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Débat : quel avenir pour l’industrie et la compétitivité française ?

La mondialisation ne suffit pas pour expliquer la déliquescence du tissu industriel français, puisque nos voisins européens s’en sortent mieux que nous. Un sujet pourtant crucial pour notre avenir selon trois grandes personnalités de la vie économique française : Louis Gallois (président de la Fabrique de l’industrie), Christian de Saint-Étienne (économiste) et  Xavier Fontanet (ancien président d’Essilor et professeur à HEC).

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La mondialisation ne suffit pas pour expliquer la déliquescence du tissu industriel français, puisque nos voisins européens s’en sortent mieux que nous. Un sujet pourtant crucial pour notre avenir selon trois grandes personnalités de la vie économique française : Louis Gallois (président de la Fabrique de l’industrie), Christian de Saint-Étienne (économiste) et  Xavier Fontanet (ancien président d’Essilor et professeur à HEC).

Notre pays a-t-il d’ores et déjà perdu la bataille de la compétitivité industrielle ?

Christian de Saint-Étienne, économiste :

La situation est très sérieuse. Depuis 15 ans, la France connaît la désindustrialisation la plus forte des pays développés. Il n’y pas de progrès mais, au contraire, une aggravation. Ainsi, nous avons toujours le coût de production le plus élevé en Europe. Et même si nous réduisons l’écart avec l’Allemagne, le coût du travail est plus élevé dans notre pays, alors que la productivité industrielle n’est pas supérieure. Pourtant, rien n’est définitif. La question est de savoir si les pouvoirs publics sont capables de mettre en place une politique raisonnable, et de s’y tenir. Car une politique industrielle n’est pas un jeu, elle ne peut porter ses fruits que dans la durée.

Louis Gallois, vice-président du Conseil national de l’industrie :

Notre industrie est incontestablement malade. La France pointe au 15ème rang européen. Notre pays n’est donc pas simplement devancé par l’Allemagne. Pourtant, la France a encore le choix. Elle dispose de solides atouts : recherche de pointe, capacité d’innovation, base entrepreneuriale solide. Elle peut aussi assumer le financement de son industrie puisqu’elle reste l’un des pays les plus riches de la planète.

Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor et professeur à HEC :

Il est vrai que des pans entiers de notre industrie disparaissent. La question à se poser c’est : «Est-ce la faute à la mondialisation ou est-ce parce que nous ne nous sommes pas adaptés assez vite ?» Le véritable problème est que le «modèle français» est lourd, avec trop d’impôts et de bureaucratie. La désindustrialisation n’est pas due à un talent que les entrepreneurs français n’auraient pas. La graine est bonne, mais le terreau français est devenu aride, trop de cailloux, trop de ronces…

Nos entreprises sont compétitives dans certains secteurs comme l’aéronautique. Ce succès peut-il être dupliqué ?

Christian de Saint-Étienne :

Les résultats de l’industrie aéronautique montrent ce qui est possible et souhaitable, même si ce secteur est très particulier, parce que la bonne situation actuelle est le résultat de 50 années d’investissement de l’État, d’une véritable politique de filière et bénéficie de l’alliance avec les Allemands. Mais la situation est nettement plus critique dans d’autres domaines comme l’agroalimentaire, où nous perdons continuellement des parts de marché, d’une part, parce que le secteur n’a pas su faire les efforts de restructuration, notamment de concentration, nécessaire, et, d’autre part, en raison de lourdes contraintes réglementaires par rapport à celles des autres pays. Au final, il y a peu de secteurs dans lesquels nous sommes vraiment bons.

Louis Gallois :

Il n’y a pas de secteur condamné, mais des technologies et des modes de production dépassés. Prenez l’exemple de Thuasne, cette société spécialisée dans les textiles médicaux. Elle connaît aujourd’hui une réussite extraordinaire dans un secteur, le textile, considéré par certains comme condamné en France. En fait, Thuasne, et bien d’autres comme elle, démontre que grâce à l’innovation et à la technologie, nous pouvons conquérir des marchés dans tous les secteurs.

Xavier Fontanet :

Il y a, en effet, de belles filières en France, mais notre pays, qui ne représente pas plus de 5% du PIB mondial, n’a pas les moyens pour faire de la politique industrielle et soutenir des secteurs entiers, surtout avec une dette égale à deux fois son budget. Les entreprises sont capables de se débrouiller toutes seules, dans tous les secteurs. Nos leaders mondiaux sont tous partis de spécificités françaises. Leur excellence et leur esprit de conquête ont permis des parcours internationaux stupéfiants. Lorsqu’on se mondialise, on multiplie son marché par 20, en devenant leader, on grandit plus encore. Il faut considérer le monde comme une opportunité et non comme une menace et afficher un état d’esprit conquérant. Autrement dit, assumer ses ambitions.

Beaucoup d’initiatives tendent à mettre en avant le «made in France». Cette démarche est-elle pertinente à l’heure de la mondialisation ?

Christian de Saint-Étienne :

Si promouvoir le «made in France», c’est se faire photographier en marinière, c’est une farce. Tel qu’il est présenté aujourd’hui, le «made in France», c’est de la communication, ce qui est une bonne chose mais ne fait pas une stratégie. La France bénéficie d’une situation géostratégique privilégiée, d’excellents chercheurs et d’excellents ingénieurs. Si elle n’attire pas plus massivement les investissements industriels, c’est en raison de l’insécurité fiscale et politique, du manque de flexibilité du marché du travail et de ce contexte général anti-riches, anti-entrepreneurs et même anti-excellence, comme le montre la réforme des collèges. Tout cela a évidemment un fort impact international.

Louis Gallois :

Plutôt que de parler de «made in France», on devrait tout autant parler de «marque France». Car, hormis quelques produits comme le vin, plus rien aujourd’hui n’est complètement fabriqué dans l’Hexagone. Mais la France doit apprendre à mieux vendre ses atouts. La «marque France» doit être synonyme de qualité, d’innovation, de réputation. Il ne faut pas voir ce label comme une manière de se protéger, mais comme une démarche offensive. Une étude du Credoc montre que les consommateurs sont prêts à un geste «patriotique», mais qu’ils veulent comparer et choisir. La «marque France» doit être synonyme de qualité, d’innovation, de réputation et, pour être plus efficace, elle doit s’accompagner d’un récit. La seule voie de sortie possible 
se fera par le haut, en augmentant la réputation de nos produits.

 

Xavier Fontanet :

Marquer l’origine des produits est une bonne idée et cela n’a rien d’incompatible avec la mondialisation. Chaque pays a ses talents et peut les valoriser ainsi. Il faut se positionner sur un créneau de qualité, comme le font très intelligemment les Suisses et les Allemands, et cesser de viser le moins cher. Le «made in France» sera plus cher, c’est inévitable. En revanche, faire du protectionnisme pour un petit pays comme la France n’a pas de sens, c’est mettre en danger l’économie, abîmer les entreprises françaises à l’étranger : si on fait du protectionnisme avec la Chine, que va-t-il arriver aux meilleures entreprises françaises ayant réussi en Chine ?

Peut-on aujourd’hui séparer l’industrie des services ?

Christian de Saint-Étienne :

À l’heure de la 3ème révolution industrielle, cette distinction n’a pas le même sens et l’industrie du XXème siècle n’a rien à voir avec la sidérurgie du siècle précédent. Les services pèsent pour 80% de notre économie, mais entre 30 à 50% d’entre eux sont liés directement ou non à l’industrie. Et ce sont ceux qui ont la plus forte valeur ajoutée. Free est une entreprise de service mais pour qu’il puisse proposer un accès à Internet, il a bien fallu concevoir et fabriquer une box. Dans le domaine de la santé, Sanofi vient de trouver un vaccin contre la dingue. Il va bien falloir une usine pour le produire. Toute la question est donc de savoir où et par qui les produits physiques indispensables aux nouveaux services vont être fabriqués.

Louis Gallois :

On ne peut plus opposer les deux. L’avenir de l’industrie va bien au-delà de la seule fabrication de pièces. L’ingénierie, les services à valeur ajoutée, l’innovation, le marketing font partie de l’industrie, sans parler de la nouvelle dimension donnée par le numérique. De nouveaux secteurs d’avenir, comme la transition énergétique ou la santé et l’économie du vivant, sont également à la jonction entre l’industrie et les services.

Xavier Fontanet :

Aujourd’hui, la frontière est de plus en plus floue car service et industrie convergent. En enrichissant ses produits et en les suivant tout au long de leur vie, l’industrie devient service. Inversement, si vous prenez la liste des gros investissements faits dans le monde, vous retrouvez les fermes de serveurs informatiques, alors que les entreprises qui les financent sont classées dans les services. Aujourd’hui, les entreprises mondiales qui ont la plus forte valorisation, comme Google ou Facebook, sont classées dans les services.

La robotisation n’est-elle pas un enjeu majeur pour la compétitivité industrielle ?

Christian de Saint-Étienne :

Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause cette évolution majeure au nom d’une quelconque sauvegarde de l’emploi. La robotisation est fondamentale. Il faut non seulement que nos entreprises s’équipent pour être compétitives, mais il faut aussi être capables de fabriquer les robots chez nous.

Louis Gallois :

La robotisation des industries françaises est clairement en retard : on compte près de 5 fois moins de robots industriels en France qu’en Allemagne. Le sous-investissement dans la robotisation et l’automatisation pèse sur notre productivité et notre compétitivité. Ce qui entraîne l’industrie dans un cercle vicieux : elle prend de plus en plus de retard sur ses concurrentes européennes en matière d’innovation et est obligée de se lancer dans une course mortifère aux coûts bas, pour maintenir sa compétitivité-prix dans un milieu de gamme où elle affronte les industries d’Asie et d’Europe de l’Est. C’est aux industriels de prendre en charge ce sujet et d’investir.

Xavier Fontanet :

C’est une révolution très intéressante qui est en train d’arriver, d’autant plus avec la rapidité de la croissance des salaires dans les pays en développement. Des tas d’activités peuvent revenir. Regardez le Japon, les industries ont résisté là-bas car c’est un pays extrêmement robotisé. Cela permet de changer la nature du travail de l’ouvrier, qui gère les robots désormais. Les ordres de grandeur sont frappants : une centaine de milliers de robots installés par an au Japon, une trentaine de milliers en Allemagne et 3.000 environ en France. La robotisation un impératif pour nous.

Quelle serait une première mesure pour relancer durablement l’industrie en France ?

Christian de Saint-Étienne :

La première mesure que le gouvernement devrait prendre est une réforme de la fiscalité. Parce qu’une loi fiscale a un effet immédiat. Il faudrait adapter le système fiscal suédois, qui a été mis en place par des sociaux-démocrates : une taxation libératoire de 30% sur le capital pour attirer les investisseurs, un impôt sur les sociétés de 20% pour favoriser l’investissement et un taux marginal maximal de l’impôt sur le revenu de 50%. Ce serait apporter un signal fort, parce que si on cogne toujours sur les ménages qui paient des impôts, les investisseurs qui apportent le capital et les entreprises qui créent de la valeur, cela ne fonctionne pas.

Louis Gallois :

La productivité tient à trois éléments : l’innovation, la qualité et la réputation. Il faut donc mettre les entreprises en situation d’investir et reconstruire leurs marges pour amorcer la pompe. L’innovation et la recherche sont la clé de voûte de l’investissement. Il faut pour cela sanctuariser le crédit impôt-recherche, soutenir les start-up, développer les programmes d’investissement d’avenir, créer des instruments pour accompagner les chefs d’entreprise. Par ailleurs, l’insécurité juridique est un obstacle majeur à la réindustrialisation.

 

Xavier Fontanet :

Le gouvernement rêve d’une économie sans capital et attend tout de la recherche. La recherche, c’est très bien ; mais sans l’investissement qui transforme l’invention en innovation, le pays ne capture qu’une petite partie de la valeur créée. Le capital est nécessaire à l’entreprise, qu’elle soit dans l’industrie ou les services. En France, le capital est martyrisé avec des prélèvements excessifs sur les bénéfices, les dividendes, les plus-values, le tout assorti d’un ISF qui n’existe nulle part ailleurs et qui décourage les entrepreneurs et les épargnants quand il ne les fait pas partir. Il affaiblit les entreprises et finit par être un destructeur d’emploi très efficace. Casser ce symbole ruineux qui continue toujours son travail de sape est une priorité. Expliquer que la perte de recette sera financée par une baisse structurelle du coût de la sphère publique est un message plus fort que dix lois Macron et susceptible, à lui seul, de faire repartir la croissance… et de freiner la désindustrialisation.


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