneur en France ?

Quelle révolution depuis l’époque où le chef d’entreprise était régulièrement caricaturé en fraudeur poujadiste vampirisant le travail des salariés ! Depuis quelques années, l’entrepreneur incarne une figure très positive, ce qui n’était pas le cas il y a encore 10 ans. Au risque de faire hurler autour de moi, je pense que le quinquennat Hollande est à l’origine de ce changement de perception : il a déverrouillé quelque chose dans l’imaginaire collectif français. L’entrepreneur qui crée de l’emploi et de la valeur à redistribuer est devenu, surement de façon excessive et donc temporaire, la nouvelle figure du héros national.

Personnellement, je suis fier de me dire qu’il y a 500 familles qui ont un travail et des ressources sur la base de nos idées collectives. À ceux qui me demandent mon avis sur l’entrepreneuriat, je dis : Attention, drogue dure ! Lorsque l’on y a touché, on ne peut plus s’arrêter. Cela fait 15 ans que je n’ai plus le sentiment de travailler, je me lève le matin en étant pressé d’aller au travail. Confucius encourageait à faire un travail que l’on aime pour ne jamais travailler. Entreprendre, c’est passionnant, engageant vis-à-vis de ses salariés, de ses clients, de ses actionnaires et des autres parties prenantes de l’entreprise. Le véritable luxe contemporain, c’est de faire des choses qui passionnent.

Propos recueillis par Isabelle Jouanneau


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