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Marc Simoncini : « La notion de redistribution sera la clé de voûte des prochaines années »

Agé de 55 ans, Marc Simoncini, fondateur d'iFrance, Meetic, Sensee et l’EEMI (École européenne des métiers de l'Internet) est l’une des figures emblématiques de la tech française. Mais au-delà de l’entrepreneur médiatique, qui se cache derrière ce « serial rêveur ? »

Entreprendre - Marc Simoncini : « La notion de redistribution sera la clé de voûte des prochaines années »

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Agé de 55 ans, Marc Simoncini, fondateur d’iFrance, Meetic, Sensee et l’EEMI (École européenne des métiers de l’Internet) est l’une des figures emblématiques de la tech française. Mais au-delà de l’entrepreneur médiatique, qui se cache derrière ce « serial rêveur ? »

Quel est le fil conducteur de votre parcours ?

Nous partons toujours d’un marché qui nous semble présenter une anomalie pour la corriger. A l’époque où j’ai créé Meetic, les sites de rencontres n’existaient pas – les célibataires devaient s’inscrire dans une agence matrimoniale qui facturait leur prestation une fortune pour finalement ne présenter qu’un nombre très restreint de personnes. Nous nous sommes dits que nous pourrions proposer ce service sur Internet à un coût beaucoup plus faible en présentant beaucoup plus de personnes et en offrant un service plus qualitatif. L’entrepreneur est celui qui voit un dysfonctionnement et qui, au lieu de l’appréhender comme un problème, le transforme en opportunité.

Vous considérez-vous comme un serial entrepreneur ?

On m’a souvent qualifié de multi entrepreneur ou de serial entrepreneur mais n’appréciant guère la formule, j’ai inventé l’expression « serial rêveur ». J’ai plein de rêves, d’envies, de passions et de projets que j’essaye parfois de transformer en entreprise. Cette démarche est assez atypique dans la mesure où je suis un entrepreneur à la base. Je ne transforme pas toutes mes idées en entreprise mais j’aime l’idée de partir d’une passion pour créer une entreprise.

Avez-vous déjà échoué ?

Oui. J’ai investi dans l’industrie lourde – la fabrication de chenillettes et de dameuses de pistes de 10 tonnes – mais j’ai échoué. J’ai perdu 7 M€ dans cette aventure. Mais si nous avions réussi, nous aurions créé la première marque de chenillettes française. Il faut échouer pour réussir et on ne réussit malheureusement pas à chaque fois.

« J’accorde une importance particulière au fait de ne pas quitter son pays pour y créer des entreprises, des emplois et des produits »

Quelle place occupe la France dans votre parcours ?

Je n’ai pu conduire cette réflexion que rétrospectivement et je me suis alors aperçu que la quasi intégralité de ce que j’avais fait dans ma vie s’était réalisé en France. Je suis très attaché à la production et à l’industrie française, j’accorde une importance particulière au fait de ne pas quitter son pays pour y créer des entreprises, des emplois et des produits. J’avais baptisé ma première société iFrance (hébergement Web, NDLR), sans réaliser la portée symbolique de ce nom. Le fait de produire dans l’Hexagone est une des lignes directrices de tout ce que j’ai entrepris.

Que vous inspire le mouvement autour du « made in France » ?

C’est décevant. En réalité, les gens ignorent ce qu’il y a réellement dans le « made in France » et ce qui constitue son essence. Le label est très galvaudé, détourné et exploité, ce qui a très largement porté préjudice au « made in France ».

Pourquoi vous êtes-vous attaqué au marché de l’optique en lançant Sensee en 2011 ?

L’optique est l’un de mes grands combats en France. Agacé par le fait que mon beau-père n’ait pas les moyens de changer ses lunettes, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle les lunettes étaient aussi onéreuses. Je voulais démocratiser l’accès aux lunettes en lançant une marque deux fois moins chères proposant des lunettes « made in France ». J’essaye de m’inscrire dans une démarche sociétale qui vise à faire changer les choses.

Comment avez-vous réussi à faire émerger Sensee dans un marché cristallisé autour de quelques acteurs majeurs qui se partageaient le monopole du marché ?

Nous avons passé 7 années à faire du lobbying et à nous battre contre toutes les barrières que ce marché avait érigées. Je me suis trompé en me lançant dans ce projet et en estimant qu’il faudrait 10 ans à partir du moment où le marché était ouvert. Je n’avais pas anticipé qu’il nous faudrait pas moins de 7 années pour réussir à ouvrir le marché sachant que la loi nous interdisait de vendre des lunettes sur Internet. Nous avons donc dû obtenir l’autorisation auprès du législateur, ce qui nous a fait un perdre un temps précieux.

Le fait de produire ces lunettes en France a-t-il été bénéfique au développement de Sensee ?

Nous nous somme battus afin que nos lunettes soient fabriquées à 100 % en France mais lorsque nous apposions la mention « made in France », nous étions amalgamés à tous les autres acteurs qui brandissaient la même mention sur des lunettes assemblées en France mais fabriquées… en Chine. Nous avons donc rencontré un vrai problème avec le label « made in France » qui ne couvrait pas la même réalité pour les différents protagonistes. Le label Origine France Garantie, créé en juin 2010 à la suite de la publication du rapport d’Yves Jégo consacré à la marque « France », assure aux consommateurs la traçabilité d’un produit en donnant une indication de provenance claire et objective et en précisant le montant de la valeur ajoutée réalisée en France. Ce label nous a donné l’opportunité de revendiquer que nous ne faisions pas du « made in France » marketing et que cela correspondait à une réalité avérée dans la mesure où 75 % de la valeur de nos lunettes est créée en France.

Dans votre ouvrage « Une vie choisie » (Grasset), vous indiquez qu’en France, on ne sera prêt « à accepter l’échec que le jour où on acceptera la réussite ». Pourquoi les Français ont-ils peur de réussir ?

C’est un phénomène très français. Je ne suis pas psychologue mais on voit bien qu’il existe un problème avec la réussite dans ce pays. Étrangement, les Français ne s’insurgent pas contre le fait qu’un joueur de foot gagne des millions d’euros en tapant d’un ballon mais dès lors qu’un chef d’entreprise gagne de l’argent, ils jugent cela inacceptable. J’ai le sentiment que l’on a un peu trompé les Français en écrivant « Liberté Egalité Fraternité » sur le fronton des mairies. Il ne fallait pas écrire « égalité » – caractère de ce qui est égal – mais « équité » – caractère de ce qui est fait avec justice et impartialité, ce qui est très différent. A partir du moment où l’on a expliqué aux Français que nous allions tous êtres égaux en droit et dans les faits, ils ont mal supporté que tout le monde n’aient pas les mêmes choses. Ils ont ressenti une forme d’injustice. Je crois les Français ont vraiment cru à cette idée d’égalité. Lorsque qu’elle leur est finalement apparue inaccessible, la frustration a pris le dessus.

« Dans une économie où les personnes qui réussissent et gagnent de l’argent conservent tout pour elles, le fossé ne fera que s’agrandir et tout finira par s’écrouler »

Comment imaginez-vous le monde de demain ?

Le monde devient de plus en plus complexe. Lorsque l’on regarde les pays développés, il devient difficile de comprendre le monde dans lequel nous vivons, que cela soit sur le plan économique, politique ou écologique… Les règles, les lois et l’éducation sont d’une grande complexité. Une partie de la population ne parvient pas à suivre ce mouvement car cela va trop vite. Cela accroît très significativement les inégalités sociales, éducatives et économiques. Ce mouvement a vocation à s’accélérer et force est de constater que l’écart entre les gens qui peuvent faire des choses et ceux qui ne peuvent pas ne fait qu’augmenter. A un moment donné, il faudra nécessairement trouver des solutions afin que les choses s’équilibrent et se compensent. Je pense que la notion de don et de redistribution sera la clé de voûte des prochaines années. Au niveau économique, on ne peut imaginer aujourd’hui que quelqu’un qui a très bien réussi ne redistribue par une part significative de ce qu’il a gagné. Il y a encore une génération, cette conception était encore assez rare, alors qu’aujourd’hui, c’est devenu quasiment mécanique. Cela deviendra même automatique avec la génération suivante. Nous allons redonner une partie de ce que l’on gagne afin que le système puisse perdurer. Dans une économie où les personnes qui réussissent et gagnent de l’argent conservent tout pour elles, le fossé ne fera que s’agrandir et tout finira par s’écrouler. Si les gens qui ont la chance de pouvoir produire redistribuent le produit de leur travail, tout le monde se retrouvera dans une meilleure position, et ceux qui peuvent produire évolueront dans un monde qui est encore en capacité de produire.

Combien de temps faudra-t-il pour que ce processus se généralise ?

Le mouvement est déjà lancé. Une prise de conscience des entreprises est indispensable même si ce n’est pas aux entreprises de faire du social. Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas les règles du jeu que l’on nous avait données à l’époque. Aujourd’hui, cela devient la règle du jeu : l’entreprise doit avoir un rôle social car cela crée des richesses dont beaucoup d’hommes ont besoin. J’espère que l’avenir tendra vers ces pratiques sous peine d’aller au devant de jours assez noirs…

Quel rôle doit jouer le numérique dans l’éducation ?

Le numérique va révolutionner l’éducation. Au départ, le numérique était quelque chose de vertical mais il irrigue désormais l’ensemble du monde, que cela soit les médias, l’éducation ou l’économie. Ce n’est plus un silo mais quelque chose d’horizontal, le numérique est partout, dans tous les domaines et dans toutes les activités. La demande de compétences dans ces métiers est énorme et le fait qu’il y ait des écoles qui forment à ces métiers est essentielle. Ce fut notre idée de base lorsque nous avons créé l’École européenne des métiers de l’Internet.

Une politique éducative tournée vers le numérique peut-elle permettre à la France et à l’Europe de recouvrer leur indépendance face aux GAFA et aux BATX ?

En matière d’éducation, il est toujours possible de rattraper le retard et de former les mêmes proportions de personnes au numérique qu’aux Etats-Unis ou en Chine. En nombre absolu, c’est beaucoup compliqué… Nous restons un petit pays et un marché non unifié par ailleurs, les marchés intérieurs étant très faibles. Les GAFA naissent sur des territoires – USA, Chine, Inde, Russie et l’Afrique un jour – où les marchés intérieurs sont tellement énormes que les entreprises deviennent « assez facilement » très grosses. C’est beaucoup plus difficile pour nous : nous avons un problème de taille de notre marché intérieur. Cela sera un des problèmes majeurs de l’Europe si on se projette positivement au-delà de la désintégration de l’Europe. Un autre scénario consiste à vouloir faire de l’Europe un marché commun avec une fiscalité commune et des règles communes afin que l’on soit en mesure de créer des acteurs à la taille des Américains, des Russes et des Chinois. L’Europe doit devenir un marché intérieur unique commun, c’est une obligation impérieuse.

Comment y parvenir ?

Cela suppose que les gouvernements européens soient des gouvernements beaucoup plus modernes qu’actuellement, et qu’ils essaient de repenser une politique européenne qui ne soit pas qu’économique ou politique mais qui participent également aux grands développements du futur. Je m’interroge lorsque je constate que 8 Md€ d’investissement sont alloués pour faire un TGV entre Lyon et Turin… En est-on encore aujourd’hui à faire des trains pour que l’Europe soit accessible ? Ne serait-il pas préférable de construire de grands espaces numériques communs dans lesquels nous pourrions développer de l’intelligence artificielle ou de nouvelles technologies qui nous permettront de résister et le lutter contre les Américains ?


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